4.12.2018, Aude Haenni
Les sols suisses, propices à la truffe, permettent aux amateurs de se délecter d’un mets d’exception.
«Si nous nous déplaçons dans ce coin-là, je vous banderai les yeux et vous boucherai les oreilles!», annonce Alain Seletto, ne blaguant qu’à moitié. Tels les coins des champignonneurs, ceux des caveurs – soit les ramasseurs de truffes – demeurent secrets. Cependant, ravi de partager sa passion, le président fondateur de l’Association Suisse Romande de la Truffe (ASRT) a accepté, un lundi de novembre, d’être accompagné par la FRC dans sa quête du diamant noir.
A l’orée d’un bois du Jura vaudois (que nous ne citerons pas, secret professionnel oblige), le caveur lance un joyeux «Allez, on bosse!» à Dalba, chienne entraînée à l’exercice depuis sept ans. La phrase annonce l’ouverture de la chasse. Truffe au vent, la Lagotto Romagnolo gambade, dédaigne un talus, s’arrête, renifle. Les deux pattes avant s’engagent soudainement sur un tapis de feuilles mortes. La terre gicle, le maître accourt, bouscule gentiment l’animal «pour ne pas qu’il abîme la truffe» et l’extrait. Car oui, ce produit d’exception se cache bel et bien à nos pieds, et ce à peine la balade entamée.
Alain Seletto brandit fièrement la petite boule informe à l’écorce – le péridium – brun-noirâtre, la première d’une belle série, puis récompense d’une légère friandise l’héroïne du jour. Deux fois. Tel est le prix à payer par truffe trouvée!
Le garde-faune de métier s’empresse ensuite de reboucher la terre et de replacer quelques feuilles sèches. «D’une part, cet endroit n’est pas à moi, ce ne serait pas juste de laisser des trous. D’autre part, le soleil sèche les radicelles, explique-t-il. Et évidemment, cela mettrait les autres caveurs sur la piste!»
La valeur du vrai caveur
Car le pire c’est l’autre, nous annonçait ce passionné en début de discussion. Sangliers mis à part, «l’autre» est au nombre de 200 environ en Suisse romande. Un boom dû à l’arrivée des Lagotto, chiens truffiers par excellence, affirme Fredy Balmer, spécialiste de ce tubercule depuis plus de quarante ans. «Pourtant, il ne suffit pas d’avoir le chien. Il faut déjà trouver l’arbre pour trouver la truffe!» Hêtre, noisetier, cèdre, tilleul sont quelques-unes des espèces reconnues pour favoriser la présence du champignon symbiotique. «Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, le chêne en produit le moins sur nos terres», note Alain Seletto.
Pas de truffes sans une forte connivence entre Alain Seletto et Dalba.
Connaissances environnementales, scientifiques, mais encore éthiques et pratiques s’acquièrent notamment auprès de l’ASRT qui délivre, à l’issue des cours, une attestation de compétence dans ce qui demeure un marché de niche. De quoi espérer un excellent produit de la part d’un caveur certifié et non pas d’un expert autoproclamé. «Dans les marchés spécialisés, vous ne risquez rien, contrairement aux grandes surfaces, souligne Fredy Balmer. Un vrai caveur n’aurait pas intérêt à faire de magouilles; vendez une truffe avec un ver ou un pot bourré d’arômes, et l’on ne reviendra plus chez vous»!
Bien que ses Tuber uncinatum soient fermes et d’une belle couleur – gages de qualité –, sur les 300 grammes récoltés en une petite heure, Alain Seletto se séparera de quelques déchets. La faute à des aspérités créées par des vers ou des liodès, de petits coléoptères friands de ce champignon. «A 700 francs le kilo, le produit vendu doit être irréprochable, souligne celui qui est par ailleurs contrôleur de lots sur les marchés. Les petits morceaux consommables d’aujourd’hui finiront en beurre, rillettes de porc et fond de truffe.» Bien loin des arnaques chinoises et des truffes qu’on nous vend comme étant d’Alba (I), il semblerait que le tubercule suisse se fasse ici une place de choix!