Poker Menteur

Prouvé par la science: vraiment?

«Testé dermatologiquement», «recommandé par les dentistes», «efficace 48 h»: les termes et les chiffres impressionnent ou rassurent. Que valent ces promesses sous leur vernis scientifique ? La FRC a envoyé ses enquêteurs de terrain partout en Suisse romande.

Enjeux collectifs Impact environnemental Transparence Cosmétiques

06 mai 2025

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Exit une déclaration aussi vague que «Améliore la santé cardiovasculaire», remplacée par un convainquant «réduit le cholestérol de 10% après quatre semaines d’utilisation». Sans que nous en soyons toujours conscients, les références pseudo-scientifiques influencent nos choix de consommation. Elles ont leurs spécificités comparées à une allégation classique: chiffres, études ou mots techniques permettent d’étayer une promesse et semblent la différencier d’un simple message publicitaire.

Consciente de l’existence de ce genre d’arguments, la FRC a voulu cerner leur utilisation par les fabricants de la manière la plus objective qui soit. Elle a mobilisé son réseau d’enquêteurs de terrain, leur demandant de scruter les rayons à la recherche de termes à connotation scientifiques sur et autour des produits dans les grandes surfaces (Aldi, Denner, Coop, Lidl, Manor, Migros, Müller et Otto’s) ainsi que dans des pharmacies et parapharmacies dans sept cantons.

Dix-neuf clients mystères ont examiné les produits cosmétiques, d’hygiène, liés à la contraception, antiparasitaires, ménagers ou encore les snacks ou alicaments pour y dénicher des éléments qui apporteraient une caution scientifique au produit. Par exemple une promesse d’efficacité, la recommandation d’un organisme spécialisé ou reconnu, voire un pourcentage censé donner à l’article un avantage sur un concurrent. Le but était de voir dans quels rayons se trouvait la plus grande concentration de ces articles.

«Les allégations inscrites en tout petit ne facilitent pas le travail de recherche sur le terrain.»

Sandra Imsand

Responsable Enquêtes

Mais aussi de repérer les arguments les plus fréquents et les plus farfelus, afin de demander des comptes aux fabricants et de mesurer la qualité de leur réponses. En mars dernier, les enquêteurs ont recensé 353 articles. Un travail de fourmi. «Cette mission prend beaucoup de temps, car les allégations ne nous sautent pas aux yeux. Elles sont majoritairement écrites en toutes petites lettres», souligne un Jurassien. D’autres font le même constat: indications nombreuses sur les emballages, souvent en petits caractères, avec des tailles et des polices différentes, astérisques qui ne mènent parfois même nulle part, textes exclusivement en allemand ou en anglais. Une enquêtrice a même relevé une crème de jour présentant des explications en huit langues – mais pas en français.

Utilisation massive

Chiffres

L’analyse des produits identifiés montre une forte concentration dans la catégorie hygiène-beauté (60%), suivie par les produits ménagers. Les références à la science visent le plus souvent à rassurer sur l’efficacité ou la tolérance au produit, appuyées par des chiffres (au moins 185 mentions), des tests cliniques (plus de 100) ou des recommandations de la part de professionnels (45), voire les trois à la fois. La cible? Tout indésirable à éradiquer sans effort et en un minimum de temps: odeur, tache, ride, bouton, bactérie, parasite, etc. Les références à une composition naturelle sont également nombreuses (136 mentions), souvent associées à des garanties de biodégradabilité.

Le médical s’invite aussi dans les symboles utilisés, voire les noms des marques: croix vertes de pharmacie, appellations contenant «med», «pharma», «clinique» ou «laboratoire» pullulent et renforcent l’aura scientifique.

La Loi contre la concurrence déloyale (LCD) stipule que toute allégation doit reposer sur une base concrète. L’annonceur doit être en mesure de présenter les preuves ou les études scientifiques sur lesquelles sont basés ses arguments, afin que ceux-ci ne soient pas considérés comme trompeurs.

