Agriculture

Vis ma vie de cochon

Les scandales liés aux conditions d’élevage ont ébranlé la Suisse romande. mais que trouve-t-on dans l’assiette? Zoom sur les pratiques indigènes et revendications de la FRC.

Alimentation Agriculture Enjeux collectifs Impact environnemental

Archive · 28 février 2018

Photos: Jean-Luc Barmaverain

C’est un fait, la plupart des 2,7 millions de cochons abattus en Suisse chaque année n’ont jamais vu un brin d’herbe de leur vie. Malgré ce que nous vendent les publicités, la filière est avant tout industrielle. A l’opposé de ce modèle se trouvent quelques rares exploitations pratiquant l’élevage au pâturage, comme celles que nous choisissons de montrer dans ce dossier. Selon l’Office fédéral de la statistique, seules 3871 bêtes ont vécu en milieu naturel en 2016, dont 1858 porcs à l’engrais. Pourquoi sont-ils si peu nombreux alors que cette philosophie répond a priori davantage aux attentes des consommateurs? Eclairage sur les avantages et les contraintes de chaque mode d’élevage.

ANTIBIOTIQUES | Les cochons de la filière industrielle passent généralement par différentes exploitations, l’élevage et l’engraissement étant de plus en plus souvent des activités séparées. Or, cette répartition des tâches implique une moins bonne situation sanitaire et mène à l’utilisation accrue d’antibiotiques à titre prophylactique. Car en milieu fermé, les épizooties sont favorisées par la ventilation et l’espace limité à disposition. Selon Hansuli Huber, directeur de la section technique de la Protection suisse des animaux (PSA), 42% des exploitations traitent ainsi les porcelets allaités, 86% les porcelets sevrés et 37% les porcs à l’engrais. Une pratique des plus problématiques à l’heure où le développement de bactéries résistantes constitue, selon l’Organisation mondiale de la santé, l’une des plus graves menaces pesant sur la santé.

Dans les exploitations pratiquant la mise au pâturage, la séparation des tâches est moins la norme et le fait que les animaux bénéficient de grands espaces extérieurs favorise leur résistance aux maladies. Souvent, ces fermes gèrent également de plus petits groupes d’animaux. Forte de vingt ans d’expérience dans l’élevage de porcs blancs en plein air, Caroline Steiner, exploitante avec son mari de la Ferme En Croix à Vullierens (VD), confirme que les maladies sont rares. «Nous devons en revanche être attentifs à celles qui pourraient être transmises par la faune sauvage et veillons à ce que les sangliers ne se mêlent pas à nos bêtes.» Du côté de Joan Studer, éleveur à Lucelle (JU), le constat est sans appel: «Je n’ai pas utilisé d’antibiotiques une seule fois en 2017. Seuls des vermifuges et un vaccin contre le rouget, une maladie infectieuse du porc qui peut aussi affecter l’homme par contact, sont nécessaires.»


Les Chappuis élèvent des porcs laineux, «race qui mérite d’être sauvegardée», souligne Valentin. Leur élevage est long et leur viande est d’autant plus prisée qu’elle est rare.

96% de la viande de porc est indigène.

POLLUTION DES SOLS | Le grand atout de l’élevage industriel est sans conteste la préservation des sols de toute contamination. En effet, le bitume des porcheries et des courettes a l’avantage de permettre de canaliser les déjections des bêtes, évitant ainsi que les nitrates ne s’infiltrent dans les terres ou polluent les rivières. Les exploitations en milieu naturel peuvent se révéler plus problématiques de ce point de vue et exigent en tous les cas une attention permanente de la part des éleveurs. Car instinctivement, la plupart des cochons, toutes races confondues, fouillent la terre avec leur groin et labourent les terrains, ce qui permet aux déjections de s’y infiltrer. Pour respecter la Loi sur la protection de l’environnement, les producteurs qui détiennent leurs animaux en terres arables doivent donc changer régulièrement leur enclos d’endroit. Ce que confirme Valérie Chappuis, éleveuse de porcs laineux à Lussery-Villars (VD): «Pour éviter qu’ils ne creusent trop, nous devons déplacer les parcs et faire un tournus. C’est possible, car étant agriculteurs, nous avons la chance d’avoir une immense place à disposition et les surfaces de pâture sont choisies dans le cadre de la rotation des cultures.» A Vullierens, Caroline Steiner confirme que malgré le fait que les cochons remuent et retournent le sol, les dégâts sont limités car les terres seront travaillées et cultivées par la suite. Elle ajoute que cela a l’avantage d’enrichir la terre grâce aux déjections et au fumier produit par le troupeau. «De plus, faire pâturer les bêtes leur permet de s’occuper d’une façon variée avec ce qu’elles trouvent sur place, contrairement aux cochons élevés conventionnellement. La pâture n’apporte pas un grand supplément à l’alimentation mais permet de détenir les animaux d’une manière respectueuse et de satisfaire leur comportement inné d’explorateur et fouisseur.» On le voit, élever ses porcs en milieu naturel est exigeant.


