1.9.2015, Laurianne Altwegg – collaboration Nicolas Berlie / Photo: Jean-Luc Barmaverain
Lourd et coûteux, le recyclage peine à faire sa place face à la «valorisation» thermique.
L’image choc du «7e continent de plastique», immense amas de déchets dérivant dans l’océan, a marqué les esprits. Image parlante, mais abusive puisqu’il s’agit plutôt d’une «soupe de plastiques». «L’image d’un continent sert à sensibiliser le grand public, mais ne rend pas compte de la réalité, confiait au Monde François Galgani, océanographe et chercheur à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Il s’agit plutôt d’une multitude de micro-plastiques, d’un diamètre inférieur à 5 millimètres.»
Or une petite partie de ces microplastiques vient des eaux douces suisses, victimes notamment du littering, des déchets sauvages. En 2013, l’EPFL a ainsi analysé les eaux du Rhône à Chaucy, à la frontière française. Résultats inquiétants: chaque jour, ce sont 10 kilos de microplastiques qui transitent vers la France, soit plus de 3,5 tonnes annuelles de matière qui plongent à terme dans la Méditerranée.
Et le tableau est sans doute plus noir: l’étude de l’EPFL se limite aux fragments compris entre 0,3 et 5 millimètres, alors que la plupart des microplastiques décelés dans les sédiments étaient en-deçà. Il est donc «fort probable que des particules de taille inférieure à 0,3 millimètre soient présentes en grande quantité», concluent les auteurs.
Ces fragments, essentiellement du polyéthylène (PE) et du polypropylène (PP), se retrouvent dans la chaîne alimentaire, dans le tube digestif des poissons et des oiseaux qui les gobent. Avec souvent des conséquences funestes: soit ils obstruent leur estomac, soit les plastiques, ces «éponges à toxines», les empoisonnent.
Le plastique, excellent combustible
C’est l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) qui a commandité cette étude. Pourtant, dans le débat actuel sur le recyclage, ce dernier a une position plutôt conservatrice: l’OFEV déconseille la collecte séparée des plastiques, estimant que la valorisation thermique, c’est-à-dire l’incinération, présente plus d’avantages, en l’absence d’autres filières de valorisation. Ou du moins de filières bien organisées. Car des initiatives privées existent, mais elles doivent composer avec une réalité financière difficile. La lourde logistique de la collecte, le tri complexe de matières souvent composites, leur nettoyage, tout cela génère des coûts importants qui font du recyclage une activité peu ou pas rentable. Sans oublier la baisse des cours du pétrole, qui déprécie d’autant plus le produit recyclé.
La faillite de Swisspolymera, en 2008, en est un cuisant exemple. L’usine payernoise, pionnière dans le recyclage des plastiques mélangés, transformait les polymères en granulats pour produire cagettes et tuyaux.
Les villes doivent composer avec ce manque de débouchés. Selon une enquête de l’émission radio On en parle réalisée en 2013 auprès de 150 Communes, seul un quart collectent le plastique. Et encore, les matières collectées finissent le plus souvent dans les incinérateurs d’ordures ménagères ou les fours des cimenteries: une solution souvent économiquement plus intéressante générant chaleur et électricité. Les usines d’incinération elles-mêmes, qui fonctionnent en sous-régime, ont tout intérêt au statu quo, le plastique étant un excellent combustible.
Cette mathématique implacable du recyclage, la France l’a aussi expérimentée: nos voisins collectent depuis plusieurs années les plastiques en vrac dans les containers à tri, mais seul un quart des emballages ménagers sont effectivement recyclés – les bouteilles et les flacons –, le reste étant brûlé ou enfoui.
Et pourtant, c’est possible !
La messe est-elle dite? Non, car des initiatives privées et publiques montrent que l’incinération du plastique n’est pas une fatalité. La Ville de Lausanne, par exemple, fait partie des communes qui vont à l’encontre des recommandations de l’OFEV: une partie des plastiques qu’elle collecte sont effectivement recyclés, même si les matières souillées sont systématiquement incinérées.
Mais l’exemple peut-être le plus frappant vient de Migros: depuis 2014, le géant orange collecte, en plus du PET et des bouteilles de lait, les bouteilles de shampoing, de lessive ou de produits ménagers dans ses 600 points de vente. Celles-ci sont pressées en ballots et acheminées vers la centrale de recyclage d’InnoRecycling, à Eschlikon (TG). Les ballots sont broyés, fondus et transformés en granulés, utilisables pour une nouvelle production: des tuyaux ou des gaines de câble par exemple.
En 2014, Migros a acheminé 2000 tonnes de bouteilles et de flacons en plastique. Mais est-ce rentable? «D’un point de vue purement économique, nous ne faisons aucun bénéfice, même plutôt une perte, relève Tristan Cerf, porte-parole pour la Suisse romande. Mais, d’un point de vue écologique, le recyclage du plastique vaut la peine. Nous contribuons à ménager les matières premières et à réduire le CO2.»
Car un kilo de plastique incinéré génère 2,83 kilos de CO2, détaille la société InnoRecycling. Et un kilo de granulés permet d’économiser 3 litres de pétrole brut. L’argument est donc aussi bien écologique qu’économique: le plastique recyclé revient moins cher que le plastique neuf, jusqu’à 50%. Mais encore faut-il considérer la chaîne complète du recyclage. Ce qui amène à plaider pour la mise en place d’un réseau national de recyclage du plastique.
Cet automne, les Vaudois auront à débattre sur l’obligation pour les centres commerciaux de grande taille d’avoir une déchetterie. Un mouvement s’amorce.
Lire aussi: « Plastique, l’envahisseur aux mille visages »