Grand déballage
Ce que cache le suremballage
Entre les beaux discours promettant la fin du suremballage et la réalité des rayons, la situation dans les commerces romands est contrastée. Comment faire pression pour que les quantités diminuent concrètement? Enquête et pistes.
08 septembre 2025


Laurianne Altwegg
Responsable Environnement

Sandra Imsand
Journaliste, responsable Enquêtes
Menée durant l’été, cette enquête visait initialement à recenser les bons et mauvais exemples de conditionnement afin de dresser un état des lieux du suremballage. Très vite, ces notions se sont révélées éminemment subjectives: ce qui est utile pour l’un est superflu pour l’autre. Mais une chose est sûre: à moins d’être rompue à l’organisation contraignante du «zéro déchet», la clientèle peine à se passer d’emballages.
D’autant qu’ils ont une utilité, comme le rappelle le Conseil fédéral: «Ils protègent le produit, facilitent la manipulation et la logistique, et leur surface permet de donner des informations capitales.» Il note aussi qu’ils occasionnent des atteintes notables à l’environnement qui ont augmenté au cours des dernières décennies du fait de la croissance continue des quantités utilisées. Cela alors que, dans de nombreux cas, leur présence est dictée par des choix marketing ou logistiques, non un réel besoin.

Nécessaire ou inutile?
Pionnier du domaine via sa Loi sur les déchets, le canton du Jura définit le suremballage comme: «Les conditionnements, notamment les plastiques et les cartons, qui entourent les produits destinés à la vente, sans être nécessaires à leur protection sanitaire ou à leur conservation.» La FRC a mené l’enquête en envoyant ses clients mystères passer au crible les commerces des cantons romands. Leur but: identifier les types de packaging.
Le rayon alimentation a été spécifiquement ciblé car il est la source de plus de 80% du plastique jeté quotidiennement en Suisse (source: enquête Big Plastic Count, mai 2025). Certes, les enquêteurs ont noté que la plupart des grandes surfaces vendent des sacs à légumes ou des cabas réutilisables pour encourager le vrac. En revanche, ils n’ont observé aucun contenant consigné, alors qu’il s’agit bien souvent de l’option la plus écologique. Quant aux silos pour les pâtes et les denrées non périssables mis en place lors de l’envolée du vrac, ils ont pour la plupart disparu. Bref, entre initiatives prometteuses, progrès timides et aberrations totales, les résultats se sont montrés disparates.
Le pire
1. Fruits et légumes
Ces denrées représentent 39% des relevés. Avec 101 exemples qualifiés de mauvais, elles ont le plus interpellé. Sans doute à force de voir un même aliment (carottes, oignons) en vrac et emballé côte à côte, sans raison compréhensible. L’absence d’alternative a aussi beaucoup fait réagir. «Le conditionnement des pommes Pink Lady de Lidl oblige à acheter un kilo au lieu de prendre la quantité nécessaire», dit une enquêtrice de Moutier. Devant des salades emballées individuellement, une Neuchâteloise fait part de son vertige: «J’avais l’impression de me retrouver face à une montagne de plastique!»
L’agacement augmente devant les produits bio, choisis pour des raisons écologiques: le plastique fâche d’autant plus. Malgré l’apparition d’autocollants, bandelettes, élastiques ou gravures au laser pour éviter le recours au plastique, le suremballage reste fréquent.
Une Fribourgeoise s’interroge: «Il est courant d’avoir un premier emballage plastique puis un second en carton. Ce dernier donne-t-il une note plus écologique en cachant le plastique?» Nos relevés permettent d’affirmer que oui. L’emballage est un outil marketing. Il est donc adapté au groupe ciblé: pour une clientèle sensible à l’écologie, des contenants en carton, agrémentés d’une mention «éco» et d’une teinte écrue évoquant le recyclage, sont ainsi fréquents.
2. «Actions»
Les promotions sont sans conteste la principale source de suremballage selon nos enquêteurs. À tel point que certains ont renoncé à les prendre en photo tant l’utilisation de plastique et carton additionnels était systématique. Les articles déjà emballés sont souvent regroupés en lots au moyen d’épais plastiques. Or il y a moyen d’être plus économe.
3. Paquets surdimensionnés
Sachets de bonbons, boîtes de céréales ou barquettes diverses, nombreux sont les articles vendus dans une quantité bien moindre que ce que suggère la taille du paquet. Certes, l’air protège les denrées fragiles et certaines se tassent durant le transport. Reste qu’un emballage trop grand donne l’impression d’un volume important. Il y a gaspillage de matériau et la clientèle est déçue une fois le paquet ouvert.
4. Produits de luxe ou à offrir
Pralinés, caviar, alcools haut de gamme: dans ces cas, c’est le marketing et le statut du produit qui dictent le conditionnement, bien plus que l’utilité réelle. Les emballages – surdimensionnés et avec une surenchère dans les matières – sont conçus pour anoblir l’article et lui donner aussi un rôle de cadeau.
5. Portions individuelles et multipacks
