30.8.2011, Aline Clerc et Barbara Pfenniger
Dans les étalages, les produits ciblés pour les enfants promeuvent une alimentation très sucrée et salée, avec peu de fruits et de légumes. Exactement le contraire d'une nourriture équilibrée, comme le démontre notre enquête.
Usant de charme, de persuasion ou de ruse, les enfants influencent de plus en plus les achats familiaux. Conséquence: ils sont devenus une cible marketing à l’instar de la fameuse ménagère de moins de 50 ans. Bon nombre de produits s’adressent ainsi directement à ces consommateurs en herbe qui conduisent un minichariot ou « aident » leurs parents à faire les emplettes familiales. En 2003, une étude belge du Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs (CRIOC) avait même prouvé que près de 9 jeunes sur 10 proposent des produits à acheter ou les placent spontanément dans le caddie. Une fois que les produits s’y trouvent, difficile de les remettre en place: crise de larmes garantie, surtout en fin de journée. Vive le pester power, soit l’enfant prescripteur d’achats, pour reprendre le jargon des professionnels du marketing!
Contraire aux recommandations nutritionnelles
Mais les enfants n’influencent pas seulement les courses de leurs parents, ils sont également de plus en plus touchés par le surpoids, voire l’obésité. Dans ce cadre, la FRC s’est demandé à quel type d’alimentation les produits s’adressant aux enfants correspondaient. Nos enquêteurs sont retombés en enfance et ont passé au crible 14 surpermarchés de Suisse romande. Résultat: les courses géantes auxquelles ils se sont adonnés donnent à voir un miroir de la pyramide alimentaire inversé de toutes les recommandations pour une nourriture équilibrée!
En temps normal, les boissons non sucrées, les fruits et les légumes, ainsi que les féculents non sucrés, constituent la base de cette pyramide. Pourtant, le constat est malheureux: un petit nombre seulement d’entre eux sont emballés de manière attractive pour nos chères têtes blondes. Soit environ 200 articles sur un total de plus de 1200 références!
Un panier bien plus cher
Les boissons qui leur sont destinées sont presque toutes sucrées, et donc à situer en haut de la pyramide alimentaire, avec les aliments à consommer occasionnellement. Face aux 85 boissons sucrées (dont 8 jus de fruits) se trouvent seulement 5 eaux minérales. Un jus pourrait remplacer une des cinq portions conseillées par jour. Toutes les autres boissons destinées aux enfants en sont des versions bon marché. Certes, leurs étiquettes mettent en avant les fruits, mais elles n’en contiennent que peu en réalité; plutôt de l’eau, du sucre et des arômes, habituant ainsi le palais des enfants à ces derniers. Dommage, il existe tant d’autres saveurs à découvrir…
Jus mis à part, les fruits et légumes de notre caddie sont représentés par 6 produits crus, un mélange de légumes surgelés et 10 compotes. Certaines de ces purées sont non sucrées et peuvent varier le menu des enfants. Mais comme elles ne nécessitent pas de mastication, elles devraient être complétées par des produits crus lors des autres repas. Leur prix moyen est de plus de 10 fr. le kilo; mettrait-on ce prix pour acheter des fruits frais?
Dans la catégorie des féculents, nous avons 7 sortes de pâtes, 151 céréales de petit-déjeuner ainsi que 10 pains, croissants et biscottes. Dans cette surabondance, il n’y a aucun produit complet non sucré! Les pâtes aux formes amusantes peuvent constituer une variante sympathique, si ce n’est leur prix, 30% plus élevé que celui des préparations habituelles. Par contre, toutes les céréales et les goûters – raffinés, gras, salés et sucrés – sont à situer dans la catégorie « à consommer occasionnellement ».
Parmi les 135 produits laitiers de notre panier s’adressant aux enfants, deux catégories sont surreprésentées: nous dénombrons 70 produits sucrés (petits-suisses sucrés, flans, yogourts à boire, etc.) et 56 produits à base de fromage fondu (Kiri, Vache qui rit, etc.). Le lait non aromatisé, entier ou partiellement écrémé, n’a été dénombré qu’à 8 reprises. Or, non seulement il est conseillé pour son apport en calcium et en protéines, mais, en plus, il coûte également en moyenne sept fois moins cher que les produits raffinés.
Dans la catégorie des viandes et poissons, on trouve 9 produits très transformés et gras: agglomérats de poisson, poulet pané ou nuggets végétariens. Ils ne devraient être au menu qu’une fois par semaine. Deux jambons cuits, plus recommandés malgré leur importante teneur en sel, complètent cet assortiment plutôt limité.
