Combat
Greenwashing
Faisant écho à la progression des préoccupations environnementales de la population, le phénomène est aujourd’hui incontournable. Le client est prêt à payer davantage pour la durabilité: entreprises et marques l’ont compris. Faute d’instruments contraignants, les jeux de dupe sont légion. La FRC monte au front.
23 mars 2023

Laurianne Altwegg
Responsable Agriculture, Énergie et Environnement
Un logo qui passe au vert, un produit qui se dit durable mais dont la composition contient des ingrédients nuisibles, une marque qui promet de planter des arbres: du greenwashing? Si cela permet de faire passer un produit, une entreprise pour plus verts ou durables qu’ils ne le sont: absolument. Pour autant qu’aucun argument mensonger ne soit utilisé, ce type de «désinformation écologique» est certes peu éthique mais légal. De plus, comme détaillé par la Commission européenne, «tous les types de déclarations, informations, symboles, logos, illustrations et noms de marque, et leur interaction avec des couleurs, sur les emballages, étiquetages, publicités, dans tous les médias (sites web compris)» peuvent être concernés. Les possibilités de duperie sont donc multiples et les types de manipulation subtils afin de ne pas tomber sous le coup de la loi.
Les vrais engagements écologiques, chiffrables et sincères, existent certes. Toute la difficulté réside dans la possibilité de les différencier des arguments fallacieux dans un monde où les acteurs du marché ont parfaitement saisi l’attrait de la population pour la durabilité.
Impossible de faire le bon choix si tous les produits se prétendent écologiques.
Notion caméléon
La frontière entre communication environnementale et greenwashing – ou écoblanchiment – n’est pas nette. C’est ce qu’a démontré notre enquête en magasin. Désireux de savoir où se cachaient les pires exemples, les enquêteurs de la FRC ont sillonné les rayons à la recherche d’emballages qui jouent sur la notion écologique pour convaincre. Résultat: des exemples avérés de greenwashing, mais aussi des cas limites, voire des produits qui n’ont rien à se reprocher mais où l’allégation environnementale n’a pas convaincu.
Notre enquête a ainsi pleinement confirmé le constat de la Commission européenne qui révélait en 2014 que près de deux tiers des consommateurs ont du mal à comprendre quels produits sont réellement respectueux de l’environnement. Ce qui n’est pas étonnant lorsque l’on sait que des allégations sont présentes – légitimement ou non – sur 76% des produits non alimentaires de manière implicite ou explicite! A contrario, sachant que 63% des Européens pensent qu’un produit portant la mention «durable» est bénéfique à l’environnement et que cette proportion atteint 73% pour l’allégation «recyclable», on saisit bien pourquoi les fabricants et publicitaires usent et abusent de ces mentions valorisantes.
S’agissant des denrées, la situation est encore plus subtile car les allégations qui suggèrent un mode de production durable donnent également l’impression que le produit est bénéfique pour la santé. Le sondage de nos collègues du Bureau européen des unions de consommateurs a montré l’intérêt de la clientèle pour l’alimentation durable et 64% des acheteurs y prêtent attention. En Suisse, la croissance des ventes de produits bio montre aussi cet attrait. Un élément bien compris par les fabricants conventionnels qui tente d’en profiter en qualifiant leur produit de «naturel» ou de «pur».
Trop souvent, un emballage vert cache une qualité nutritionnelle médiocre.
Où est le problème?
Premièrement, l’écoblanchiment entrave la possibilité du consommateur de se tourner vers des produits durables. Pour cela, il doit disposer d’informations claires et fiables afin d’être en mesure d’identifier facilement le «bon» produit ou service. Lorsque démêler le vrai du faux est impossible, aucun levier n’incite à améliorer l’assortiment du marché.Or, les allégations environnementales sont omniprésentes au quotidien (voir notre deuxième enquête sur le greenwashing et notre série ci-après).
Ensuite, un produit considéré comme inoffensif pour l’environnement donne faussement l’impression de l’être aussi pour la santé. Ce qui fait peser un risque sur le consommateur moins vigilant à l’égard de ce type d’assortiment.
Troisième enjeu: le prix. Un bienfait pour l’environnement justifie souvent des majorations. Mais si le produit n’a dans les faits rien de plus que son concurrent, le client se fait tout bonnement avoir.
Finalement, c'est aussi un élément qui ne permet pas aux entreprises les plus vertueuses de se démarquer et entrave donc la concurrence sur le marché.
Cas emblématique de Valser
C’est limpide. La bouteille est verte, son design renvoie aux alpages de Heidi. L’étiquette est explicite: «boire Valser», c’est aussi «boire #pour le climat». Parce que, dit la marque, le produit est «climatiquement neutre – de la source jusqu’à toi». La campagne publicitaire sur les réseaux sociaux ou sur des affiches en format mondial présente, à choix, Jonas ou Karen. Lui «privilégie les produits régionaux – tout comme nous». Elle, occupée à de la couture, est une «fervente adepte du recyclage – tout comme nous». Précision est donnée qu’elle est «activiste pour le développement durable». Et on ne boude pas notre plaisir à évoquer encore ce concours pour gagner une voiture. Bon d’accord, pas n’importe laquelle, une Tesla modèle 3, 100% électrique.
