Manger cru
La lactofermentation, pour ravigoter papilles et organisme
Archive · 25 mars 2020


Sandra Imsand
Journaliste
La lactofermentation est une pratique ancestrale utilisée dans de nombreuses cultures culinaires et sur tous les continents: la choucroute est une lointaine cousine du kimchi coréen. Le processus est aussi à l’oeuvre dans le yogourt, certaines bières, le nuoc-mam vietnamien ou la sauce anglaise Worcestershire. Aujourd’hui, les adeptes des nouvelles tendances ne jurent que par cette technique. Finis les extracteurs de jus, les bols à base de quinoa, les toasts à l’avocat, la cure d’oléagineux. Les cours sur le sujet sont pris d’assaut et nombreux sont ceux qui tentent l’expérience à domicile.
«Les aliments fermentés permettent d’absorber des probiotiques, dont certains passent la barrière digestive, et des prébiotiques, qui nourrissent et entretiennent les bactéries du microbiote intestinal. Les bactéries lactiques améliorent la disponibilité et la digestibilité des fibres.»
Christine Brombach, professeure à la Haute Ecole zurichoise des sciences appliquées
Qui dit fermentation dit matière vivante. Le processus chimique est complexe au niveau moléculaire, mais simple à comprendre: une bactérie dégrade les glucides et les transforme en acide lactique, donnant un goût aigre-acidulé et transformant la qualité nutritive des aliments. Cela peut faire peur ou paraître étrange à certains, tellement le consommateur est habitué à avoir dans sa cuisine aseptisée des produits industriels pasteurisés et réfrigérés. Pourtant, les avantages sont nombreux: conservation prolongée des denrées, facilité de préparation, faible consommation d’énergie puisque sans stockage au frigo, bienfaits pour la santé. De plus, la méthode est extrêmement économique: de l’eau et un peu de sel suffisent à la recette de base. Le dernier atout n’est pas qu’alimentaire: en n’utilisant que quelques bocaux en verre, bon nombre d’emballages disparaissent. Petit guide pour mieux saisir cet univers suri, et rencontre avec Christine Syrad, alias Fermentable, ainsi qu'avec Funambuline.
Préparer ses conserves en six étapes
L a technique ne nécessite que peu d’ingrédients, se prépare en quelques minutes et est quasiment inratable. Il existe deux façons de réaliser des conserves lactofermentées.
AU SEL OU À LA SAUMURE | Le premier procédé convient mieux aux légumes finement hachés ou tranchés, qui lâchent déjà un peu de jus dans le processus, comme la carotte, la betterave, le chou. Les légumes entiers ou fragiles – les cornichons, les tomates entières ou les herbes aromatiques (l’ail des ours, de saison, se prête par exemple très bien à la lactofermentation) – sont, eux, plutôt conservés dans la saumure. L’eau utilisée doit être exempte de chlore pour permettre le processus. Celle du robinet convient bien, à condition de la laisser reposer plusieurs heures, ou de l’avoir bouillie puis refroidie. Le choix du sel a aussi son importance. Il faut le privilégier non iodé et sans aucun additif.
MODE D’EMPLOI | Tout d’abord, choisir son ou ses légumes ainsi que ses épices. Dans ce registre, tout est possible: cumin, ail, oignon, échalote, poivre entier ou moulu, curcuma, laurier, baies de genévrier; il faut tester plusieurs recettes pour découvrir quelles sont ses associations favorites. Pour la macération au sel, ajouter l’équivalent de 1% du poids des légumes en condiment et malaxer plusieurs minutes dans un bol. Par osmose, le sel fera sortir l’humidité du légume. Transvaser dans un bocal à fermeture à joint bien propre, écraser encore avec un pilon ou une cuillère en bois pour faire ressortir le jus. Les légumes doivent être couverts d’une petite couche de liquide. Au besoin, rajouter un peu d’eau salée et/ou un poids dans le bocal, comme un couvercle en verre ou une petite soucoupe pour que les légumes restent immergés et éviter les moisissures de surface. Pour la méthode à la saumure, dissoudre 3% du poids de l’eau en sel et recouvrir les légumes préalablement disposés dans un bocal à joint. Là aussi un poids peut être utile.
CONSERVATION | Bien fermer le pot et le disposer sur une assiette ou dans un plat à feu, à température ambiante, mais pas exposé au soleil. Le processus de fermentation peut débuter. Des bulles, le joint qui chuinte, le liquide qui se trouble, le bocal qui déborde? Tout cela est normal, ce sont les premiers signes d’une étape dite de démarrage qui dure entre cinq et sept jours, selon la température. Ensuite de quoi, le bocal doit encore être entreposé deux semaines au minimum à une température un peu plus fraîche (une cave, un garage, pas au frigo). La conservation est alors terminée. Le résultat se garde de nombreux mois, voire des années.