(1) Des gâteaux fourrés au rayon des produits laitiers? Leur place serait parmi les pâtisseries (2) Les céréales diététiquement intéressantes sont hors d’atteinte… pour privilégier la surabondance de produits sucrés et les paquets aux personnages multicolores et attachants (3) Les chips destinées aux enfants sont placées à leur hauteur.
Deux tiers de friandises et de goûters sucrés
L’an passé, chaque Suisse a consommé 3,5 kg de sucreries, soit 100 g de plus qu’en 2009. Il n’est donc guère étonnant de trouver une énorme variété de produits s’adressant directement aux petits – et à l’enfant qui sommeille en chaque adulte. Plus de 20% de notre panier (272 occurrences) sont des bonbons pur sucre ou pur édulcorant. Haribo domine dans toutes les enseignes, sauf chez Migros, qui mise sur ses propres marques. Nous n’avons pas analysé les valeurs nutritives des friandises, qui sont à consommer occasionnellement. Mais comment résister à la tentation lorsque ces douceurs sont à hauteur d’yeux d’enfants? (199 paquets, soit trois quarts des bonbons que nos enquêteurs ont relevés.)
Largement présent dans les paniers suisses, le chocolat ne représente pourtant que 10% des produits s’adressant aux enfants. Parmi ceux que nous avons remarqués, un tiers donne bonne conscience aux parents en mettant en avant une teneur en lait favorable à la santé des petits. D’après le message publicitaire, 100 g de chocolat offriraient l’équivalent d’un verre de 2,5 dl de lait. En réalité, il ne contient que peu de produits laitiers (33 g de poudre de lait et de beurre concentré) et surtout environ 13 morceaux de sucre, et plus de deux tiers de la ration journalière de graisse. Mieux vaut donc opter pour du vrai lait. Quelques 82% des chocolats se trouvent à portée des petites mains, une proportion qui augmente à 100% chez Aldi et Lidl!
Les glaces, friandises saisonnières, encore peu présentes lors de notre enquête du mois d’avril dernier, ont pourtant été relevées 88 fois par nos enquêteurs. A Migros Balexert, par exemple, les vitres latérales des nouveaux congélateurs offrent aux enfants une vue panoramique sur les bâtonnets glacés multicolores.
Engagement… sur le papier
Migros, Coop et Casino ont développé chacun leur propre ligne pour enfants, facilement identifiable par les jeunes consommateurs grâce aux personnages que l’on retrouve également dans les publicités. La FRC leur a demandé selon quels critères ces produits étaient élaborés. Tous trois mettent l’accent sur l’aspect ludique et plaisant de leurs assortiments. Coop, pour sa ligne Jamadu, et Migros, plus récemment pour Lilibiggs, ont défini quelques règles nutritionnelles concernant leur composition: la teneur en sucre ajouté, en matière grasse et en sel serait limitée et les colorants artificiels bannis… tout en maintenant les arômes artificiels et les édulcorants pour les Lilibiggs. C’est dans ces gammes que nous avons recensé des fruits et légumes bruts, présentés dans des emballages attractifs. Mais ces deux lignes représentent moins de 20% des produits offerts à la convoitise des plus jeunes, tant chez Coop que chez Migros. Nos deux géants orange semblent oublier ou ne pas se soucier des produits de marque très sucrés ou gras qu’ils mettent en vente: Haribo, Kellogg’s, Kinder, Nesquik ou Suchard. Les autres distributeurs nous ont répondu ne pas avoir de produits ciblés pour les enfants… Nous en avons pourtant trouvé dans tous les points de vente visités.
Parmi les marques rencontrées le plus souvent par nos enquêteurs, celles des fabricants comme Nestlé, Kellogg’s et Danone, que nous avons également contactés. Nestlé joue cartes sur table en ce qui concerne les glaces et les boissons lactées, mais reste muet sur les céréales. Kellogg’s insiste sur l’importance de ses critères nutritionnels, sans livrer aucun détail. Quant à la multinationale Danone, son absence de réponse traduit un certain manque de considération pour les « petits Suisses » que nous sommes.
Sain et séduisant: c’est possible
La responsabilité des parents est d’éduquer, le but des fabricants et des distributeurs de vendre. Les enfants et leur santé se retrouvent tiraillés entre ces intérêts malheureusement trop souvent divergents. Les techniques utilisées pour commercialiser des céréales sucrées, des bonbons et des brioches ultrachocolatées pourraient aussi servir à rendre attractifs les produits qui constituent la base d’une alimentation équilibrée, et non pour renforcer la séduction exercée par les bonbons, les biscuits et les chips. Est-ce trop demander à des entreprises qui affirment s’engager pour une nourriture saine?