Conditions de travail

En Andalousie, le profit passe avant la santé des employés agricoles

Faire suer les travailleurs par 45 degrés dans une serre en plastique ou encore épandre des produits phytosanitaires en présence d’autres personnes sans protection: les fournisseurs de tomates bio de Migros et Coop ne respectent pas les lois.

Alimentation Agriculture

16 juillet 2025

Pulvérisation de produits dans une serre de tomates en Andalousie

Des employés agricoles du groupe espagnol Bio Sol Portocarrero, fournisseur de Migros, Rewe et Lidl en Allemagne ou encore Leclerc en France travaillent sous des températures extrêmes, 45 degrés sous les serres, tandis que la région d’Almeria est frappée par des vagues de chaleur. Une situation extrêmement dangereuse pour la santé de ces personnes et qui révèle des failles dans les mesures de prévention et de sécurité au travail de la part de l’entreprise.

Le décret espagnol 486/1997 impose en effet aux employeurs d’adopter des mesures spécifiques afin de protéger la santé des travailleurs face aux vagues de fortes chaleur, telles que des réductions des journées de travail, un aménagement des horaires, la création de zones d’ombres, un accès à l’eau potable et fraîche.

Le témoignage de Mouloud*, 38 ans, six ans d’ancienneté dans l’entreprise, montre pourtant que celle-ci n’a procédé à aucun ajustement des horaires pour aider les travailleurs à lutter contre les fortes chaleurs. Pire, elle les fait travailler en plein après-midi, au moment où les températures sont les plus fortes.

«C’est dur. Les gens se sentent mal. On vient avec nos bouteilles d’eau mais elles se réchauffent vite et lorsque qu’elles sont vides, il faut attendre l’heure de manger pour aller en chercher d’autres dans la voiture.» Une bouteille d’eau réchauffée par la canicule dans l’habitacle. L’exploitant agricole n’a pas prévu de dispositif comme une distribution d’eau ou encore une structure à l’ombre pour que les employés puissent se rafraîchir lors du repas de midi.

La température atteignait les 45 degrés début juillet 2025 sous les serres de la ferme Campohermoso Bio, qui appartient au groupe Bio Sol Portocarrero, fournisseur de Migros.

Ces derniers sont contraints de manger assis par terre en plein soleil ou encore dans leur voiture. «Quand on a lancé un avis de grève début juillet, le manager nous a informé qu’il nous accordait un droit de pause de 20 minutes le matin», poursuit Mouloud. Cette pause est pourtant obligatoire en Espagne.

Prendre des mesures ou stopper l’activité

Interpellé sur la situation, Angel Velasco, expert en matière de prévention des risques au travail, appuie sur l’illégalité des conditions de travail. «Travailler sous 45 degrés est totalement inconcevable. L’employeur est obligé au regard de la loi d’adopter des mesures de prévention et de sécurité. Cela implique de fournir des zones d’ombre, un accès facilité à l’eau, mais aussi de la crème solaire», explique-t-il.

«Une exposition répétée aux rayons UV favorise les brûlures mais aussi les risques de développement de cancer de la peau. Si ces conditions ne peuvent pas être appliquées, l’employeur doit paralyser l’activité.»

Le groupe Bio Sol Portocarrero a déjà été condamné il y a quelques années par le Conseil des Prud’hommes en Espagne pour divers abus et manquements de la législation du travail.

Travailler à quelques mètres de pulvérisation de produits

Les hautes températures sur le lieu de travail ne constituent pas le seul manquement à la loi et mise en danger de la santé des travailleurs: plusieurs vidéos ont été tournées depuis le début de l’année par les employés du groupe Biosabor, un des géants espagnols de la tomate bio également basé à Almeria et labélisé, entre autres, avec le bourgeon Bio Suisse. Leur fameux gaspacho bio se trouve notamment dans les rayons de Migros et la Coop. En plus de la Suisse, le producteur exporte ses tomates vers l’Allemagne, la Belgique ou la France.

Dans ces vidéos, on voit un employé procéder à des épandages de produits phytosanitaires alors même que d’autres employés travaillent à l’intérieur de la serre. Sans protection, ces travailleurs, enfermés dans ces étuves, reçoivent en plein nez les émanations des produits. Là aussi, la pratique est illicite.

