5.3.2024, Sandra Imsand et Laurianne Altwegg / Credit photo: Shutterstock
Mise à jour le 4 juillet 2024
Contrairement à ce qu’exige la loi, les vapoteuses jetables sont rarement recyclées. Enquête de terrain dans huit cantons.
Le Conseil national a soutenu l’interdiction des cigarettes électroniques à usage unique (puffs). Alors que l’enquête de la FRC avait démontré l’inefficacité du système de reprise, malgré l’obligation de recycler ces déchets électroniques – des puffs jetables ont été retrouvées en quantité alarmante lors du récent nettoyage du Léman en mai par Net’Léman –, la motion de Christophe Clivaz (Verts/VS) illustre pour sa part la nocivité des vapes jetables pour la santé des jeunes. Un argument qui a fait mouche même auprès de députés de l’UDC, d’habitude allergiques aux interdictions: Yvan Pahud (VD) a exprimé son soutien, «étant confronté, en tant que père de deux garçons, au fléau des puffs». Élisabeth Baume-Schneider, ministre de la Santé, n’a pas trouvé d’argument convaincant pour expliquer l’opposition du Conseil fédéral à la motion, reconnaissant à demi-mot qu’une interdiction serait possible et sensée. Reste à espérer que les sénateurs des États feront preuve d’autant de bon sens.
Prix attractif, couleurs pétantes et arômes sucrés. Pas de doute, nous sommes face au produit le plus en vogue du moment auprès de la jeune génération: la puff. En 2022, 10 millions de ces cigarettes électroniques jetables ont été importées en Suisse. Le produit est problématique, tant du point de vue sanitaire qu’environnemental.
Fonctionnant au moyen d’une batterie non rechargeable, les puffs contiennent des métaux précieux, notamment du lithium, du cobalt ou du cuivre; tout comme un smartphone. Sauf qu’après 600 à 2000 bouffées, la plupart des vapoteuses jetables finissent leur vie… à la poubelle! Voire dans les rues, la nature ou les lacs. En effet, rares sont les personnes conscientes que les jeter ainsi est source de gaspillage et de pollution, mais aussi illégal.
Selon l’Ordonnance sur la restitution, la reprise et l’élimination des appareils électriques et électroniques (OREA), les vapoteuses sont considérées comme des déchets électriques. Elles doivent être recyclées, afin de limiter les risques d’explosion liés à la batterie, de récupérer les matières qui peuvent l’être et d’éliminer les autres dans le respect de l’environnement. L’OREA précise que les clients sont tenus de les restituer à tout commerçant qui vend ce type d’articles ou à un centre de tri. De son côté, le vendeur qui en propose a l’obligation de reprendre gratuitement tous les produits usagés, quelle que soit la marque et même si le client n’achète rien. Mais est-ce le cas?
Lieux sélectionnés pour l’enquête
Trop de commerces hors la loi
Nos clients mystères ont interrogé 135 commerces vendant des puffs afin de savoir s’ils les reprenaient après usage. L’enquête s’est déroulée durant la dernière semaine de janvier dans huit cantons.
Bilan: 54,8% des commerces ont déclaré les accepter, alors que 44,5% ont répondu par la négative. Les autres sont restés indécis. C’est dans les commerces spécialisés dans la vente de cigarettes électroniques que le personnel avait l’air le plus au clair sur les obligations légales. Certaines enseignes disposaient de récipients bien en vue pour le recyclage. Dans les kiosques, magasins ou stations-service, le bilan est plus mitigé. Or c’est justement dans ce genre de lieux que ces produits ont récemment fait leur apparition en masse, en vitrine ou à proximité des caisses.
En cas de réponse négative, les enquêteurs avaient pour consigne de demander où ces puffs pouvaient être ramenées. Un quart des commerces ont explicitement conseillé de les mettre à la poubelle; un point de vente a même ajouté «comme tout le monde». Ailleurs, la plupart déclaraient ne pas savoir ou recommandaient d’apporter ces déchets dans des kiosques plus grands, chez leurs concurrents, à la déchetterie ou dans le recyclage des piles de la Migros la plus proche. Un conseil totalement inapproprié lorsque l’on sait les risques d’incendies que présentent les batteries lithium-ion si elles sont endommagées, par exemple dans le cadre de la collecte des piles.
Les enquêteurs ont aussi regretté le peu d’intérêt de certains vendeurs pour la question: «Je ne sais pas, moi, je ne suis pas fumeur!» a ainsi entendu une cliente mystère de Lausanne. Enfin, deux commerces ont déclaré accepter uniquement les puffs usagées achetées chez eux. Là aussi, la pratique est contraire à l’OREA.
Du côté des commerces reprenant ces déchets, l’écrasante majorité fait procéder à leur élimination dans les règles, soit par l’entremise de filières propres (leurs fournisseurs), soit via la campagne «Be a vape recycler» initiée par la Fondation SENS, l’organisme chargé de l’exécution de l’OREA. Dans deux cas en revanche, le point de vente a indiqué les mettre directement aux ordures. «C’est jetable. Si vous voulez, je les reprends et je les mets à la poubelle. Mais vous pouvez aussi le faire, c’est pareil», s’est ainsi vu répondre un enquêteur vaudois. Déplorable.
Consommateurs mal informés
Contacté à ce sujet, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) rappelle que les commerçants ne doivent pas seulement «reprendre gratuitement» les puffs et les «éliminer de manière respectueuse», ils doivent aussi «informer les consommateurs sur leur reprise». L’OFEV précise encore que «l’information devrait être visible». Un aspect de plus qui n’est pas respecté par une grande partie des points de vente visités et qui participerait pourtant à mieux faire connaître leurs obligations à la clientèle. Chargés de la mise en œuvre de l’OREA, les cantons seraient bien inspirés de prévoir une campagne de contrôle pour sensibiliser, voire sanctionner, les points de vente.
Les problèmes liés à la collecte et à l’information ne doivent pas faire oublier que le recyclage des matières contenues dans les puffs est un défi en soi: leurs matériaux sont difficiles à séparer et leur valorisation se révèle énergivore. Sachant que les ventes croissent de 30% par an, se pose la question de savoir si l’électronique à usage unique a encore sa place dans les commerces. Alors que l’Australie vient d’interdire les puffs et que le Royaume-Uni le fera en 2025, le Conseil fédéral a jusqu’ici répondu qu’une interdiction «serait disproportionnée au vu de l’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie qu’elle représenterait». Plus récemment, il a indiqué envisager de «proposer des mesures adéquates» si l’élimination se révèle inappropriée ou que les puffs finissent sur la voie publique. L’absurdité des puffs a encore de beaux jours devant elle!