8.9.2020, Aude Haenni
Les étals regorgent de fruits étrangers. Mais des agriculteurs vaudois misent sur une culture indigène. Rencontres.
Des noisetiers à perte de vue, alignés, propres en ordre. Tel est le paysage que l’on découvre à Cottens (VD) aux côtés des traditionnels champs jaunes et prairies vertes. «Avec les Henchoz, nos partenaires, ainsi que cinq ou six autres agriculteurs, nous nous retrouvons avec 25 ha de noisetiers dans le canton», explique Julien Bugnon, président de Swiss Noisettes.
Une culture fruitière détonnante plantée au retour d’une visite en France. «En allant étudier les productions de noix à Grenoble, nous avons découvert qu’il existait des synergies entre ces deux fruits.» Ainsi, les premiers noyers étaient plantés sur le domaine de Cottens en 2014, les trois variétés de noisetiers un an plus tard. Des noix pour perpétuer une tradition vaudoise peu exploitée, des noisettes pour s’engouffrer dans un produit de niche. «A l’époque, le blé et le colza suffisaient pour bien gagner sa vie. Maintenant, on n’a plus le choix, il faut se diversifier», fait remarquer celui qui fait notamment pousser lentilles, maïs, quinoa, moutarde et graines de chia sur ses terres.
Le temps de la récolte
Les premières noisettes ont été commercialisées en 2019 auprès de petites boutiques et d’artisans chocolatiers. Une récolte de près de 500 kg, après une attente et un travail de longue haleine, comme l’explique Julien Bugnon. En effet, la méthode dite française demande à ce que les arbres soient taillés comme des abricotiers et non pas laissés en buisson. «Le plus gros boulot», souligne-t-il. Si l’arbre n’est pas très sensible aux maladies, le balanin, un charançon qui pond ses oeufs dans le fruit, peut créer de nombreux dégâts. «Pour voir s’il y a des vers, on étend des draps sous les arbres, et on secoue. » Ce ravageur peut causer des pertes importantes, d’où de grosses fluctuations de prix d’une année à l’autre, note l’agriculteur qui, jusqu’ici, touche du bois.
Alors que la noix doit être vibrée pour chuter au sol, la noisette, une fois la feuille sèche, tombe toute seule en septembre. Balayés par une machine, les fruits récoltés sont ensuite débarrassés des petites branches et des pierres, puis lavés. Ils sont séchés durant 24 heures à 35 degrés. «La noisette fraîche peut tenir deux mois. Mais stabilisée en coquille, elle se garde un an, voire plus. Contrairement aux noix, les gens n’ont pas l’habitude de casser les noisettes, alors que c’est bien plus facile!»
Julien Bugnon propose noix et noisettes brutes, vin et huile de noix. D’ici quelques années, les débouchés auront d’autres saveurs raffinées, promet-il.
Une tradition d’ici
A l’Ecurie de la Venoge, à Vufflens-la-Ville (VD), la culture des noisetiers a valeur de sacerdoce. On préfère se concentrer sur la tradition du canton. Ici, neuf jeunes noyers accompagnent les centenaires déjà présents. Séduit par ces vieux arbres en reprenant le domaine familial, le couple Goy s’est rapidement mis à en récolter les fruits. «Il n’y a pas besoin de traiter, ils ne subissent pas le climat, raconte Nadine Frossard Goy. Ces variétés anciennes qu’on ne connaît même pas tombent simplement à l’automne, de fin septembre à fin octobre. Et si ce n’est pas le cas, on secoue au-dessus des filets posés au sol. A vrai dire, on a très peu à faire.» Les fruits propres vont directement au séchage, les autres sont brossés, séchés au soleil ou dans un lieu ventilé, puis brassés dans un bac jusqu’à mi-décembre, voire début janvier pour contrer l’humidité et la pourriture. Une institution se charge de casser les noix, qui sont amenées à l’huilerie de Sévery.
Etonnamment, sur les centaines de kilos récoltés encore artisanalement, seuls quelques fruits sont sollicités en vente directe. «Jusqu’à il y a quatre ans, on en vendait 40 à 50 kg, au prix de 8 fr. le kilo. Aujourd’hui, on en vend à la demande et le tarif reste inchangé!»
Nadine Frossard Goy ne tarit pas d’éloges sur les vertus santé de l’huile de noix, riche en oméga 3 et 6.
Aujourd’hui, il semblerait pourtant que l’huile soit plus recherchée. «Pour nous, il est vrai que la mise en valeur en huile rapporte de la satisfaction, ainsi que de l’argent – même si cela reste peu de ce côté-là.» Mise en valeur, l’huile de noix vaudoise l’est d’autant plus depuis juin dernier, lorsqu’elle a obtenu son appellation d’origine contrôlée (AOP). Chez les Goy, on ne rejoindra pas le mouvement, tout du moins pour l’instant. «L’huile de noix est déjà un produit cher. Nous la proposons 25 fr. le demi-litre, notre clientèle est-elle prête à mettre plus?» A l’Ecurie de la Venoge, on préfère continuer à casser ses quelques noix, à donner du goût à sa salade et à saupoudrer son bircher d’un peu de nillon!
Cet article est paru dans le magazine FRC Mieux choisir sous le titre «Provenance: alors, on croque romand?».