2.12.2015, Stéphanie Billeter
Privilégier un produit certifié permet de donner un signe aux industries et aux importateurs, et de siroter sans arrière-goût.
La consommation de thé laisse un arrière-goût amer. Alors que les frimas nous engagent à nous lover sereinement dans notre canapé, que penser de ceux qui ont récolté le contenu de nos tasses? Boisson la plus consommée dans le monde après l’eau – 5 millions de tonnes produites en 2014 –, le thé révèle de sérieuses carences au niveau éthique. En Suisse, seuls 2% de ce breuvage sont équitables, relève Christiane Fischer, coordinatrice romande des Magasins du Monde, qui viennent de mener une campagne sur le thé.
Contrairement à l’intérêt porté à ses frères de boisson, le café et le cacao, celui pour la production du thé est tout récent. «Parce qu’il se vend aux enchères, le thé ne provoque pas les spéculations, ni donc les mêmes attentions que connaît le domaine du cacao ou du café», explique Sanne van der Wal, responsable de l’agriculture au Centre de recherche sur les multinationales Somo, organisme indépendant hollandais à but non lucratif. Toutefois, le thé est un immense marché, surtout celui en sachet, ne serait-ce que pour Unilever, qui détient avec Lipton 5% de la production mondiale.
Un virage récent
En 2006, suite à la crise de ce secteur en Inde, Somo sort une étude accablante sur les conditions de travail dans les plantations des grandes marques. Logements insalubres et surpeuplés, harcèlement moral et sexuel, salaires indécents, insécurité, absence ou inefficacité des syndicats: le constat est sans appel. Les multinationales l’entendent et promettent de réagir, Unilever en tête, dont la plupart des thés sont depuis estampillés Rainforest Alliance, «un label indépendant», confirme Sanne van der Wal.
Mais pour quels résultats? Somo est retourné sur le terrain enquêter sur sept labels: Fairtrade, UTZ et Rainforest Alliance (thé), de même que RSPO (huile de palme), MPSSQ (fleurs), Fair for Life et SA8000 (aspects sociaux pour tous types d’entreprises). «Si on compare les plantations certifiées par rapport aux autres, les conditions sont certes meilleures, surtout pour la sécurité et les relations avec les syndicats, constate Sanne van der Wal, coauteur d’un rapport sorti en mai 2015. Mais nous avons constaté dans tous les lieux des violations du droit du travail international, dont la discrimination et le travail des enfants.»
Des labels à surveiller
Parmi les labels inspectés, l’un se distingue nettement, selon Somo. Il s’agit de Fairtrade/Max Havelaar, que l’on trouve en Suisse chez Coop et Migros. Côté thé toutefois, la récolte est maigre. Quatre produits chez Coop, un chez Migros. Porte-parole des coopératives orange, Tristan Cerf explique qu’elles ont «préféré le label hollandais UTZ Certified, dont sont estampillés tous les thés Migros, pour des raisons écologiques. Max Havelaar va moins tenir compte de la distance parcourue par un produit ajouté, comme le sucre, que nous allons intégrer localement à nos produits labellisés UTZ.» Ce dernier n’est pas trop mal noté par Somo, comme Rainforest Alliance d’ailleurs. «Mais ces labels ont un peu moins d’ambitions éthiques. Ils ne fixent pas de prix minimum, ni de prime supplémentaire pour les producteurs, alors que Fairtrade, oui.»
Concernant la question des rémunérations, Barbara Pfenniger, responsable Alimentation à la FRC, relève que «Max Havelaar permet aux petits producteurs de thé d’accéder au marché, c’est positif. Le consommateur sait donc où va l’argent, mais pas forcément ce qui se trouve dans le sachet. Les matières premières équitables sont en effet mélangées avec les autres. La traçabilité est donc documentaire, malgré le message véhiculé par l’image publicitaire. En clair, la photo du monsieur sur le paquet ne montre probablement pas celui qui a récolté le thé.»
Pour cela, Sanne van der Wal salue les thés Claro fair trade vendus dans les Magasins du Monde ou en ligne. Ceux-ci proviennent d’organisations de producteurs qui pratiquent une agriculture biologique et qui possèdent leurs propres unités de transformation, ce qui crée une valeur ajoutée supplémentaire sur place et garantit la traçabilité du thé. Ainsi, les photos sur les boîtes correspondent aux agriculteurs qui ont cultivé, cueilli et transformé le produit que ces dernières contiennent.
La démocratisation du thé en vrac
Sortons du domaine du thé en sachet industrialisé pour entrer dans celui du thé en vrac, dont la multiplication des magasins dans les villes confirme la démocratisation. Témoin et acteur de cette tendance, la ligne de magasins Tekoe qui, présents dans les gares, ont convaincu depuis 2004 les pendulaires de troquer leur café contre un thé à l’emporter. «Nous avons instauré un rapport de confiance avec le client, raconte Pierre Maget, fondateur de la marque couleur vert pomme. Nos employés sont formés à renseigner le client sur la provenance du thé, sa saveur, son temps d’infusion.»
Dès le départ, l’éthique s’inscrit dans sa politique, privilégiant l’équilibre des salaires en Suisse, «tant au niveau homme-femme que Suisse – non-Suisse», et le respect pour les producteurs: «Nous travaillons sans intermédiaire, avec les mêmes plantations familiales depuis douze ans.» En revanche, point de certification labellisée. «Nous avons préféré ne pas nous associer à un label, dont la certification est chère et pas forcément probante, et avoir une éthique interne. Bien sûr, vous n’avez que notre parole…» Alors, pour agir, Tekoe a développé un système de traçabilité via un code-barres (QR code) bientôt disponible sur ses paquets. Une solution intéressante à suivre pour savoir qui produit le thé et à qui va son argent. Mais sans contrôle indépendant…