Fabricants pas pressés de répondre

La FRC a donc demandé à une trentaine de fabricants de justifier les affirmations relevées sur une quarantaine de produits en tout genre, tous types de promesses confondues. À ce jour, quinze ont répondu. En revanche, la qualité des réponses était au rendez-vous, 70% ayant été jugées satisfaisantes. Surtout, aucune assertion ne s’est révélée totalement infondée. Un bon point.

Autre point positif, certains termes sont explicités directement sur les emballages. Bien que parfois peu lisibles – comme relevé par les enquêteurs –, astérisques et petits caractères suffisent dans certains cas à en comprendre le sens. Ces éléments, croisés avec les
réponses des fabricants, nous ont permis d’élaborer un décryptage des allégations les plus courantes (lire six fiches ci-dessous).

Ces allégations sont omniprésentes parce que la science inspire confiance. Ce lexique joue sur deux biais cognitifs bien connus en neurosciences et utilisés par les spécialistes marketing: le biais d’autorité et celui de croyance. Le premier désigne la tendance à accorder une confiance excessive à une figure perçue comme légitime dans un domaine spécifique (un médecin, p. ex.). L’aura de compétence entourant des personnes considérées comme expertes peut conduire à ne pas questionner leurs recommandations. Le second implique que notre cerveau a tendance à privilégier les informations qui confortent des croyances préexistantes. Il pousse à accepter comme vraie une information qui répond à ce que l’on attend. Ainsi, si l’on compte d’un déodorant qu’il neutralise les mauvaises odeurs, on sera enclin à croire une affirmation comme «efficace pendant 48 h».

Développer son œil critique

Le Prix Nobel Daniel Kahneman a démontré que 95% des décisions découlent d’un mode de pensée non rationnel et sont donc sujettes à ce type de biais. Ces raccourcis mentaux peuvent rapidement faire adhérer sans recul à une allégation si elle «sonne scientifique» – surtout si elle est chiffrée. Car les chiffres ont une force particulière. Dire qu’un produit «élimine 99,9% des bactéries» n’a pas le même effet que «agit efficacement contre les bactéries». Recourir à des pourcentages ou à des résultats de tests en laboratoire offre un socle d’autorité difficile à remettre en question.

Qu’on le veuille ou non, ces arguments influencent bel et bien la perception des produits. Les analyses menées suite à ce travail de terrain montrent qu’ils ne sont que rarement mensongers, mais qu’ils enjolivent souvent la réalité – sur des bases parfois très fragiles. D’où l’importance de les décrypter pour déjouer les biais cognitifs auxquels ils font appel. Encore faut-il en avoir la possibilité au moment de l’achat. Or il est souvent nécessaire de contacter les fabricants pour comprendre le fond des promesses avancées. Une mission impossible si, comme l’enquête le démontre pour une moitié d’entre eux, ils ne répondent pas. Et encore moins à un particulier en train de faire ses courses!

«Ces allégations jouent habilement sur nos biais pour orienter nos choix. En avoir conscience, c’est déjà les déjouer.»

Laurianne Altwegg

Responsable Environnement

Autre leçon tirée de ce travail, nos enquêteurs ont appris à lire les emballages avec un œil plus critique. Ils ont aussi parfois fini par douter de tout: entre les labels reconnus et vérifiés et les allégations fantaisistes et non fondées, la frontière s’est révélée floue. Certains ont déclaré observer désormais les produits de leur quotidien sous un jour différent. «Plus jamais je ne regarderai le rayon cosmétiques de la même façon», soupire une enquêtrice.

Ces résultats confirment plus que jamais la nécessité d’un meilleur encadrement du marketing, afin de garantir une information fiable et transparente. C’est d’ailleurs un combat 2025 de la FRC. Intitulé «Poker menteur» (lire l’exemple du mois en p. 18), il vise à renforcer les moyens de lutter contre la communication trompeuse. Les analyses des relevés d’enquête se poursuivent d’ailleurs et la FRC n’exclut pas de signaler certains cas douteux à la Commission suisse pour la loyauté. Objectif: mettre fin au bluff de ces sociétés qui nous font des promesses trop belles pour être vraies.

