5.3.2024, Sophie Michaud Gigon
La Suisse a raté l’occasion de rendre ce fléau moins attractif en le grevant d’un impôt dissuasif. Il lui reste une carte à jouer.
À la parution de ma première chronique de l’année, j’hésite souvent sur son sujet. Traiter de l’actualité de la consommation ici et ailleurs? Ou les gros projets et priorités annuels de la FRC – qui sont assez enthousiasmants pour nous tenir en haleine durant plusieurs FRC Mieux choisir? Finalement, s’est imposé un sujet qui m’agace prodigieusement. Il est lié à notre enquête les puffs, ces cigarettes électroniques jetables, bêtes colorées omniprésentes notamment dans les kiosques et les publicités.
Sous le manteau d’un énième gadget – de surcroît polluant la planète – se cache la stratégie de diversification de l’industrie du tabac pour engendrer la nouvelle génération de fumeurs dépendants de la nicotine. Autant commencer assez tôt. En Suisse, plus d’un quart de la population fume, et le tabagisme reste la première cause de mortalité évitable, malgré les mesures de prévention prises. On imagine aussi aisément la charge sur le système de santé, financé principalement par les assurés.
«Il reste un levier: que le Conseil fédéral applique l’article lui permettant d’interdire la mise dans le commerce de produits destinés à un usage unique et de courte durée.» Sophie Michaud Gigon
Les cigarettes électroniques rechargeables sont souvent utilisées comme produit de substitution et sont moins nocives pour la santé que le tabac. En revanche, les jetables sont un produit d’appel, porte d’entrée vers le tabagisme, à grand renfort de publicités et de design fun. Une étude d’Unisanté, centre universitaire de médecine générale à Lausanne, a révélé il y a une année que 59% des 14-25 ans en ont déjà consommé. Les puffs se confondent avec des stabilos dans les trousses d’école, sont visibles sur les réseaux sociaux et facilement accessibles dans les kiosques, entre autres. Leur prix est trop faible, y compris dans les cantons où l’âge légal est fixé à 18 ans.
Cette aberration écologique et sanitaire a été interdite dans plusieurs pays. Le dernier en date, le Royaume-Uni. La Suisse, pays qui n’aime pas les interdictions, avait l’occasion de rendre ce fléau moins attractif en le grevant d’un impôt dissuasif. C’est la position que j’ai défendue au Conseil national en juin 2023. Devant l’évidence du danger, des collègues romands de tous bords politiques m’ont soutenue. Avant de rentrer dans le rang, rappelés à l’ordre par leur chef de groupe. Pourtant, la mesure aurait été efficace, les jeunes étant particulièrement sensibles au prix, selon une étude de la ZHAW, la Haute École des sciences appliquées de Zurich, en 2021.
Il reste un levier possible, sans devoir passer par le Parlement. L’article 30a de la Loi sur la protection de l’environnement permet au Conseil fédéral d’interdire des objets à usage unique. Piles au lithium et plastique, les puffs ne sont pas suffisamment recyclées et se retrouvent majoritairement, selon notre enquête, dans la nature ou à la poubelle. Qui hésite encore?