PRÉCAUTIONS | Les stades d’évolution peuvent avoir lieu très différemment en modifiant un seul paramètre: la température de la cuisine, le pourcentage de sel, le pH de l’eau utilisée, la qualité du légume, etc. Ces critères changent d’une cuisine à l’autre et d’une saison à l’autre, ils ont leur influence sur la durée des stades de fermentation. Si le processus de fermentation lactique réussit dans l’écrasante majorité des cas, il est conseillé de sentir le contenu du bocal avant dégustation. S’il dégage une odeur repoussante, poubelle! La fermentation donne une odeur vinaigrée, piquante, presque pétillante aux légumes.
Des bactéries amies
A lors que nous tentons de nous défendre d’une invasion de coronavirus, le corps humain vit en parfaite symbiose avec cent mille milliards de bactéries, de virus et de champignons. La plus grande part est abritée par le système digestif. Explications.
Il y aurait dix fois plus de bactéries que de cellules humaines dans notre corps. Le microbiote intestinal se forge progressivement dès la naissance pour être mature vers l’âge de 3-4 ans. Il est d’une complexité inouïe, observable depuis qu’il est possible d’analyser l’ADN des bactéries pour les identifier précisément. Sa composition dépend de l’individu, de sa nourriture et de son environnement. Elle peut évoluer avec des changements de régime alimentaire ou des traitements antibiotiques à répétition.
Fonctions multiples
Les fonctions digestives du microbiote permettent de métaboliser les graisses, de transformer les fibres alimentaires non digestibles et de produire des vitamines. Les «bonnes» bactéries empêchent la prolifération des pathogènes. D’autres fonctions essentielles ont été découvertes grâce à des recherches sur des souris dépourvues de microbiote: le soutien de ce dernier au système immunitaire et à la résistance au stress.
Des déséquilibres interviennent après un régime trop riche en graisses et en sucres et pauvre en fibres. Les personnes souffrant de diabète, de cirrhose ou d’obésité ont en commun d’ailleurs d’avoir un microbiote appauvri. Diverses maladies inflammatoires des intestins, des allergies, des maladies cardiovasculaires sont aussi associées à ses dérèglements. Les chercheurs continuent de se pencher sur les mécanismes sous-jacents, c’est notamment le cas à l’Institut national de la recherche agronomique en France.
Prendre soin de son ventre
Il y a plus de cent ans, le prix Nobel Elie Metchnikoff avait émis l’hypothèse que les bactéries lactiques pouvaient avoir un effet sur la composition bactérienne des intestins et ainsi favoriser la longévité. L’idée de devoir consommer certains organismes vivants bien spécifiques est d’ailleurs véhiculée par des yogourts promettant une digestion agréable ou la stimulation du système immunitaire. Ce type d’aliments n’est certainement pas mauvais, les recherches montrent toutefois que ce n’est pas d’une seule sorte de bactérie que le corps a besoin pour vivre en harmonie, mais bien de toute une diversité. Le produit miracle n’existe pas. Qui veut prendre soin de son microbiote consomme beaucoup de fibres, des fruits et légumes variés de toutes les couleurs et… des denrées lactofermentées contenant des prébiotiques et parfois des bactéries vivantes.
A connaître: les p'tits trucs en plus
La fermentation lactique maintient un taux de vitamine C élévé dans les végétaux, même lorsqu’ils sont stockés. La choucroute en est très riche: elle aiderait à prévenir les cancers du système digestif, à renforcer l’immunité et à abaisser la glycémie et le taux de cholestérol.
Lors de la fermentation, l’acide aminé histidine présent naturellement dans les aliments est transformé en histamine. Les personnes qui y sont intolérantes devraient donc renoncer aux aliments fermentés.
Pour en améliorer la saveur, les produits industriels contiennent parfois des extraits de levure riches en glutamate (exhausteur de goût), des arômes, des édulcorants , du sirop de glucose, de l’amidon modifié (liants), un antioxydant voire des sulfites (couleur). Rien de tel avec la lactofermentation, 100% naturelle.
Le test FRC avait montré que le revêtement dans une boîte de conserve pouvait contenir du bisphénol A. Le couvercle peut, lui, contenir de l’ESBO. En réalisant ses propres conserves, on a la possibilité d’utiliser des bocaux et couvercles en verre. Sans plastifiant. Il faut toutefois les entreposer à l’abri de la lumière pour en protéger le contenu.
Pas toutes les boîtes de conserve indiquent d’où vient la matière première. De Chine? D’Afrique du Sud? C’est plus précis pour les conserves maison: les légumes viennent du jardin ou du marché fermier. Le noter sur le bocal que l’on offre à des amis rend le contenu d’autant plus attachant.
Les porcelets ont un microbiote fragile et souffrent souvent de diarrhée. On les nourrit souvent avec du soja importé pour l’apport en protéines. Un projet allemand mise, lui, sur du colza fermenté. La fermentation diminuerait la part de composants difficiles à digérer et améliorerait l’absorption de phosphore. Les bactéries lactiques aideraient à stabiliser le microbiote. But visé: remplacer une part du soja importé par du colza indigène.
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