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Cette boisson de table, qui a une place de choix dans la restauration, les hôpitaux, les bureaux fédéraux et à la maison, mérite un sérieux décryptage. La couleur de la bouteille et les montagnes qui vont avec sont un univers parfaitement suggestif. Le hashtag «boire #pour le climat» fait oublier l’écobilan catastrophique d’une eau embouteillée face à celle du robinet, tandis que la mention «climatiquement neutre» concerne surtout l’achat de certificats pour que la firme compense son CO2. Dans les faits, pas d’ambiguïté: la denrée n’est pas «la plus durable du pays», mais son contenant, à base de PET recyclé, est mieux valorisé. Et Jonas? L’ancien apprenti du coin ferait presque oublier que la marque suisse appartient à Coca-Cola, groupe que personne ne qualifierait d’entreprise de proximité.
Valser est un exemple parfait d’écoblanchiment. Mais il n’est pas le seul, et de loin.
La Valser est au greenwashing ce qu’est la fraise à la saisonnalité: un exemple emblématique.
Typologie du greenwashing
Payer pour compenser le CO2 ou planter des arbres: nombreuses sont les initiatives visant à minimiser l’impact environnemental de certains produits – particulièrement les plus polluants – et à donner à l’entreprise une image responsable. A l’instar de Shell, qui propose de payer un centime supplémentaire par litre de carburant pour protéger les écosystèmes et atteindre l’objectif «zéro émission nette». Rouler permettrait de lutter contre le dérèglement climatique?
L’emballage insiste sur le naturel des ingrédients et indique leur production durable sous forme de logo. Le visuel ressemble à un label sans l’être. Malgré les références à l’agriculture durable, les légumes ne sont pas de production biologique. La lecture de la composition montre par ailleurs que l’ingrédient principal, les pâtes, n’est couvert par aucun critère de durabilité.
Environnement verdoyant, fleurs, herbe ou montagne: ces références souvent implicites sont très présentes et servent de multiples objectifs. Associer une prairie à des produits carnés peut, par exemple, suggérer l’accès des animaux au pâturage, même si ce n’est pas le cas comme pour les poulets Optigal.
Les termes comme «nature» ou «pure» sont sans fondement précis et non réglementés, ils sont utilisés à toutva. Le rayon Nivea l’illustre parfaitement. Ces éléments rassurent, alors que beaucoup de produits «Pure & Natural » ou «Naturally Good» contiennent des substances indésirables.
Le point vert n’indique pas que le jus ni même son emballage seraient particulièrement durables mais simplement que la bouteille est recyclable… comme toute bouteille à boisson en PET. Le logo n’indique donc rien de particulier et détourne du fait que d’autres concurrents font mieux en utilisant du PET recyclé.
Le logo présent sur ce flacon donne l’impression que le produit possède un label de durabilité. Or il contient des agents conservateurs synthétiques (isothiazolinones) problématiques. Ici, seul le fabricant est labellisé.
L’exemple Oreo montre comment un élément particulier occulte le reste. Mettre en avant le programme concernant le cacao ne doit pas faire oublier l’absence d’effort pour 95% des ingrédients – dont une part importante d’huile de palme non certifiée.
On voit mal comment la qualité du ticket de caisse rendrait le contenu du caddie respectueux de l’environnement.
Les mots «durable», «pure», voire «100% naturel» sont les allégations les plus présentes sur les emballages alimentaires. En quoi cet article serait- il plus durable qu’un autre? Les ingrédients ne sont pas de production biologique.
UBS promet des cartes en plastique biosourcé recyclable avant de s’intéresser sérieusement à ses investissements dans les énergies fossiles. C’est l’exemple type de l’arbre qui cache la forêt.
Le logo fait référence à un programme pour la culture du blé sans être bio. Pourtant, l’ingrédient principal, le sirop de glucose-fructose, est ultratransformé et n’en fait pas partie. Avec 58% de sucres, chaque biscuit cache l’équivalent d’un morceau. La quantité journalière maximale totale de cinq morceaux pour un enfant de 4 à 7 ans est vite atteinte.
Certes, l’emballage du produit est recyclable. Toutefois, l’allégation est mal interprétée par le client pressé qui croit à du papier recyclé. De plus, la filière de recyclage pour ce type de plastique n’existe pas en Suisse.
Peu d’instruments à disposition
En Suisse, la personne qui donne des indications inexactes ou fallacieuses par le biais d’une publicité, d’un emballage ou de tout autre support peut être condamnée au titre de la Loi contre la concurrence déloyale (LCD). Il faut alors saisir la justice civile ou déposer une plainte pénale, les autorités ne procédant pas à un contrôle d’office (voir le détail dans notre dossier Poker menteur).
