5.12.2017, Sandra Imsand
Les professionnels de la branche ne sont pas tous au clair avec le bon usage des huiles essentielles et leurs contre-indications parfois néfastes. Enquêtes dans les officines.
«C’est bien de voir le regain d’intérêt pour les huiles essentielles (HE), se réjouit Michèle Clément-Pralong, médecin et fondatrice de l’Ecole romande d’aromathérapie à Lausanne. En 2011, l’école ne proposait que dix jours de formation. Cette année, nous en dispensons 260.» Cependant, la spécialiste est plus circonspecte quant aux conseils qu’elle glane ici et là. «Je suis parfois effarée par la composition de certaines recettes, ou de lire qu’il faut ajouter de la cannelle à l’eau du bain, alors que cette huile est dermocaustique (irritant cutané dont le contact peut entraîner des brûlures de la peau et des muqueuses, réd.).» Dans ce domaine, tout est délicat, en matière de dosage comme de conseil. Une erreur peut se payer très cher. «Il y a même eu des morts suite à une mauvaise utilisation.»
Intoxications en hausse
Le nombre d’intoxications dues aux HE est en hausse. En Suisse, Tox Info a reçu 574 appels concernant ces produits en 2014, chiffre qui est passé à 618 en 2016. Les enfants sont les plus touchés, mais les chiffres sont stables (439 cas en 2014, 440 en 2016); chez les adultes, en revanche, la progression est réelle (135 à 178 appels). «Il s’agit souvent d’ingestion involontaire», explique Katharina Hofer, médecin cheffe de clinique à la fondation. Une huile essentielle n’est pas anodine. Et pourtant on les commercialise un peu partout: en pharmacie, sur les marchés, en grande surface, sur internet. Il est donc indispensable que les professionnels qui les vendent soient informés de leurs vertus et dangers. C’est dans cette optique que la FRC a fait appel à ses enquêteurs de terrain pour s’assurer que les conseils dispensés en pharmacie ne conduisent pas à des situations problématiques.
Trois scénarios-pièges
Avec l’aide de l’Ecole romande d’aromathérapie à Lausanne, nous avons donc établi trois situations dans lesquelles une erreur peut avoir des conséquences néfastes. Dans le premier scénario, il s’agissait de vérifier si le pharmacien connaissait la différence entre l’hysope officinale, très toxique, et l’hysope couchée, sans contre-indication pour un problème des voies respiratoires. Le deuxième scénario voulait voir si le professionnel faisait la distinction entre la sauge officinale, neurotoxique et extrêmement critique à utiliser, et la sauge sclarée, utilisée pour lutter contre les troubles liés au cycle féminin. Le troisième scénario cherchait à évaluer si le spécialiste maîtrisait les chémotypes (entités chimiques distinctes) au sein d’une même espèce botanique. Ici le thym. Selon l’altitude où elle pousse, cette plante aromatique synthétise des molécules différentes. Ainsi, le thym linalol se prête particulièrement bien au traitement des refroidissements, même en cas de grossesse; le thym thymol est, lui, contre-indiqué chez l’enfant et chez la femme enceinte car il stimule les contractions. Mais comme il est largement moins cher que le linalol, une personne pourrait le préférer pour gagner quelques sous, sans se rendre compte de la différence. D’où l’intérêt d’un professionnel bien formé pour la renseigner.
Nos clients mystères ont visité 34 pharmacies dans les cantons de Genève, de Fribourg, du Valais, de Neuchâtel et de Vaud. Il s’agissait aussi bien de chaînes que d’enseignes indépendantes. Ils devaient sélectionner une huile problématique (hysope officinale, sauge officinale ou thym thymol) et demander si le produit était bien indiqué pour l’utilisation qu’ils voulaient en faire. Chaque scénario a été testé dans au moins neuf établissements différents.
Des résultats refroidissants
Hélas, l’écrasante majorité des enseignes n’a pas su déjouer les pièges de nos clients mystères ou les réponses sont restées approximatives. «Je n’imaginais pas à quel point les pharmacies connaissent mal les huiles essentielles ou mélangent les informations», a constaté Michèle Clément-Pralong à la lecture des résultats. Pour les femmes enceintes, la plupart des pharmacies déconseillent d’office les huiles essentielles et recommandent l’homéopathie, la phytothérapie ou des médicaments traditionnels pour soigner un refroidissement. Dommage, estime notre experte. Car si certaines HE sont bien utérotoniques et abortives, d’autres sont parfaitement adaptées. A condition de donner des informations appropriées!
La réaction d’une pharmacie fribourgeoise a particulièrement interpellé notre médecin FMH aromathérapeute. Quand l’enquêteur a demandé si les informations dont il disposait sur la sauge officinale étaient exactes, la pharmacienne a répondu ne pas connaître les vertus des huiles car elles ne sont vendues que dans le but d’être utilisées avec un diffuseur. «Comment se fait-il que cette pharmacie en vende, alors qu’elle ne peut être d’aucune aide?», s’étonne la doctoresse.
Certaines officines sont également tombées dans le panneau, délivrant des informations fausses et dangereuses. Dans une enseigne genevoise, le personnel a été de très mauvais conseil à deux reprises, pour deux huiles neurotoxiques différentes. Et pourtant, la personne avait pris le temps d’aller vérifier ses fiches dans l’arrière-boutique avant de revenir avec des renseignements complètements erronés! Un vrai danger. A Neuchâtel, une jeune assistante en pharmacie a lu les indications figurant sur le côté de l’emballage, sans paraître comprendre les notions «abortif» et «neurotoxique». Elle a simplement dit à l’enquêtrice de «faire attention, car les huiles essentielles peuvent être irritantes». Pas mieux en Valais, où un pharmacien a proposé de commander les produits qu’il n’avait pas en stock, sans indiquer qu’ils étaient toxiques et non adaptés. Là encore, carton rouge!
Plus problématique, certains établissements pourtant spécialisés dans les huiles essentielles sont aussi tombés dans le panneau. Et pourtant, dans un cas, l’assistante en pharmacie s’était absentée près d’un quart d’heure avant de revenir avec une information erronée…
Quelques bonnes réactions
Parmi les rares pharmacies à tirer leur épingle du jeu, six ont immédiatement reconnu la dangerosité du produit, recommandant une autre huile parfaitement adaptée aux circonstances imposées dans le scénario. Quatre ont su déceler le piège, mais sans proposer d’alternative. Un bilan peu glorieux… «Un pharmacien est tenu de connaître les produits qu’il vend, estime Michèle Clément-Pralong. Il y en a bien sûr beaucoup, il est difficile de tout maîtriser. Mais tout professionnel devrait connaître les huiles les plus toxiques, à savoir le thuya, l’armoise, la lavande stoechas, la sauge officinale et l’hysope officinale. Pour ces dernières, il devrait impérativement y avoir des renseignements précis sur leur utilisation: les indications thérapeutiques, pour quel public, les contre-indications et les précautions d’emploi. C’est le minimum.»
Lire à ce sujet le commentaire de Laurence Julliard.