Allégations les plus courantes

Cette mention peut couvrir des protocoles très variables. Comme l’entreprise Dermafora l’a expliqué à la FRC, cette allégation «signifie que le produit a été testé sur des humains sous la supervision d’un professionnel médicalement qualifié ou d’un autre professionnel scientifiquement qualifié selon un protocole clinique ou dans un cadre clinique». Dans les faits, la FRC a constaté que les tests (qu’ils soient dermatologiques, ophtalmologiques ou autres) se résument souvent à observer la réaction d’un petit panel de volontaires (entre 10 et 20) à un produit. Si certains tests sont heureusement plus larges, il est rare de pouvoir l’apprendre à la simple lecture de l’emballage.

Comment expliquer la présence massive d’articles revendiquant plus de 90% d’ingrédients naturels? Grâce à l’eau, souvent premier ingrédient de la composition et prise en compte dans le calcul. Une information que les fabricants ont confirmée et qui est parfois mentionnée sur l’emballage. Le problème: non seulement les ingrédients restants peuvent être des substances indésirables, mais surtout cela tend à faire oublier que «naturel» n’est pas synonyme de «bon pour la santé».

Médecins, dermatologues, mamans ou barbiers: nombreux sont ceux qui «recommandent» des produits. Mais il est souvent impossible de vérifier le fondement de ces mentions, faute de réponse de la part des marques concernées.

Cette mention désigne parfois l’ensemble du produit, parfois un seul composant. Ce qui est rarement précisé. Elle peut aussi induire en erreur, à l’instar des lingettes de Sanytol dont le tissu est certes biodégradable, mais pas le désinfectant dont il est imbibé. Cela prête également à confusion pour les lessives et les détergents. Comme le rappelle le Centre suisse d’écotoxicologie appliquée, alors que légalement «les tensioactifs utilisés doivent être entièrement biodégradables, les composants organiques non tensioactifs n’ont pas à répondre à cette exigence. Les lessives et produits de nettoyage peuvent donc contenir des substances qui s’accumulent dans l’environnement.» Ainsi, une lessive qui affiche un 100% biodégradable peut parfaitement contenir des composants – parfums, colorants, conservateurs – qui ne le sont pas et sont même néfastes.

Les slogans relatifs à l’efficacité des déodorants sont courants, mais sur quoi reposent-ils? Chez Lidl, l’efficacité «48 h – clinically tested» de l’article Cien pour homme est établie sur la base d’un «sniff test» réalisé sur 18 cobayes: une personne formée renifle à l’aveugle une aisselle avec et sans déodorant et mesure l’effet du produit sur l’odeur corporelle après 24 et 48 heures. Si l’enseigne n’a pas souhaité détailler sa méthodologie, ce type de test est fréquent dans le domaine. D’autres allégations laissent songeur, comme les «bandes amincissantes drainantes» de Collistar qui promettent à plusieurs reprises une «efficacité immédiate». Bien que le fabricant soit en mesure de prouver un léger effet après la première application, il précise noir sur blanc dans sa réponse que «le produit n’a pas d’action amincissante» sur certaines parties de la jambe, uniquement drainante. De quoi s’interroger sur beaucoup d’arguments de ce type.

Les fabricants sont très créatifs pour inventer des mots permettant de démarquer leur produit de la concurrence. Par exemple, des vitamines C «ultraoptimized», résultat d’un processus de production différent, selon son fabricant. Ou encore un complément alimentaire indiquant «ultraextract +73%», formule qui fait référence à l’amélioration de la méthode d’extraction qui a permis à la marque de «réduire le volume des ampoules d’un tiers».

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