Science

Nanoparticules: omniprésentes, sauf sur l'emballage

L’effet de ces composants sur la santé reste inconnu. Or leur présence dans ce qu’on ingère et dans les cosmétiques est souvent masquée.
Santé

Archive · 06 février 2018

La toxicité des produits nano appliqués sur la peau reste un mystère. Une raison pour traquer les codes E et CI. Photo: Jean-Luc Barmaverain

On a pour habitude de croire que tout ce qui est petit est gentil. Mais l’adage ne s’applique pas aux nanoparticules. Ces poussières ultrafines (d’une taille inférieure à 100 milliardièmes de mètre) ont la propriété de traverser les barrières biologiques. Lorsqu’elles sont respirées, leur toxicité est déjà prouvée; ainsi, l’inhalation des nanoparticules de dioxyde de silicium, un composant des transistors fréquemment utilisé dans l’industrie de la microélectronique, peut entraîner de graves atteintes pulmonaires et favoriser l’apparition de cancers.

Qu’en est-il de leur toxicité lorsque ces molécules sont ingérées ou appliquées sur la peau? Pour l’heure, leur impact sur la santé demeure encore un mystère. Mais des pistes menant à leur nocivité existent bel et bien. Une étude sur des rats a ainsi mis en lumière un lien entre l’ingestion régulière de nanoparticules de dioxyde de titane et le développement de cancers de type colorectal. Elle a également démontré que ces particules passaient des intestins au sang, pour se retrouver ensuite dans le foie des animaux.

Pour en revenir aux humains, le problème est que la présence de nanoparticules dans certains biens de consommation demeure inconnue, faute d’indication sur l’étiquetage (lire ci-dessous). Des substances comme le dioxyde de titane, le dioxyde de silicium, l’oxyde de fer, le noir de carbone et l’oxyde de zinc sont susceptibles de contenir partiellement ou intégralement des particules nanométriques. Pour y voir plus clair, nous avons fait analyser, avec l’association UFC Que Choisir, médicaments, aliments et cosmétiques contenant ces substances. Grâce à une technologie de pointe extrêmement récente, les experts du laboratoire ont mesuré précisément la taille des particules afin de déterminer si elles contenaient des particules nanométriques.

Une omniprésence confirmée

Les résultats sont clairs: les douze produits analysés contiennent des nanoparticules. Pour sept d’entre eux, la totalité de la substance examinée est nanométrique. Pour les cinq autres, la part de molécules nano varie entre 6 et 97%. Au rayon alimentation, les m&m’s et les chewing-gums Hollywood contiennent du dioxyde de titane comme colorant blanc sous forme nano. Tout comme dans le café en poudre Cappuccino de Maxwell, qui emploie du dioxyde de silicium pour ses propriétés anti-agglomérantes. Or, d’après nos analyses, cet additif est entièrement constitué de particules nano. Un résultat si flagrant que les aliments analysés devraient porter la mention [nano] sur l’emballage juste après le nom de l’ingrédient (colorant E 171 ou anti-agglomérant E 551). Or, cette mention ne figure dans aucune des compositions, ce qui est tout à fait regrettable.

Cosmétiques meilleurs élèves

Pour une fois les produits cosmétiques font preuve d’un peu plus de transparence. Trois indiquent dans leur composition l’usage de nanomatériaux: le dioxyde de titane dans la crème solaire Garnier, le noir de carbone dans l’eye liner Maybelline et l’oxyde de zinc dans la crème de jour Yves Rocher. Les fabricants ont suivi la législation et ont correctement déclaré la substance comme un nanomatériau dans la liste des ingrédients. Ce n’est pas le cas de la crème solaire Lavera, du baume à lèvres Avène et du gloss Bourjois. Ils auraient dû afficher [nano] dans la liste des ingrédients puisque l’analyse en confirme la présence. A noter encore qu’Yves Rocher indique la suppression de la crème en question au printemps 2018. Quant à l’entreprise allemande Lavera, elle affirme ne pas utiliser de nanoparticules, sans pour autant apporter d’éléments de preuve.

