30.5.2024, Anne Onidi & Jean Busché
Rien de plus facile qu’un achat sur internet: quelques clics suffisent pour remplir son panier. Mais cela se complique lorsqu’on veut faire autre chose qu’acheter. Enquête.
Prendre des renseignements auprès d’un site marchand, transmettre une réclamation, demander un remboursement: nous avons examiné dix sites sur lesquels nous avons acheté des tongs pour notre test. Temu, Zalando, Amazon, AliExpress et Shein sont les plus problématiques.
Plus de la moitié n’ont pas d’adresse en Suisse
Pour les dix plateformes de notre enquête, nous avons d’abord cherché une adresse en Suisse ou un représentant légal. C’est important à plus d’un titre. D’abord parce que les consommateurs devraient pouvoir contacter directement une entreprise pour faire valoir leurs droits, comme celui d’accéder à leurs données.
De plus, en cas de non-respect des lois en vigueur, les autorités compétentes devraient pouvoir communiquer avec un représentant légal de l’entreprise, établi dans le pays concerné. Or c’est impossible pour la moitié des plateformes évaluées, qui n’ont ni l’un ni l’autre.
Aucun des acteurs majeurs comme Zalando, Amazon, Temu, Shein ou AliExpress ne mentionne le nom d’un représentant légal, ce qui pose un sérieux problème à la Suisse pour responsabiliser ces plateformes au niveau national. À noter que Amazon, AliExpress et Shein ne disposent même pas d’une adresse physique.
Éviter le compte client
Ensuite, nous avons cherché à poser une question simple au service client de ces dix plateformes, sans toutefois créer de compte client. Pourquoi donc? Car les plateformes en ligne doivent garantir la protection des données personnelles des utilisateurs et ne pas collecter plus de données que nécessaire.
La création d’un compte oblige l’utilisateur à fournir des informations qui sont ensuite conservées par l’entreprise. Or, là, seuls decathlon.ch, aeschbach-chaussures.ch, hm.com (H&M) et manor.ch permettent cette action. Pour les six autres, il faut s’enregistrer au préalable et ainsi faire cadeau à l’entreprise de ses données personnelles.
Amazon brouille les pistes
En cas de problème, l’acheteur doit pouvoir facilement s’adresser au service client. Pour vérifier que c’est bien le cas, nous avons simulé une tong cassée quelques semaines après l’achat. Dans plus de la moitié des plateformes, la prise de contact s’est avérée facile: les entreprises fournissent le lien direct vers le service client dans l’e-mail de confirmation d’achat. Il est ainsi facile à trouver et à utiliser en cas de réclamation. Pour H&M et Aeschbach, nous n’avons pas trouvé de marche à suivre facilitée, mais nous avons écrit un e-mail au service client.
Le système de retour d’Amazon n’est pas adapté à notre situation, dans laquelle le délai de droit de retour est dépassé. Il nous a fallu chercher longtemps pour trouver le chemin de son service client. Pour la commande chez AliExpress, nous avons chatté successivement avec deux entreprises: AliExpress, d’abord, puis avec sa société partenaire, qu’il a fallu identifier. Une démarche chronophage et relativement agaçante… Mais les deux interlocuteurs se sont montrés réactifs et efficaces.
Au final, à l’exception de Shein, les plateformes ont procédé au remboursement ou à l’échange de l’article dans un délai raisonnable. Et face au géant de la fast-fashion, comme le démontre notre enquête, le consommateur se retrouve totalement démuni si l’entreprise ne répond pas à la demande.
Qui est mon partenaire contractuel?
Les sites de vente en ligne brouillent les pistes lors des commandes. Bien souvent, un produit commandé sur Amazon n’est pas fabriqué ou envoyé par la société mais par une entreprise tierce, Amazon servant de marketplace, soit une plateforme sur internet qui met en relation des vendeurs et des acheteurs. Une situation bien connue dans le cas d’Amazon, mais certainement moins claire pour d’autres acteurs du marché, comme Galaxus Digitec ou encore Manor. En cas de problème de commande ou de défaut d’un objet, il est donc important pour le consommateur de savoir qui, de la plateforme ou du fabricant, constitue le partenaire contractuel, et qui est donc responsable en cas de problème. Les plateformes en ligne doivent ainsi clairement indiquer leur rôle d’intermédiaire et préciser la responsabilité des prestataires en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution d’un contrat. Elles doivent répondre de toutes les garanties ou déclarations qu’elles font et veiller à ne pas créer d’impressions erronées chez les consommateurs.
Cette enquête s’inscrit dans le cadre du combat mené par la FRC pour responsabiliser les plateformes face à la multiplication des pratiques déloyales liés à la consommation de biens et services en ligne, en pleine expansion. Ces problèmes incluent la multiplication des dark patterns, l’entrave à la liberté contractuelle, les manquements à la loyauté commerciale et les insuffisances en matière de protection des données. La FRC souligne le vide juridique en Suisse en ce qui concerne la régulation des plateformes et le manque de droits accordés aux utilisateurs. Elle considère par ailleurs que les plateformes doivent être responsabilisées et réglementées pour assurer la protection des consommateurs et envisage des actions pour demander l’abandon de pratiques problématiques.