Les images de pulvérisation ont été prises courant 2024 dans les entreprises Biodiversidad Agro Slu et Biocemosa, appartement au groupe Bio Sabor, qui fournit notamment Coop et Migros. La localité de Nijar, où sont basées ces exploitations, regroupe de nombreuses cultures bio de la province d'Almeria.

Malik*, entré dans l’entreprise en 2015, fait partie des personnes qui ont assisté à ces pratiques. «Ils sont entrés avec leur pulvérisateur et ont commencé à fumiger sans nous prévenir», se rappelle-t-il. «Beaucoup d’employés n’ont pas de formation pour manipuler les produits phytosanitaires: ils ne savent même pas ce qu’ils sont en train d’épandre. Seul le manager, qui procède au mélange, connaît leur composition. C’est comme si c’était top secret.».

Il raconte que leurs «yeux souffrent» lors des épandages de souffre. «Le souffre, on le reconnaît. Il recouvre les tomates d’une couche épaisse blanche.»

Les travailleurs et délégués syndicaux à l’origine de ces images ont tous été licenciés pour faute professionnelle.

Le groupe Biosabor, qui dispose de plusieurs filiales, avait été lui aussi l’objet de nombreuses interpellations par le passé, et divers reportages avaient poussé des chaînes de supermarché à rompre leur contrat ou à lancer des audits.

Les autorités ferment les yeux

Devant ces manquements à la législation, José Garcia Cueva, représentant du syndicat SAT Almeria, où sont affiliés les travailleurs, déclare: «Les témoignages de ces personnes révèlent une absence poignante de l’Etat au sein du secteur agricole. S’il y avait plus de brigades d’inspection du travail, ce genre de situation arriverait moins, car les abus se détectent rapidement. Encore faut-il s’y intéresser…»

En effet, dans la région, les droits des travailleurs sont trop souvent bafoués, les problèmes balayés sans que de véritables mesures soit prises: entreprises et autorités rechignent à s’attaquer au secteur économique le plus important de la région, qui représente à lui seul plus de 110'000 emplois et 40% du PIB d’Almeria.

*Noms connus de la rédaction 

Migros demande des comptes, Coop se cache derrière les audits

Interpellés sur les conditions de travail des employés qui fournissent leurs rayons, les réactions de Migros et Coop par rapport à ces révélations sont très contrastées. 

Migros reconnaît pour sa part ne pas avoir eu connaissance de cette situation avant l'alerte de la FRC. Le détaillant explique que les audits annuels sur les bonnes pratiques agricoles et sur les conditions de travail ainsi que les audits supplémentaires indépendants auxquels ont été soumis les entreprises incriminées n'ont pas permis de relever les non-conformités.

«De telles pratiques ne sont absolument pas tolérées par Migros. Elles vont à l’encontre des exigences fondamentales de Migros en matière de respect des normes sociales, de droits humains, de sécurité au travail et de santé des collaborateurs par nos fournisseurs.» Le distributeur a dans la foulée contacté Bio Sabor et Bio Sol Portocarrero pour «exiger une explication détaillée et une prise de position officielle» et envisage de réaliser des audits spécifiques. La FRC reste en contact avec Migros pour connaître les avancées de ces discussions.

Déception du côté de Coop. Le porte-parole dit ne «pas avoir connaissance de telles pratiques», affirme que l’entreprise affiliée Alifresca effectue des «contrôles stricts des processus» et ajoute que «quatre audits externes ont été réalisés au cours de 18 derniers mois, le dernier en juin de cette année.» Les images en notre possessions montrant les pulvérisations dans les serres en présence des employés datent justement des périodes durant lesquels ces audits ont été effectués, de quoi laisser planer le doute sur le sérieux de ces processus.

«À l’heure actuelle, rien n’indique que les pratiques mentionnées soient avérées et aucune sanction n’a été prononcées par les autorités.»

En clair, Coop n’a pas l’intention de bouger. De quoi donner un goût amer au gaspacho de Bio Sabor vendu dans ses rayons…

Sandra Imsand

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