8.10.2019, Sandra Imsand
Patchs colorés et borderies apparentes: les réparations sur les vêtements s’exhibent fièrement.
L’industrie textile émet chaque année 1,2 milliard de tonnes de CO2, soit plus que l’ensemble des émissions du transport maritime et aérien. Il s’agit de la deuxième industrie la plus polluante au monde. Et pourtant, seules quelques entreprises mettent en œuvre des mesures pour une gestion efficace de l’environnement. A contrario, certaines développent des stratégies consistant à lancer sur le marché des nouvelles collections à intervalles de plus en plus courts. Un Suisse achète déjà 20 kilos de textile par an et la demande mondiale devrait atteindre les 102 millions de tonnes en 2030. Il en résulte des montagnes d’habits neufs ou presque, incinérés ou injectés dans les circuits de seconde main.
Un épiphénomène tente de résister à cette fast fashion, et il va plus loin que le strict raccommodage. Il consiste à rapiécer de façon apparente, voire ostentatoire. Auteur et ambassadrice de ce mouvement aux Etats-Unis, Jessica Marquez explique que la réparation visible est un moyen d’expression. «Au lieu de cacher un défaut, je le transforme en une pièce unique et personnelle.» De cette façon, accrocs et taches sont mis en valeur et deviennent témoins de l’histoire d’un vêtement comme autant de preuves d’amour. Un antidote au vite acheté et vite jeté.
Les livres sur la réparation visible foisonnent, en particulier outre-Atlantique. Certains, à l’image de Mending Matters de Katrina Rodabaugh, sont devenus des bestsellers régulièrement en rupture de stock. Des ateliers et des cours permettent de se faire la main, et, sur les réseaux sociaux, photos et tutoriels sont légion.
Effet neuf avec du vieux
Concernant les techniques utilisées, elles sont souvent tirées de méthodes traditionnelles. Comme les points de broderie utilisés pour masquer un trou ou une tache. Lucilla Croquelois, experte en textile à la FRC, utilise d’ailleurs cette méthode héritée de sa mère. «Je répare bas de manches, bords de poches et déchirures avec des tissus contrastés, et les trous de mites en brodant un sujet par-dessus la réparation.»
Autre technique qui revient en vogue: le sashiko ou boro, né au Japon pendant la période Edo dans les communautés pauvres. Pour contrer l’usure, les Japonais ajoutaient des tissus de couleur maintenus à l’aide de points répétitifs pour créer un motif et assurer la solidité de l’ouvrage. A l’époque, le sashiko répondait à des impératifs de longévité liés à des contraintes financières. Aujourd’hui, cette durabilité s’exprime dans le fait de prendre le temps de réparer, de porter attention à ses vêtements.
Passe-temps qui a du chien
Stéphanie Jaquet a expérimenté la technique sur sa vieille veste fétiche en jeans. Après avoir couvert les trous d’usure avec des points en croisillon, elle a orné une manche de broderies plus élaborées, purement esthétiques, avant d’embellir les bords des manches et la boutonnière qui s’effilochaient. «J’apprécie le côté très graphique du sashiko, explique la Genevoise de 47 ans. Je porte cette veste tout le temps. Elle me fait sourire.» Le nombre d’heures passés à rapiécer? Elle ne les a pas comptabilisées. «Je n’en tiens pas compte. J’estime que c’est un passe-temps agréable avant tout.» Stéphanie a aussi utilisé des points de sashiko pour deux shorts. La prochaine mission: s’attaquer à une chemise de son mari. Fera-t-elle des émules?