2.10.2018, Sandra Imsand et Karine Pfenniger / Photo: Jean-Luc Barmaverain
En 365 jours, les boîtes aux lettres des enquêteurs de la FRC ont engrangé jusqu’à 54 kilos de promotions variées, soit une pile de 111 centimètres. De quoi faire courber l’échine.
L’an dernier, la FRC avait mené une opération de grande envergure, demandant à des enquêteurs de toute la Suisse romande de conserver, mesurer et peser la publicité reçue durant un mois. Les résultats étaient effarants, puisque jusqu’à 5 kilos de prospectus et flyers divers avaient été comptabilisés par ménage.
Cette année, nous avons poussé l’exercice plus loin. Quatre enquêteurs des cantons de Genève, Vaud et du Valais ont mis de côté toute cette publicité durant une année pleine, histoire de se faire une idée précise du volume de réclames par ménage en moyenne, des périodes plus chargées en prospectus et pour savoir quelles sociétés sont les plus actives dans le domaine.
Deux enquêteurs étaient équipés d’un autocollant «Stop pub!», deux autres, non. Durant ces douze mois, les prospectus ont été classés en diverses catégories. La première concernait la publicité non adressée, à savoir les flyers ou catalogues librement glissés dans les boîtes aux lettres. La deuxième, la publicité adressée, dont le nom du destinataire figurait sur l’enveloppe, même si parfois l’adresse était écrite de manière approximative ou carrément farfelue. La troisième concernait les prospectus qui avaient été insérés dans les journaux, comme les hebdomadaires des deux géants de l’alimentation, les gratuits régionaux de type GHI à Genève ou Lausanne Cités ou les tirages élargis de certains journaux locaux. Ceux glissés dans les quotidiens ou magazines auxquels les enquêteurs avaient fait le choix de s’abonner n’ont pas été comptabilisés.
6 cm: ce bon résultat est dû au sticker «Stop pub !» et au fait d’avoir renoncé à Migros Magazine en cours de route.
Milliers de papiers comptabilisés
Premier constat, nos estimations de l’an dernier, qui avaient fait grand bruit, correspondent toujours exactement à la réalité. Nous avions alors affirmé qu’une boîte aux lettres standard avalait entre 36 et 60 kg de papiers indésirables par an. Des chiffres qui se sont vérifiés à nouveau: notre enquêtrice genevoise en a reçu 35,9 kg en 365 jours, alors que la Valaisanne en a comptabilisé 54,4 kg durant la même période. Deuxième constat, réjouissant celui-là, le fait d’arborer un autocollant «Stop pub!» a un effet considérable pour alléger le volume du vieux papier. Les enquêteurs concernés n’ont reçu, respectivement, que 2,5 et 6,7 kg de publicité, soit dix fois moins que les autres. «J’ai été agréablement surprise que ce veto sur ma boîte aux lettres ait été relativement bien respecté», explique la Vaudoise, qui a reçu le moins de papier. Précisons encore que cette enquêtrice a fait arrêter son abonnement à Migros Magazine en cours d’expérience. Il n’empêche, à contempler la hauteur de sa pile, elle avoue tout de même un sentiment de gaspillage.
1231 publicités
Plongeons-nous dans les détails. L’enquêtrice qui a été la plus inondée a reçu au total 1231 pièces différentes, flyers ou prospectus divers. Sur l’entier de l’exercice, la pile de la Valaisanne s’élève à 111 centimètres. Soit à peu près la taille d’un enfant de 5 à 6 ans. On imagine sans peine le défi que représente ce volume au moment d’éliminer le papier au recyclage. Vient ensuite la Genevoise, avec 872 unités pour une pile haute de 76 cm. Même si la benne ne se situe qu’à 100 mètres de chez soi, le mal de dos est assuré! Du côté des ménages refusant la publicité, les liasses sont restées modestes, 14 cm et 6 cm.