«Le soin apporté à nos porcs de pâturage est plus exigeant. On passe davantage de temps avec eux, mais c’est un choix éthique dont nous sommes fiers», souligne Eliott Steiner.

BIEN-ÊTRE ANIMAL | Dans la filière industrielle, les porcs vivent en général cinq à six mois, le temps de dépasser les 100 kg. Légalement, même si les normes suisses en matière de bien-être animal sont parmi les plus strictes au monde, ils n’ont droit qu’à un espace restreint et les sorties en plein air ne sont pas obligatoires (lire encadré plus bas). Les exigences changeront au 1er septembre – offrant davantage d’espace aux cochons et interdisant le caillebotis intégral, ce sol grillagé où passent les excréments, dans les porcheries – mais la réalité de l’engraissement de ces animaux changera peu.

1858 porcs ont été engraissés en milieu naturel en 2016.

Deux tiers des bêtes bénéficient toutefois de conditions de vie légèrement meilleures grâce à des programmes facultatifs auxquels peuvent participer les porchers en contrepartie de subventions fédérales (lire les programmes SST et SRPA). Dans les faits, la moitié des animaux ont ainsi un accès à l’extérieur, même si celui-ci est généralement très limité.

A l’inverse, les éleveurs de porcs en milieu naturel permettent aux bêtes de se déplacer à leur guise dans de vastes enclos offrant 200 m2 par bête en général. Sachant que le bien-être, tel que défini dans la Loi sur la protection des animaux (LPA), spécifie que celui-ci est réalisé lorsqu’ils ont la possibilité de se comporter conformément aux besoins de leur espèce, le pâturage correspond davantage à la nature du cochon que la captivité. Malheureusement, les normes légales ont visiblement été développées uniquement dans le but d’améliorer le bien-être des bêtes de la filière industrielle et aucune incitation n’existe pour pousser les éleveurs à pratiquer le pâturage.


A Lussery-Villars, joie des premières neiges pour les plus jeunes qui pâtureront deux ans sur l’exploitation. Cette race ancienne et rustique est une délicatesse rare dans l’assiette.

De plus, les producteurs dont les bêtes mettent à mal les sols sont confrontés à un problème quasi insoluble. Selon la configuration de l’exploitation, il n’est pas toujours possible de déplacer régulièrement l’enclos, d’où un dilemme entre la volonté de garder les animaux dehors et la nécessité de les enfermer pour respecter les normes environnementales. Pour empêcher les bêtes de creuser la terre, une solution consisterait à leur poser une boucle nasale ou une agrafe dans le groin. Cette pratique est toutefois interdite par la LPA depuis 2008. Fouiller la terre faisant partie de l’instinct du cochon, l’en empêcher est considéré comme de la cruauté. Certains éleveurs – à l’instar du couple Studer de Lucelle (JU) – se trouvent ainsi dans une situation kafkaïenne puisqu’au final, la LPA les pousse à enfermer les bêtes.

 

PRIX | Quel prix pour du cochon industriel comparé à une viande élevée en milieu naturel? Difficile de comparer. Le porc de pâturage est souvent de race rustique alors que le porc industriel est un porc blanc. D’autant que les premiers sont abattus après 18 mois d’engraissement au moins pour seulement 6 mois pour les seconds. Surtout, la viande d’une race rustique n’est pas semblable.

On note toutefois des tendances. Prenons l’exemple du prix au kilo du filet mignon pour comparaison. Aldi propose actuellement une viande sans label à 36 fr. 90. Labellisée Suisse Garantie, elle est à 56 fr. 50 chez Coop, alors qu’elle ne coûte que 44 fr. 50 chez Migros, même si le label Terra Suisse est plus exigeant (lire ci-dessous). Chez la famille Steiner, le porc blanc de pâturage revient à 48 fr., alors que le Naturafarm de Coop est à 58 fr. 50. Aux Saveurs du Coin des Chappuis, le «Patte noire», délicatesse rare, se vend 90 fr. Ainsi, lorsque l’on compare les conditions d’élevage et le produit fini, payer le double du prix standard ne paraît pas exagéré. Surtout qu’en matière de consommation de viande, la FRC prône le «moins mais mieux».

2,7 mio de porcs sont abattus chaque année en Suisse.