Le dioxyde de titane est également présent dans l’enrobage, le pelliculage ou l’enveloppe des médicaments. Nous avons trouvé des nanoparticules dans le Dafalgan. Nos collègues français ont pour leur part analysé quatre comprimés différents vendus sur leur territoire. Tous renferment une fraction variable de nanoparticules comprise entre 11 et 58%, mais aucun d’entre eux ne l’étiquette. Un comble pour des produits médicaux!

On le voit, certains fabricants de cosmétiques se sont déjà bien adaptés. Un gros effort reste à faire du côté de l’alimentaire et des médicaments. Pour ces derniers, aucune obligation légale n’oblige l’industrie pharma à le faire. Elle ne devrait pourtant pas en être dispensée.

Cet article est paru dans le magazine FRC Mieux choisir sous le titre «Ces produits du quotidien qui inspirent une grande méfiance» 

Et maintenant? Le mot d’ordre est prudence

Pour Claude Ramseier, chimiste cantonal fribourgeois, nos résultats ne sont pas une surprise: «Je pense que la plupart des fabricants n’ajoutent pas de nanoparticules intentionnellement et qu’ils méconnaissent le contenu réel des ingrédients et des additifs qu’ils emploient. Le consommateur n’est pas très réactif non plus vis-à-vis de ce problème, plus préoccupé par le glyphosate, par exemple.» Reste que pour le chimiste, tant que les effets sanitaires réels des nanoparticules sont inconnus, le principe de précaution devrait s’appliquer.

Même discours de Hanspeter Naegeli, professeur de toxicologie à l’Université de Zurich: «Tant qu’on ne connaît pas la dangerosité des nanoparticules, il faut réduire leur utilisation.» Ce scientifique, qui étudie de près le lien possible entre l’ingestion de nanoparticules et les inflammations chroniques de l’intestin, recommande d’éviter en premier lieu d’exposer les enfants à ces substances.

Mieux comprendre

Enjeu: le test apporte un regard neuf

 

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Encore récemment, les nanoparticules étaient impossibles à mesurer correctement à cause de leur taille. Grâce à une méthode de pointe, l’observation est enfin possible. Le test a donc consisté à extraire les composants controversés A du produit et à déterminer la part nano de la substance usuelle B . En clair, on n’a pas un mais des oxydes de fer. La taille des nanoparticules a aussi été mesurée D . En dessous du seuil de 100 nm, on est dans la zone nanométrique. Et plus c’est petit, plus les risques augmentent.

 

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Ingrédients: les composants controversés

Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, d’abord: en Suisse, l’indication de la présence de nanomatériaux dans la composition est obligatoire depuis le 1er mai 2017. La mauvaise ensuite: les fabricants ont quatre ans pour s’adapter à cette exigence… En attendant, ouvrez l’oeil pour repérer les codes derrière lesquels ils se cachent: E pour les aliments, CI pour les cosmétiques. C’est le seul moyen d’éviter, si possible, les ingrédients qui risquent de receler des nanoparticules.

DIOXYDE DE TITANE | Des études montrent que ce colorant alimentaire blanc (E 171) et filtre solaire (CI 77891) est un cancérogène possible, classé comme tel depuis 2006. Ses effets restent mal connus alors que sa capacité à traverser les membranes biologiques est, elle, bien prouvée.

DIOXYDE DE SILICIUM | Les effets sur la santé de cet anti-agglomérant (E 551) par ingestion restent inconnus.

OXYDE DE FER | On retrouve cette substance dans des colorants noir, orange, rouge ou jaune (E 172, mais aussi CI 77489, CI 77491, CI 77492 ou encore CI 77499). Méfiance avec les gloss ou rouges à lèvres qui contiennent de l’oxyde de fer susceptible d’être ingéré.

OXYDE DE ZINC | Utilisé généralement comme filtre solaire (CI 77947), parfois aussi comme colorant, c’est un corps toxique bien connu dont les vapeurs sont dangereuses. En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé recommande d’éviter d’appliquer ces particules sur le visage.

NOIR DE CARBONE | Ce composé (CI 77266) est utilisé dans le mascara comme colorant. Plus fin et homogène que la suie, il est obtenu par combustion. Lorsqu’il est émis par le pot d’échappement d’une voiture, il est l’un des responsables de la pollution de l’air. Le noir de carbone est un irritant mécanique pour les yeux et les voies respiratoires.

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