Nous avons aussi observé les périodes auxquelles les boîtes souffrent le plus d’indigestion. Les mois d’octobre et de décembre ont été particulièrement riches en annonces, suivis de près par les mois de mars et d’avril. Une répartition qui a surpris notre famille genevoise, qui avait davantage le sentiment de crouler sous les envois en période de Noël. Si évidemment les suggestions de cadeaux et de menus pour les Fêtes occupent le devant de la scène en fin d’année, le printemps regorge d’annonces pour le sport, les joies de la vie en plein air ainsi que les accessoires de jardin. Un marché juteux qui mérite bien quelques flyers et brochures supplémentaires, selon les fabricants.
Par ailleurs, nous avons pu noter que les personnes sans autocollant reçoivent majoritairement des prospectus de supermarchés, tandis que les autres croulent plutôt sous les brochures de magasins de meubles ou de bricolage.
Deux groupes pointés du doigt
Un dépouillement minutieux permet également d’identifier les entreprises à la source de cette avalanche de papier. Les résultats diffèrent selon les lieux de vie. En lien notamment avec la présence ou non de gros centres d’achat ou de commerces français à proximité, mais aussi des habitudes de consommation, comme le fait de détenir une carte de fidélité pour une enseigne. Dans le cadre de l’enquête, les plus gros pourvoyeurs de publicité sont dans l’ordre Migros, Conforama, Manor et Obi pour les personnes disposant du «Stop pub!». A elles quatre, ces entreprises représentent 43% de la réclame collectée. Pour nos deux autres valeureux cobayes, ce sont Aldi, Coop, Denner (groupe Migros), Fust (groupe Coop), InterDiscount (groupe Coop) et Migros qui se taillent la part du lion, avec 35% d’envois. Ces chiffres correspondent aux conclusions de nos confrères français de Que Choisir, qui ont calculé que les grands groupes de distribution cumulent presque la moitié de la publicité non adressée.
Selon l’Office fédéral de l’environnement, la Suisse produit chaque année 1,2 million de tonnes de papier. Selon des chiffres de 2015, 52% des boîtes aux lettres et cases postales disposaient d’un «Stop pub!», cela signifie en théorie que 7% du papier produit serait utilisé pour la pub. Cependant, si tous les ménages affichaient ce sticker, le pourcentage tomberait à 1%. En allant plus loin, si les foyers y renonçaient, cela correspondrait à 14%. Une sacrée différence du point de vue de l’écologie et de l’environnement, tout de même. Ces chiffres relèvent de l’extrapolation, la grande majorité du papier étant fabriquée à l’étranger pour des raisons de coûts.
88%: la diminution du volume de publicité avec un autocollant qui la refuse.
Firmes peu disposées à améliorer les choses
Nous avons demandé aux groupes Migros et Coop comment ils se positionnaient sur le sujet. Selon le porteparole de Coop, la quantité de publicité distribuée par le groupe est stable depuis plusieurs années. Cependant, il ne communique pas le volume que cela représente, secret d’entreprise oblige. Quant à la question d’envisager de le diminuer, le distributeur rétorque n’utiliser que du papier en grande partie recyclé ou issu de bois labellisé FSC… comme si cela justifiait ses tonnes d’imprimés! Du côté de chez Migros, l’origine du papier est la même. Son porte-parole explique que si la tendance va bien vers la publicité en ligne, sur les réseaux sociaux ou de manière personnalisée, il y a toujours une population qui n’a accès qu’au papier. Ces réponses plutôt évasives montrent surtout que les deux leaders du marché ne sont pas prêts à assumer des responsabilités environnementales. Et qu’ils laissent, une fois encore, au consommateur le soin de faire savoir qu’il étouffe sous cette masse indésirable et celui de prendre les mesures qui s’imposent!
Pour les deux ménages qui ont adopté le «Stop pub!», au contraire, les quelques informations intéressantes qu’ils ont pu glaner ne justifient pas une avalanche de publicité. L’enquêtrice qui a été la plus épargnée n’a qu’un bémol: il faudrait trouver un moyen de pouvoir rester informé des ouvertures de commerces ou des activités culturelles dans la région car ce sont les éléments qui lui manqueraient. Qu’elle soit rassurée, un affichage soigné aux abords des commerces et le bouche-à-oreille entre voisins fonctionneraient aussi très bien. Plus de lien social contre moins de papier, le deal en vaudrait la chandelle!