Des questions à réétudier selon la FRC

De plus en plus de consommateurs sont sensibles aux conditions d’élevage des animaux. Or, il ne reste aujourd’hui qu’une poignée de cochons engraissés en milieu naturel. Pis, leur nombre a même diminué de 50% entre 2012 et 2016. Au vu des nombreux atouts de l’élevage au pâturage, la FRC estime que certaines questions doivent être reposées dans le but de comprendre comment le promouvoir davantage. D’abord, la souffrance et le respect du comportement naturel des bêtes engraissées en milieu fermé devraient être réévalués en regard de l’avantage du pâturage. Ensuite, les différences potentiellement existantes entre les races rustiques et les porcs blancs devraient également être examinées afin de savoir si la captivité correspond plus aux unes qu’aux autres. Finalement, et bien que l’interdiction de la pose d’une boucle ou d’une agrafe dans le groin soit une victoire obtenue de haute lutte par la Protection suisse des animaux (PSA), il est sans doute à propos de réétudier cette question afin de savoir si, du fait qu’elle facilite la mise au pâturage, il ne s’agit pas d’un mal pour un bien.

D’autant que l’expérience du couple Studer – qui avait bouclé ses bêtes jusqu’à ce que le canton l’interdise – tend à montrer que les boucles ne contrarient pas forcément l’instinct des porcs: ils ne creusent certes plus la terre, mais fouillent les feuilles ou la paille et s’occupent comme le demande la PSA. Ainsi, dans le cas où il serait prouvé que les bêtes ne souffrent pas, il pourrait être intéressant d’intégrer dans la législation des dérogations à l’interdiction des boucles nasales pour les producteurs qui pratiquent la mise au pâturage. Sans cela, l’élevage en milieu naturel, au vu des contraintes qu’il pose, est voué à disparaître ou à rester un marché de niche. Une évolution qui va à l’encontre de ce que demande la PSA, ainsi que beaucoup de consommateurs selon les témoignages que la FRC reçoit régulièrement.


A Vullierens, les porcs blancs sont dehors été comme hiver, se déplaçant régulièrement au rythme de la rotation des cultures. Un espace abrité paillé, du grain à volonté: un cinq-étoiles!

Porcs à l'engrais: que dit la loi suisse?

MINIMUM LÉGAL | 32% des cochons sont élevés selon les exigences de l’Ordonnance sur la protection des animaux (OPAn). Celle-ci implique une surface totale par cochon de 0,65 m2, laquelle passera à 0,90 m2 dès le 1er septembre. A cette date, le caillebotis intégral devra avoir été remplacé par une surface avec une faible proportion de perforations pour l’écoulement des liquides. Un accès permanent à l’eau et à des matériaux d’occupation doit être fourni, ainsi que la possibilité de se rafraîchir par temps chaud. La lumière du jour est obligatoire, mais ni accès à l’extérieur ni litière ne sont exigés.

SST = LUMIÈRE NATURELLE | 66% bénéficient de «systèmes de stabulation particulièrement respectueux des animaux» (SST). Ce programme facultatif de la Confédération permet aux producteurs de bénéficier de paiements directs en contrepartie de l’amélioration des conditions de détention définies dans l’OPAn. Si les surfaces à disposition restent identiques, les bêtes ont une aire de repos non perforée recouverte de paille ou d’autres types de litière. Bien qu’aucun accès à l’extérieur ne soit exigé, une lumière naturelle d’une intensité d’au moins 15 lux est obligatoire.

SRPA = AIR EXTÉRIEUR | 51% profitent du programme de «sorties régulières en plein air» (SRPA) qui exige que les porcs puissent sortir plusieurs heures par jour. Bien que l’Ordonnance sur les paiements directs mentionne «une aire d’exercice ou un pâturage», la réalité du plein air correspond le plus souvent à des courettes à ciel ouvert avec un revêtement dur. Les bêtes peuvent ainsi juste s’aérer. Malgré tout, cet accès à l’extérieur offre à chaque animal une surface supplémentaire de 0,65 m2. Le programme exige également une aire de repos non perforée à l’intérieur. Des conditions sensiblement meilleures que le minimum légal. Renseignements pris auprès de l’Office fédéral de l’agriculture, la plupart des éleveurs cumulent la participation à SST et SRPA: les porcs sont ainsi 61% à bénéficier des deux programmes.

Labels: quelle viande dans la barquette ?

Beaucoup de labels exigent des éleveurs qu’ils participent aux programmes SST et SRPA. C’est notamment le cas de IP-Suisse, Terra Suisse (Migros), Coop Naturaplan, Coop Naturafarm, Nature Suisse (Aldi), Terra Natura (Lidl) et Agri Natura (Volg, Vis-à-vis, Agrola Top shop). A l’inverse, Suisse Garantie n’exige que le minimum légal de l’OPAn. Bio Suisse demande au minimum le programme SRPA. Pour le consommateur, la plupart des labels sont donc déjà la garantie d’un élevage plus respectueux.

Chez le boucher? Certains s’approvisionnent auprès de petites structures, d’autres auprès de Micarna (Migros) et Bell (Coop) qui abattent jusqu’à 1,4 million de bêtes par an. Le type d’élevage dont est issue la viande est donc très variable. Pour une transparence et une traçabilité sans faille, le mieux est encore de favoriser les circuits courts.

23 kg de viande porc sont consommés par personne et par an en Suisse.

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