6.2.2017, Joy Demeulemeester / Photo Shutterstock / Massimo Cavallo
Les assureurs bottent en touche: les réserves ne seraient pas excessives et la FRC et Bon à Savoir violeraient la loi.
Mis à jour le 22 février – Mobilisés depuis novembre par le magazine Bon à Savoir (Ed. Plus), les associations de défense des consommateurs FRC et ACSI au Tessin, plus d’un millier d’assurés ont écrit à leur caisse. Ils leur ont demandé de redistribuer les réserves excessives constituées grâce à leurs primes. Sans grande surprise, hélas, les caisses ont refusé d’entrer en matière. Mais leurs motifs, eux, sont parfois étonnants.
Comme Curafutura, l’association fondée par CSS, CPT, Helsana et Sanitas, nous reproche de mal vous informer et s’en est plaint à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), nous nous sommes associés à des membres du GAAM (Groupe actuariel de réflexion sur l’assurance-maladie), pour relire et corriger si besoin notre analyse des arguments et explications données par les caisses dans leurs réponses. Ce groupe avait publié en 2009 déjà un rapport sur le fonctionnement de la LAMal et en a notamment sévèrement critiqué le système de réserves.
Petit rappel: à l’origine de la présente action, il y a le test de solvabilité LAMal 2016, publié sur le site de la Confédération priminfo.ch. Celui-ci se compose de trois colonnes révélatrices représentant:
1) le montant des millions de francs de réserves disponibles en janvier 2016 auprès de chaque caisse
2) quelle serait sa réserve minimale
3) le taux de solvabilité de la caisse qui montre si les fonds à la disposition de la caisse atteignent ou non le minima de réserves requis
Prudent à l’excès
Mais où se situe l’excès? Légalement, l’Ordonnance sur la surveillance de l’assurance-maladie sociale (OSAMal), définit l’excès à l’Art. 25.5 «lorsque la couverture du niveau minimal des réserves de l’assureur serait garantie à long terme avec un niveau inférieur». Ce fameux minimum doit être calculé, pour chaque caisse, sur la base de diverses projections et selon une méthode imposée et contrôlée par l’Office fédéral de la santé publique.
Tout cela, bien entendu, est extrêmement technique, mais il faut comprendre qu’avec un taux de solvabilité à 100% (3e colonne du tableau), la caisse dispose du minimum de réserves calculé pour faire face aux mauvaises surprises. Quand la caisse est en-dessous de ce taux, cela signifie qu’elle a les reins moins solides pour faire face aux imprévus. Ce qu’explique d’ailleurs une des caisses: «L’OFSP fixe des minimas en matières de réserves légales, les assureurs dont les réserves sont en dessous dudit minimum, doivent ainsi impérativement être assainis ce qui peut avoir pour conséquence des hausses de primes massives, comme cela est d’ailleurs le cas de certains assureurs dits « low cost », voir même, dans certaines situations, la cessation de l’activité.»
Tel est d’ailleurs précisément le cas de Groupe Mutuel, dont le taux de solvabilité affiche 79%. Ce géant de l’assurance n’est bien sûr pas au bord de la faillite, mais devra corriger le tir.
A l’inverse, si les réserves excèdent les 100%, la caisse dispose d’une marge de sécurité plus ou moins importante. Comme les assureurs, de fait, adorent la sécurité et jouer la prudence, leur taux frisent parfois le déraisonnable, avec des réserves jusqu’à trois fois supérieures au minimum, voire davantage. On ne sait jamais, les prévisions pourraient être fausses et il faut se prémunir, nous expliquent-ils, «contre les événements exceptionnels majeurs qui pourraient mettre en péril leur survie: variations significatives de leur portefeuille d’assurés, pandémies, accumulation de cas lourds pendant une année, etc.»
