9.7.2024, Propos recueillis par Anne Onidi
Raphaël Heinzer est directeur du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil au CHUV, à Lausanne, et professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne.
Les montres connectées sont-elles capables d’évaluer la qualité du sommeil?
Leur intérêt est très limité. Pour mesurer la qualité du sommeil, ces appareils se basent sur les mouvements du bras et les variations de la fréquence cardiaque (et aussi sur les sons émis par le dormeur pour certains, ndlr). Or on ne dort pas avec le poignet, mais avec le cerveau! Ce système peut fonctionner sur quelqu’un qui dort très bien. En revanche, avec une personne qui a des problèmes, l’évaluation est très incorrecte. La montre connectée estime la présence ou l’absence de sommeil et peut éventuellement établir sa structure, mais pas évaluer sa qualité.
Alors comment savoir si on dort bien?
La meilleure manière de savoir si on dort bien, c’est d’observer comment on se sent au réveil et pendant la journée. Le but du sommeil est de restaurer les bonnes fonctions cognitives; s’il nous permet d’obtenir la régénération du cerveau, c’est qu’il a bien fait son travail. Si on n’a pas de somnolences ni de problèmes de concentration ou de mémoire, c’est donc qu’on a bien dormi.
«L’utilisation d’une montre connectée n’est pas recommandée pour surveiller son sommeil. Pour savoir si on dort bien, il suffit d’observer comment on se sent durant la journée.» Raphaël Heinzer, directeur du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil au CHUV.
Et si on se sent souvent fatigué la journée, faut-il consulter?
Avant de consulter, il faut d’abord s’assurer que l’on s’accorde le nombre d’heure de sommeil dont on a besoin! En la matière, on est inégaux: pour certaines personnes, six heures et demie suffisent, alors que d’autres ont besoin de neuf heures. Pour déterminer la quantité nécessaire, je préconise de s’observer durant les vacances. En se couchant quand on est fatigué et en ne mettant pas de réveil. Cela permet d’apprendre à se connaître, de voir comment les choses se passent naturellement. En fonction de l’heure à laquelle on a tendance à se réveiller, on peut adapter l’heure du coucher. Si, malgré cela, les problèmes persistent, on peut alors consulter.
Comment évalue-t-on scientifiquement la qualité du sommeil?
Par polysomnographie. Cela consiste principalement à mesurer l’activité du cerveau avec un électroencéphalogramme. On examine également les mouvements des yeux et le tonus musculaire. Cela permet d’identifier les phases du sommeil. Par exemple, durant le sommeil paradoxal (appelé aussi REM, pour Rapid Eye Movement, ndlr), le cerveau est très actif, les muscles très relâchés et les yeux en mouvements perpétuels. Nous avons également recours à des montres connectées médicales que les patients portent durant deux semaines. Elles nous communiquent des informations sur leurs habitudes et leur rythme veille-sommeil: à quelle heure ils se couchent le soir, se lèvent le matin, se relèvent la nuit.
Trouvez-vous que les demandes ont changé depuis l’arrivée des montres connectées sur le marché?
Oui, il arrive que des personnes prennent rendez-vous parce que leur montre leur a indiqué qu’elles dormaient mal. Et lorsqu’on leur demande comment elles se sentent la journée, elles répondent que tout va bien. Elles n’auraient pas entrepris cette démarche de manière spontanée.
Voyez-vous des dérives?
Il y a un problème si on se fie plus à ce que la montre indique qu’à son propre ressenti. L’utilisation de la montre connectée peut générer ou entretenir l’orthosomnie, soit l’obsession de vouloir améliorer son sommeil. Or, le fait de se mettre la pression pour obtenir un bon sommeil a comme effet indésirable de le perturber. Des gens pensent même qu’ils vont avoir une mauvaise journée parce que leur montre leur a dit qu’ils ont mal dormi; comme une prophétie autoréalisatrice, cela peut effectivement les mettre de mauvaise humeur et perturber leur journée! Pour les insomniaques, ces appareils augmentent l’attention qu’ils portent à leur sommeil. Alors qu’on préconise au contraire de détourner son attention du problème, avec par exemple des techniques de relaxation ou de sophrologie.