21.2.2022, Barbara Pfenniger
Ce secteur prometteur cible surtout les personnes qui diminuent les produits carnés pour des raisons environnementales, non par goût. FAQ.
Pour répondre aux nouvelles attentes de consommation, certains fabricants misent sur la «viande de synthèse». Élaborée en laboratoire, elle est présentée comme plus proche de la denrée au naturel. Le discours laisse entendre que le produit est simple, délicieux, sain, naturel et plus durable. Derrière cette communication bien ciselée, les cellules cultivées en éprouvettes s’approchent-elles d’un monde entre bœuf Frankenstein et poulet Tricatel de L’aile ou la cuisse? La «viande de synthèse», au stade du prototype, n’est pas encore sur les marchés européen et suisse. Raison de plus pour préparer un cadre légal apte à protéger le consommateur contre la tromperie et à préserver sa santé.
Viande de synthèse, de quoi s’agit-il? Des cellules capables de se spécialiser en cellules musculaires sont prélevées par biopsie sur un animal vivant, un bovin par exemple. Il peut aussi s’agir de cellules souches génétiquement modifiées. Leur culture se fait dans un laboratoire d’essai ou dans une cuve en inox, chauffée à température corporelle. Le bioréacteur qui sert à multiplier les cellules est rempli d’une solution nutritive essentielle à la croissance, laquelle est classée secret de fabrication.
Quelle en est la composition? La solution contient eau, acides aminés, sucres et graisses, vitamines, minéraux et d’autres substances favorisant la croissance, notamment des hormones. Des antibiotiques sont aussi nécessaires si la stérilité du milieu n’est pas garantie d’une autre manière. Ce bouillon de culture recourt donc aux hormones et antibiotiques, comme dans l’élevage de masse à l’étranger.
Très souvent, les substances nécessaires à la croissance des cellules proviennent de sérum de veau fœtal. Le procédé est peu ragoûtant, puisqu’il s’agit de prélever le sang de fœtus bovins vivants, retirés de vaches portantes qui ont été abattues. Des entreprises comme Mosa Meat et Aleph Farms indiquent utiliser un milieu non animal qu’ils décrivent avec des termes imagés, sans détailler la composition.
Et ensuite? La plupart des produits de synthèse ressemblent à des hamburgers: en gros, des fibres allongées qui ont été agglomérées, colorées et aromatisées. Afin que le produit ressemble davantage à de la viande, une matrice permet de former un «steak». Les premiers exemplaires ont été présentés au public. Il n’est pas clair s’ils contiennent aussi des arômes, des colorants et d’autres substances nécessaires pour en améliorer l’apparence et le goût. Mais l’un dans l’autre, il s’agit bel et bien d’un produit ultratransformé.
Ce marché représente-t-il une niche? Un seul échantillon prélevé sur un bovin permettrait de produire l’équivalent de 80 000 burgers d’environ 110 g chacun. Aleph Farms prévoit de produire des milliers de tonnes de steaks par an. À condition que les coûts du bouillon de culture, des conditions d’hygiène et de l’énergie baissent, la production de viande de synthèse promettrait de générer un rendement intéressant – pour l’industrie agro-alimentaire, pas pour l’agriculture.
Le secteur est-il convoité? Investisseurs et grandes entreprises de produits carnés du monde entier s’y intéressent. Proche de nous, l’entreprise transformatrice de viande Bell Food Group (Bell, Hilcona, etc.), qui appartient à Coop, a investi dans Mosa Meat aux Pays-Bas, laquelle avait fait déguster le premier burger de laboratoire. Migros a investi dans un concurrent direct, Aleph Farms, en Israël. Le produit présenté début 2021 est déjà plus structuré qu’un burger haché. Givaudan, spécialiste suisse des arômes notamment, vient de s’allier avec Migros et la société zurichoise Bühler pour créer un Cultured Food Innovation Hub. Il est destiné à stimuler le développement de produits issus de la culture cellulaire et à accroître les parts de marché dans notre pays.
Qu’en est-il des écobilans? Évaluer l’impact environnemental d’une méthode expérimentale est complexe et les résultats divergent. Toutefois, tous reconnaissent que la production in vitro (fabrication de la solution de culture et chauffage des bioréacteurs) nécessite plus d’énergie que la production de volailles ou de porcs. Une étude de 2019 estime que l’effet climatique du méthane émis par les bovins est plus important mais de plus courte durée que le CO2 émis pour la culture in vitro. Une autre montre que le résultat peut être amélioré en utilisant de l’énergie renouvelable. L’impact des protéines d’origine végétale comme les lentilles ou le tofu reste néanmoins le plus faible. Aucune étude n’a comparé l’effet sur la biodiversité ou le facteur social.
Marketing bien rodé? Selon un sondage du Bureau européen des unions de consommateurs, huit consommateurs sur dix ne veulent pas de «viande in vitro». Toutefois, les fabricants ont identifié que des arguments liés à la santé, au bien-être animal et à l’environnement pourraient faire accepter ces produits ultratransformés. Ainsi, ils vantent une «viande propre», présentent les produits de synthèse comme plus «naturels». Alors que l’élevage intensif fait l’objet de nombreuses critiques, l’appellation «viande sans abattage» suggère que le procédé permet de manger de la «viande» avec bonne conscience. Il est donc crucial que l’agriculture reconnaisse les attentes du consommateur et améliore ses pratiques pour rendre l’élevage plus durable. Car veut-on vraiment laisser notre alimentation entre les mains d’entreprises technologiques – ou ne faut-il pas privilégier le «manger vrai», en quantité raisonnable, de production locale et durable?