19.7.2019, Christophe Bruttin
Pour les consommateurs qui s’estiment lésés par les pratiques des acteurs du marché gris, la mésaventure commence souvent au premier clic. La suspension par Google du compte publicitaire de Viagogo change la donne. Explications.
On ne sait pas ce qui a fini par décider Google. Les procès à répétition dans toute l’Europe, les démarches des différentes associations de consommateurs et les nombreux articles de presse ont certainement contribué à ce que le géant de la recherche finisse par bloquer les publicités de l’un des acteurs majeurs du marché secondaire. Mais pourquoi est-ce si important?
Mise à jour 27 novembre 2019: les annonces de Viagogo sont de retour sur Google.
Pourquoi le premier emplacement est clé
Google a bâti sa réputation sur la capacité de ses algorithmes à fournir de bons résultats. Autrement dit, en jugeant de la pertinence et de la qualité des sites, l’outil de recherche fournit souvent le site le plus adapté à la question que l’on pose. L’ordre des résultats gratuits est déterminé séparément des positions payées, selon une recette secrète sans aucun favoritisme ni pénalité selon Google.
Les publicités (Google Ads) présentes en tête de la page sont à peine séparées des résultats gratuits. Leur statut d’annonces payées est peu visible et, même si l’on en est conscient, elles sont rarement de mauvaise qualité. De nombreuses marques utilisent d’ailleurs ces mêmes emplacements payants pour garantir la première place tant convoitée pour les quelques mots-clés qui les définissent, même si chaque clic leur coûte du coup quelques centimes.
La difficulté de déloger la meilleure enchère
Les internautes ignorent souvent qu’il y a une lutte qualitative et financière au niveau même des publicités. C’est logique, puisque Google a intérêt à présenter une annonce performante: non seulement l’internaute est ainsi satisfait de son clic (donc du moteur de recherche utilisé), mais une publicité cliquée ramène de l’argent à Google alors qu’une publicité non cliquée est une opportunité manquée.
Les positions publicitaires sont mises aux enchères de façon automatisée par mot-clé de recherche, et Google récompense ensuite les annonceurs performants en baissant significativement le coût par clic. Comme le modèle économique de Viagogo repose fortement sur l’efficacité de ces publicités, celles-ci sont en permanence présentes et continuellement adaptées pour être les plus efficaces possibles. Elles profitent en outre de jouer entre tous les lieux de concerts: avant même que l’on sache par exemple qu’un artiste ABC est présent au Paléo Festival, Viagogo répond déjà aux mots-clés «billets artiste ABC» pour des événements annexes et cimente ainsi sa première position «payée» sur le long terme. Lorsque tel festival ou billetterie cherche à se réapproprier un unique concert, la bataille est déjà perdue: il faut commencer avec une enchère très haute et tenter de rapidement convaincre l’algorithme de Google Ads que son lien payant est plus efficace que celui, déjà ultraperformant, de la plate-forme de marché gris. C’est là l’une des spécificités du domaine qui fait que la branche ne peut simplement pas lutter à armes égales contre les agrégateurs de billets.
Un traitement spécifique « billets » à respecter sur Google Ads
Cette situation particulière est la raison pour laquelle la campagne de la FRC, reprise au niveau européen, a mis l’accent sur l’importance du premier lien sur Google et Bing. Elle explique aussi pourquoi Google a mis en place des règles spécifiques pour les publicités concernant la vente de billets en février 2018, après une première salve de critiques.
Aujourd’hui, Google Suisse se contente de confirmer que des infractions à ces mêmes règles ont été constatées, sans en dire plus sur la durée de la suspension ou sa signification. La FRC a demandé à Microsoft si Bing allait suivre l’exemple.