Ces procédures étant longues et coûteuses, le consommateur peut dénoncer ces faits à la Commission suisse pour la loyauté (CSL). L’institution, officiellement neutre et indépendante, a pour but de garantir l’autocontrôle de la publicité. La FRC y a d’ailleurs une représentante. Bien qu’elle n’ait pas édicté de règle spécifique au greenwashing, la CSL applique la LCD, qui exige que l’annonceur puisse prouver l’exactitude de ses assertions publicitaires – allégations environnementales comprises – sur demande d’un juge. Dans ce domaine, la CSL fonde aussi ses décisions sur les directives de la Chambre de commerce internationale qui précise les pratiques jugées acceptables.
Selon ce code de communication, «une allégation telle que respectueux de l’environnement ou sûr pour l’environnement, vert, durable, sobre en carbone ou autres allégations impliquant qu’un produit ou une activité exerce un impact nul – ou un impact positif – sur l’environnement, ne doit pas être utilisée sans explicitation, sauf s’il existe un niveau de preuve très élevé». Ce qui a mené la CSL à demander à certaines firmes de mieux expliciter leurs assertions en la matière.
Malgré ces éléments qui protègent théoriquement le consommateur, le pouvoir de la CSL est limité. D’abord, son rôle consiste principalement à édicter des recommandations s’il y a plainte. Ensuite, même si les décisions sont bien respectées par les entreprises, ces décisions donnent rarement raison au plaignant. La règle veut en effet que les assertions soient jugées selon «la manière dont le destinataire, à savoir le public cible déterminant, comprend le message publicitaire». Or la représentation du client moyen utilisée est discutable.
Dans le domaine alimentaire, la situation est heureusement mieux encadrée, car les mots «biologique », «bio» et «éco» ne sont autorisés que pour des produits issus d’une production dûment certifiée. Le mode d’élevage indiqué doit être correct, notamment celui des poules de ponte sur les cartons d’oeufs. Tout comme les autres prescriptions d’étiquetage, l’usage correct de ces expressions est contrôlé par les autorités cantonales d’exécution. Toutefois, beaucoup de termes très suggestifs comme «naturel», «durable» ou «équitable» disposent d’un cadre légal insuffisant.
L'Europe protège mieux
Les consommateurs sont mieux protégés en Union européenne, car celle-ci avance à pas de géant dans la lutte contre l’écoblanchiment. La Directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales entrée en vigueur en mars 2024 met déjà un accent particulier sur les allégations environnementales et interdit spécifiquement l’utilisation de certaines d’entre elles. Une autre directive est aussi en préparation dans le but de fixer des règles plus spécifiques sur la manière dont les entreprises présentent leurs allégations écologiques et sur les conditions que doivent remplir les labels environnementaux, afin que les allégations trompeuses n’arrivent pas sur le marché.
En outre, au moins huit Etats membres – dont la France et l’Italie – ont adopté leurs propres lignes directrices afin de compléter ces dispositions. Dans la plupart des cas, elles ont été élaborées en partenariat avec les acteurs du marché et les associations de consommateurs. Dans l’Hexagone, certains termes (durable, éco-conçu, naturel ou renouvelable, etc.) ont par exemple été définis, permettant d’encadrer l’action des publicitaires. L’utilisation de certains éléments d’exécution, tels que des images ou symboles pouvant suggérer des bénéfices environnementaux, est en outre interdite. Lorsque l’on sait l’impact de ces éléments sur la perception du consommateur, il y a de quoi jalouser nos voisins!
Revendications et pistes d’action
- Disposer de lignes directrices contraignantes élaborées en collaboration avec les associations de consommateurs.
- Encadrer les allégations environnementales:
- Approbation en amont avant de les autoriser à être utilisées sur le marché, à l’instar des allégations de santé dans l’alimentation.
- Vérification systématique du fondement scientifique des allégations.
- Établissement d’une liste noire des allégations impossibles à justifier. - Réguler aussi les visuels ou éléments sonores trompeurs (éléments d’exécution).
- Encadrer les labels écologiques pour réduire la confusion actuelle.
- Mettre en place, surtout pour le non alimentaire, une surveillance proactive en amont qui compléterait le système de plaintes actuel.
Ces éléments sont repris dans deux interventions parlementaires déposées en 2023:
- la première est un postulat demandant une analyse approfondie des allégations environnementales (p.ex. « neutre en CO2 » ou « écologique ») afin de les encadrer dans le cadre de la Loi sur la Protection de l’environnement (LPE);
- la seconde requiert la mise en place d’un groupe de travail incluant les organisations de consommateurs afin d’élaborer des lignes directrices permettant de lutter contre l’écoblanchiment publicitaire.
Elles font suite à une interpellation intitulée « Agir contre les allégations environnementales trompeuses » déposée à ce sujet en 2022. Les deux interventions ayant été liquidées faute d'avoir été débattues au parlement dans les deux ans impartis, la FRC a interpellé le Conseil fédéral en mars 2025, afin de lui demander s'il entendait prendre des mesures sérieuses contre la communication trompeuse. Las, celui-ci a répondu qu'il ne voyait pas la nécessité d'agir...
Au-delà de ces revendications spécifiques au greenwashing, la FRC s’engage pour un renforcement de l’efficacité de la Loi contre la concurrence déloyale (LCD) pour lutter contre la communication mensongère. Elle a lancé en 2025 son nouveau combat Poker menteur.