Championnes du suremballage ou ultrapratiques pour les encas à emporter? Loin de faire l’unanimité, les portions font de l’ombre à des solutions plus économes en ressources. Autres produits concernés, ceux qui sont regroupés pour faciliter le transport (multipacks). Boissons et conserves sont généralement recouverts d’une épaisse couche de plastique… que des clients éventrent en rayon pour n’acheter que ce dont ils ont besoin.
6. Prêt-à-manger
Dans le convenience food, plusieurs couches de matériaux, films et séparateurs sont utilisés pour souvent très peu à manger. À l’instar des salades mêlées dont chaque ingrédient est disposé dans une barquette séparée ou des plateaux apéritifs. Une enquêtrice de Morges (VD) le résume: «L’emballage doit coûter plus que la marchandise». C’est aussi le cas des pâtisseries et gâteaux industriels qui nécessitent une protection digne d’un coffre-fort pour ne pas finir en bouillie au fond d’un sac.
Le meilleur
1. Pas d’emballage ou presque
Une part non négligeable des fruits et légumes sont en vrac. Ils sont identifiés par sticker, bandelette ou gravure laser si nécessaire. Certains rayons boucherie et poissonnerie au détail acceptent les contenants des clients. Celui de la boulangerie propose du pain non emballé. Des produits d’épicerie existent, eux, aussi en grands contenants.
2. «Actions» indiquées en rayon
Inutile de regrouper les articles, il suffit d’indiquer les promotions directement en rayon. Cela évite bandeaux et films plastiques et laisse le choix au client de prendre (ou non) le nombre d’unités pour en bénéficier. Car si l’emballage peut offrir une meilleure protection, l’incitation à acheter plus que nécessaire sous prétexte d’un prix avantageux favorise le gaspillage.
3. Emballages écoconçus
Le plastique ayant de plus en plus mauvaise presse, les matières recyclables comme le verre ou le carton ont la cote. Encore faut-il toutefois qu’elles soient recyclées, ce qui n’est pas le cas de matériaux composites impossibles à séparer. D’où l’importance que les fabricants pensent intelligemment les conditionnements dès leur conception.
Faire pression à la caisse
Contraindre les distributeurs à agir contre le suremballage passe par laisser ses déchets au magasin.
Les commerces sont-ils enclins à reprendre les déchets qu’ils génèrent et assumer ainsi leur part de responsabilités? Les enquêteurs ont parcouru les cantons romands, ainsi que Berne et le Tessin, pour examiner les solutions mises à disposition de la clientèle. Dans le Jura, la législation oblige chaque grande surface de plus de 200m2 à mettre en place un espace de déballage et à reprendre le superflu. La FRC Jura y a mené une enquête détaillée en partenariat avec le canton, constatant une bonne application de la loi. Mais cette obligation reste limitée au «suremballage», notion parfois floue et subjective pour le chaland. Dans les sept autres cantons, la situation diffère:
- Presque 90% des détaillants offrent au moins une poubelle de tri, le plus souvent plusieurs, parfois complétées par de véritables «murs de tri» pour tout type de déchets recyclables.
- Plus de la moitié des magasins mettent des poubelles à disposition pour les emballages. Si Aldi et Lidl équipent toutes leurs enseignes, Denner est le plus mauvais élève. Pour le duopole orange, Coop en propose dans 66% des cas, contre 44% chez Migros, peu importe la taille du magasin. Reste que ces déchets sont vraisemblablement incinérés.
- Les solutions payantes de recyclage (sacs pour la collecte du plastique Leo Recycle ou RecyBag, p.ex.) sont quasi invisibles en Suisse romande. Coop a pourtant déjà annoncé renoncer progressivement à la reprise gratuite des bouteilles en plastique.
Clairement, les clients disposent de peu de leviers, et la situation risque fort de se péjorer si la législation qui veut taxer les clients pour les déchets plastiques vient à passer. Aussi, laisser les emballages superflus en magasin est un geste simple qui peut avoir de l’impact s’il s’amplifie. Car en contraignant les distributeurs à gérer ces déchets, la pression monte pour qu’ils en limitent la production à la source.
Les faux amis
Le carton, pas toujours vertueux
À trop se concentrer sur le plastique, on en oublie que le carton représente 800000 des 1,5 million de tonnes de matériaux d’emballage mis sur le marché (chiffres 2022) et qu’il pose son lot de problèmes. D’abord, le poids a son importance lorsqu’il s’agit de calculer l’écobilan d’un contenant. Ensuite, la matière est souvent recouverte d’une pellicule de plastique dans le domaine alimentaire, ce qui complexifie le recyclage. Car le carton, en particulier recyclé, peut être à l’origine de transfert de substances indésirables telles que les huiles minérales (MOAH) provenant des encres d’impression ou des fibres recyclées. Si le carton reste une bonne alternative au plastique, l’impact de sa production tout comme de son recyclage ainsi que les risques qui lui sont liés ne doivent pas être négligés.
L’emballage ne fait pas l’écobilan
S’interroger sur les contenants ne doit pas faire oublier le contenu. Il est bon de rappeler que le type de denrée et son mode de production pèsent en général bien plus lourd dans le bilan environnemental d’un produit que son conditionnement. De plus, cela n’a pas d’impact sur la composition: un aliment peu sain le reste, quel que soit son habillage.
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