Admettons. Mais dans la mesure où moins de 10% d’assurés changent de caisse, que la dernière pandémie ne date pas d’hier, et que le mécanisme de compensation des risques prévoit justement de rétablir un équilibre financier entre les caisses dotées d’assurés leur coûtant cher et celles dotées de bons risques, l’argument est difficilement recevable. Et n’oublions pas que, comme la prime est calculée en fonction du coût, dans le pire des cas, l’assureur a toujours la possibilité de renflouer sa caisse en augmentant son obole l’année suivante.
Plusieurs caisses se veulent aussi rassurantes quant au devenir de cette marge en rappelant que «les assureurs proposant l’assurance obligatoire des soins (AOS) ont l’interdiction de réaliser des bénéfices à ce titre. Chaque franc de primes sert à financer l’AOS.» On pourrait dès lors imaginer que si les fonds suffisent, et que les bénéfices sont interdits, l’excédent soit remboursé. C’est hélas très rarement le cas.
Pouvoir mais pas devoir
Il faut dire que cette possibilité n’est prévue dans l’OSAMal qu’à partir d’un taux de solvabilité de 150%. Et encore, l’Ordonnance dit seulement que l’assureur «peut» réduire ses réserves et non «doit» (art. 26). Un article qui sonne comme une farce dans une législation sensée surveiller les caisses. Il faut dire qu’elle a été acceptée au lendemain du refus de l’initiative pour une caisse publique et que lors de son passage devant les Chambres parlementaires elle a été sensiblement vidée de sa substance.
La FRC et Bon à Savoir, connaissant effectivement le contenu de cette loi, ont pour cette raison formulé la lettre-type avec «demande» d’évaluer et de procéder au remboursement. Mais nous aurions sans doute dû ajouter un «s’il vous plaît»…
Soulignons aussi que les réserves des caisses les plus interpellées par nos lettres ne sont légalement pas considérées comme assez excessives pour envisager un remboursement, puisqu’elles n’atteignent effectivement pas les 150%. Assura est à 113%, CSS 117% et Helsana, a eu chaud, 145%.
Qui demande des baisses ?
Et comme déjà expliqué : excéder ne suffit pas pour restituer les excédant de primes aux assurés, encore faut-il le vouloir et ensuite obtenir le feu vert de l’OFSP. Cette dernière étape, selon Helga Portmann de la Division Surveillance de l’Office ne serait pas un obstacle : « Si les modes de restitutions aux assurés sont équitables et que les autres exigences de la loi sont remplies, nous ne refusons pas les demandes lorsqu’elles nous sont faites». Quant à savoir quelle caisse a ou n’a pas déposé de demande, c’est malheureusement une information qu’elle n’a pas le droit de communiquer.
Enfin, pour conclure cette analyse des réponses reçues, l’argument le plus cocasse est sans doute celui où les caisses s’appuient sur un chiffre global: «Les réserves excédentaires dont vous exigez la restitution s’élèvent à 1,9 milliard de francs pour tous les assureurs.» Sauf qu’il n’existe aucun pot commun pour cet argent, puisque le Parlement a rejeté une modification de la LAMal allant dans ce sens et le lobby des assurances prend systématiquement position contre tout projet de réforme allant dans cette direction. Ainsi, chaque caisse continue à constituer ses propres réserves et si l’assuré la quitte, sa part, elle, reste auprès de l’assureur.
Mais, encore une fois, les assureurs sont dans leur bon droit. La législation autorise la constitution de grosses réserves, et même dans l’excès, elle ne les oblige pas à restituer l’argent aux assurés.
Des sièges clés au Parlement
Donc, ce n’est pas la faute des assureurs, mais de lois insensées. Lois votées par le Parlement, après préavis de deux commissions spécialisées dans la sécurité sociales et la santé publique (CSSS) et dont les présidences sont actuellement occupées par Ignazio Cassis, président de Curafutura, et Conrad Graber, membre du conseil d’administration de CSS. A leurs côtés siègent de nombreux autres parlementaires liés aux assureurs. Et tout ceci est parfaitement légal.
Dans le même esprit, la FRC est également très heureuse de respecter la Loi sur l’information des consommatrices et consommateurs en diffusant ces informations sur les réserves.
Tous les passages en italiques sont extraits des réponses des assureurs.