25.11.2022, Yannis Papadaniel et Jean Tschopp
Les plaintes concernant le démarchage par des courtiers occupent beaucoup la FRC. Un accord de branche régule l’activité de ces intermédiaires. Les assurés peuvent donc dénoncer les violations constatées. Cette année, la FRC aura été à l’origine de deux condamnations. Mais rien n’indique que ces décisions déploieront les effets attendus.
Depuis le 1er janvier 2021, un accord de branche (lire encadré) régule l’activité des courtiers. La mesure phare de cet accord est certainement l’interdiction du démarchage à froid. Désormais, tout contrat obtenu à la suite d’appels non sollicités peut être contesté devant une Commission de surveillance, chargée de faire respecter l’accord. Ce dernier comporte d’autres exigences en matière de formation, de tenue de procès-verbal et de qualité de l’information transmise à la clientèle.
Ce nouveau cadre a indubitablement amené des améliorations: lorsque les abus peuvent être documentés, les assurés lésés ont davantage de chance d’obtenir gain de cause. Néanmoins, l’accord reste soumis à la volonté des acteurs de la branche (assureurs, associations faitières): ces derniers en ont déterminé le contenu et décidé de la composition de la Commission de surveillance à laquelle la FRC avait été invitée à se joindre. Elle avait décliné cette proposition, faute d’avoir été associée à la mise en place de l’accord et après en avoir constaté certaines limites.
La grande majorité des assurés ignorent les possibilités de plainte ainsi que l’existence même de cet accord. Les assureurs n’ont pratiquement pas informé leurs assurés de leurs droits face aux courtiers. Si les assureurs s’en étaient donné les moyens, les plaintes reçues à l’encontre des courtiers seraient bien plus élevées.
La FRC teste…
Les plaintes de démarchages de courtiers occupent beaucoup la FRC. Notre association a testé l’accord de branche, son application et l’efficacité de la Commission de surveillance. Dès lors, en 2022, nous avons demandé l’ouverture de deux enquêtes à la suite d’abus signalés par des consommateurs. Nous avons également sollicité le même organe dans le cadre des nouvelles prestations que développe La Poste avec les caisses Sympany et Assura.
Dans ce dernier cas, il s’agissait de savoir si le géant jaune ne pratiquait pas du démarchage à froid en demandant à ses guichetiers de proposer des rendez-vous avec des courtiers liés à l’assureur. Les usagers de La Poste se rendent dans les officines pour réceptionner un colis ou envoyer du courrier et non pour y signer un nouveau contrat d’assurance-maladie… Sur cette saisie, la Commission de surveillance n’est pas entrée en matière: elle ne peut ouvrir une enquête que si elle dispose de témoignages. La FRC n’en restera pas là face au déploiement de cette «stratégie de partenariat» de La Poste impliquant assurances et banques, stratégie très éloignée d’un conseil neutre qu’on est en droit d’attendre d’une entreprise de service public.
… deux résultats tombent
Dans les deux autres cas de figure, une enquête a été ouverte par la Commission de surveillance de l’accord de branche. Ces enquêtes se sont soldées par des sanctions à l’encontre des deux assureurs concernés. Sympany – encore – a été reconnue coupable de violation de l’accord de branche. Elle a recouru à une entreprise de courtage qui, tour à tour, a pratiqué le démarchage à froid, promis des gains pour des entrées à un parc d’attractions pour enfant sur les réseaux sociaux, et caché le vrai motif de sa démarche ainsi que le nom de son entreprise.
Le deuxième assureur visé par une enquête est le Groupe Mutuel. Celui-ci est devenu l’actionnaire majoritaire d’une entreprise de courtage, Neosana. Après cette acquisition, cette dernière a continué à démarcher des clients tant pour son propriétaire majoritaire que pour d’autres assureurs. Les techniques d’approche sont là aussi fallacieuses (promesses de gain sur les réseaux sociaux sous forme d’entrées à Europapark, à des matchs de hockey ou à la Foire du Valais, informations imprécises, agressivité).
Notre plainte visait à sanctionner ces comportements mais aussi à clarifier un point important. L’accord de branche encadre essentiellement l’activité des courtiers externes, c’est-à-dire non directement salariés, à l’exception du démarchage téléphonique à froid s’appliquant aussi au personnel des caisses. Nous avons donc voulu déterminer si l’acquisition de Neosana n’était pas un moyen de contourner l’accord de branche en faisant passer pour des employés du Groupe Mutuel des personnes travaillant comme des courtiers indépendants. La Commission de surveillance nous a donné raison sur l’ensemble de nos doléances.
Elle a traité avec diligence ces deux cas et sanctionné les deux assureurs. Sympany a dû s’acquitter d’une amende de 2000 fr. et de 5000 fr. de procédure (payée par… nos primes). Le Groupe Mutuel a, quant à lui, été sanctionné à hauteur de 10 000 fr. d’amende et 33 000 fr. de frais de procédure. Ce deuxième montant s’explique par le fait que l’assureur valaisan a d’abord contesté la compétence de la Commission de surveillance, puis a tenté de faire durer l’enquête le plus possible (selon la décision motivée dont nous avons pu prendre connaissance).
Accord de branche limité
Nous avons tout de même observé des limites claires sur des aspects de procédure: en tant que plaignante, la FRC a été tenue informée de l’avancement de l’enquête ainsi que de ses résultats. En revanche, elle n’a pas pu avoir un accès direct et automatique aux motifs des deux décisions (nous les avons obtenues officieusement). De la même manière, la portée – et peut-être surtout la durée – de ces décisions demeure peu claire. Il suffit à l’assurance condamnée de payer l’amende conventionnelle pour éviter le renvoi de la cause devant un tribunal arbitral. Par ailleurs, les décisions rendues par la Commission ne sont pas publiques. Comment dans ces conditions permettre aux assurés d’en tirer les enseignements?
Débats au Parlement fédéral
De la même manière, l’accord de branche a été signé par une majorité de caisses maladie. En complément, le Parlement débattra dès le 28 novembre 2022 pour que ce même accord ait valeur légale, dès lors que les assureurs qui le signent représentent 66% des assurés. Toutefois, le projet discuté à Berne ne prévoit pas de confier – au Conseil fédéral par exemple – un droit de substitution pour imposer des règles si le quorum/seuil des 66% n’est pas atteint. Les assureurs ont donc, en théorie, toute latitude pour dissoudre un accord de branche. Last but not least, alors que le projet soumis au Parlement par le Conseil fédéral prévoyait d’instaurer un cadre sans distinguer les courtiers internes et externes, le Conseil national a décidé de le limiter aux courtiers externes, tandis que le Conseil des Etats s’est rallié à la proposition du Conseil fédéral
Ceci ne remet pas en cause l’embellie actuelle (les assurés et les organisations qui les défendent disposent d’un levier d’intervention), mais signale sa précarité. Celle-ci est clairement liée au fait que la branche continue à s’autoréguler. Dans le climat actuel, elle a plutôt intérêt à le faire. Mais si ce climat venait à changer, on ne peut exclure un retour en arrière. Nous observons d’ailleurs que les lacunes ou les flous de l’accord de branche font l’objet de tractations entre assureurs dont nous ne sommes tenus informés que par des voies détournées. L’outil n’est en définitive que peu démocratique, et il est étonnant que la majorité parlementaire n’apporte aucun contre-poids crédible. Plus prosaïquement, alors que le problème à résoudre est simple – mettre fin aux activités frauduleuses des courtiers peu scrupuleux –, la solution coupe les cheveux en quatre et privilégie le confort et les affaires des assureurs, plutôt que les assurés.