Marketing
Maternité: la conso penchée sur le berceau
Archive · 09 mai 2017

Devenir parent, c’est se poser mille questions à peine bébé a-t-il poussé son premier cri. Comment le soigner, le faire dormir, le nourrir... et aussi: que faut-il acheter? Pour y répondre, le marketing s’est glissé dans un cadeau incontournable: le coffret reçu à la sortie de la maternité, «une institution», selon Pascale Gerdy Mamet, cheffe de service au Département femme-mère-enfant du CHUV, à Lausanne.
Derrière les cartons rectangulaires roses (pour maman) et bleus (pour bébé) distribués dans 96% des établissements suisses depuis 1972, une société: Present Service. Les spécialistes FRC ont passé en revue ce que contenaient ces paquets. Premier constat: il est difficile de distinguer la vraie info de la pub, tellement tout est mélangé, des dépliants de prévention aux conseils pseudo-médicaux en passant par le marketing pur. Quant aux échantillons de soin, certains font grimacer Mélanie Brulhart, pharmacienne et membre de la Commission santé de la FRC. «Je ne vois pas l’utilité de produits pour la peau des petits, qui est saine. L’huile d’amande ou d’olive va très bien! Et puis, les crèmes et savons pour bébé sont souvent vendus le double du prix de ceux destinés aux adultes, alors que les composantes sont les mêmes», note-t-elle. Dans les boîtes, on trouve aussi des bons cadeaux, «mais il faut faire une dépense minimale», épingle Joy Demeulemeester, spécialiste santé. Dans la nourriture, les petits pots sont jugés corrects par Barbara Pfenniger, spécialiste alimentation, mais elle critique les multiples publicités pour lait deuxième âge, «légales mais sujettes à controverse», glissées dans une brochure informative sur bébé. Mélanie Brulhart s’étonne, elle, des incitations à acheter des compléments alimentaires alors qu’ils sont «soumis à ordonnance et qu’on n’en a pas besoin quand on mange sainement».
«De la pub, oui, mais de la pub pertinente»
Directeur de Present Service depuis dix ans, André Buhler défend ses coffrets: « Oui, c’est de la pub, mais elle est pertinente: le contenu répond aux besoins des parents», affirme-t-il. Il réjouit en tout cas les plus modestes. «Une naissance, c’est une période de la vie où l’on n’a pas forcément beaucoup d’argent. Les nombreuses familles migrantes que nous accueillons sont soulagées de recevoir du lait pour le corps ou des couches», explique ainsi Pascale Gerdy Mamet, cheffe de service au Département femme-mère-enfant du CHUV. A l’Hôpital du Jura, Aude Affolter, cheffe de service à la maternité, note elle aussi que «les mamans les plus démunies sont heureuses de se voir offrir quelque chose. Nous avons donc renoncé à enlever Pampers et lingettes humides, même si nous ne les recommandons pas», explique la sage-femme.
Les sages-femmes interviewées assurent disposer d’une totale liberté car, disent-elles, les établissements hospitaliers ne reçoivent aucun avantage de Present Service. «Nous réagissons comme bon nous semble», souligne ainsi Catherine Lietta, responsable des soins du Département femme-enfant du Centre Hospitalier du Valais Romand (CHVR). Elles n’hésitent donc pas à inspecter les mallettes et ôtent ce qui les dérange.
Les gynécologues qui distribuent les paquets prénataux ne semblent pas tous aussi précautionneux. Jacques Seydoux, ex-président du Groupement romand de la Société suisse de gynécologie et d’obstétrique (GRSSGO) n’a jamais ouvert les coffrets de Present Service. Un coup de fil à plusieurs cabinets semble confirmer que beaucoup de gynécologues s’en désintéressent. D’autres, tels que le service de maternité des HUG, s’insurgent contre ces «cadeaux» et refusent de les distribuer, estimant que la publicité n’a rien à faire à l’hôpital. Denis Hottelier, membre du comité du GRSSGO, est pour sa part révolté contre ces kits (lire ci-dessous).
Fâchée d’avoir l’impression que les sages-femmes sont «prises pour des distributrices de produits de marques», Evelyne Moreillon Delachaux propose, elle, une alternative à Present Service: l’Ecovalise. Ce coffret de naissance en carton recyclé est produit par l’association Esprit Sage-Femme qu’elle a créée en 2010 avec deux partenaires après avoir «constaté que les femmes étaient très déçues de ce qu’elles recevaient». L’Ecovalise contient, dit-elle, «des produits aussi bio et naturels que possible, suivant une ligne éthique». La sage-femme considère les mamans comme «des partenaires». Examiné par nos spécialistes, son coffret reçoit un accueil plus favorable que celui de Present Service. Il contient moins de pub, davantage de brochures officieles et se révèle nettement plus écolo, car les emballages sont en carton. Les échantillons sont plus orientés bio et naturels... reste à savoir s’ils sont vraiment utiles. «Il y a une huile pour le bain mais l’eau, pour laver un enfant, ça suffit», souligne notamment la pharmacienne Mélanie Brulhart. Et les produits naturels, elle s’en méfie un peu. «Ce beurre de karité n’a pas de date d’expiration, or l’huile rancit», fait- elle remarquer en brandissant un pot.
Plus richement pourvue que le coffret de Present Service, l’Ecovalise est distribuée chaque année à 300 à 500 femmes qui ont pour la plupart choisi d’accoucher en maison de naissance ou à domicile. Ce n’est donc pas pour tout le monde, mais ce n’est pas le but. «Nous préférons donner ces coffrets à des gens qui nous les demandent pour être sûrs que le contenu ne finira pas à la poubelle comme celui de Present Service», affirme Markus Neuhaus, l’un des fondateurs d’Esprit Sage- Femme et directeur d’Ecovisions, qui vend des produits bio aux grossistes et détaillants en Suisse. Il se réjouit de l’attitude des parents qui reçoivent ces sacs: «Il y a des gens qui se posent des questions et se préoccupent de leur empreinte écologique.» Des produits qui ont quand même un prix que tout le monde ne peut pas mettre.
Present Service ou Ecovalise, derrière le plaisir du cadeau, le but reste le même: faire consommer. En effet, arriver à associer un produit à un heureux événement est une excellente stratégie marketing qui touche à l’émotionnel. Son but: faire entrer la marque dans le cœur des consommateurs. Une méthode efficace pour vendre et fidéliser le client grâce à un cadeau tout sauf anodin.
L’avis de l’expert
«Les soignants sont complices»
3 questions à Denis Hottelier, gynécologue et obstétricien à Martigny
Que pensez-vous de ces boîtes?
Cela fait plus de vingt-six ans que je refuse de les distribuer. J’ai fait campagne pour que le Groupement romand de la Société suisse de gynécologie et d’obstétrique recommande de ne pas les donner. Cette recommandation est peu suivie, je le regrette.
Pour quelle raison refusez-vous ces cadeaux?
J’ai pris l’habitude d’ouvrir et analyser le contenu de ces boîtes publicitaires. Leur contenu est choquant. En les distribuant, les soignants recrutent sans s’en rendre compte des clients pour les marques, ils sont donc complices. Au moment de la naissance d’un enfant, les couples sont vulnérables, veulent faire le maximum pour leur nouveau-né et sont donc un public de choix pour les marchands de tous bords. Mais très souvent, c’est aussi une période limite sur le plan financier. Que des soignants les incitent à gaspiller de l’argent à ce moment pour des futilités ou des objets discutables me fâche.
Vous décriez également le cynisme des marques qui figurent dans ces kits.
Il est incroyable. Calculez par exemple le montant des primes d’assurance à payer pour un enfant jusqu’à 18 ans. Et dans ces boîtes, quel est le cadeau offert par la CSS, par exemple? Une petite paire de chaussettes de bébé avec son logo! De plus, on y trouve de nombreux bons, mais il faut s’inscrire et donner ses coordonnées, qui seront certainement vendues à prix d’or. Le pire dans cette histoire est l’alibi. On met en évidence le fait que ces boîtes sont confectionnées par une institution sociale pour que tout le monde ait bonne conscience. Ce n’est pas une action de bienfaisance, cela permet de justifier la distribution de gadgets. Cette manipulation est choquante.
Publicité - Code méprisé au pays de Nestlé
Le Code international de commercialisation des substituts de lait maternel a été instauré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1981 pour promouvoir l’allaitement. Il a pour but de mettre un terme aux formes inappropriées de promotion des aliments destinés aux nourrissons et aux petits enfants en interdisant purement et simplement toute publicité pour des laits, biberons et tétines destinés aux enfants de moins de 36 mois. Or la Suisse n’applique pas toujours entièrement ce code, bien qu’elle soit membre de l’OMS. Difficile de le faire respecter dans un pays qui héberge le siège de Nestlé…
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