18.1.2023, Sandra Imsand / Une personne souffrant de problèmes qui nécessitent un suivi particulier confiera son dossier à un praticien qui maîtrisera tout l'historique du traitement. Photo: Jean-Luc Barmaverain
La prestation dans un centre regroupant plusieurs professionnels est correcte, mais les factures sont incompréhensibles. Enquête.
Depuis deux décennies, les grands centres qui promettent prise de rendez-vous simplifiée, temps d’attente réduit et, parfois, tarifs imbattables par rapport aux cabinets traditionnels fleurissent en Suisse. Leurs arguments font mouche, alors que 25% des Suisses ont renoncé à consulter un dentiste en 2020 pour une question de budget. Or une bonne hygiène bucco-dentaire prévient non seulement des parodontites (inflammation des tissus de soutien de la dent), mais aussi des maladies cardiovasculaires, respiratoires, du diabète et des inflammations articulaires.
Prestation convaincante
Après des débuts plutôt chaotiques en Suisse – avec comme faits marquants la liquidation d’une chaîne low cost et la condamnation de son fondateur – ces cliniques ne mettent plus forcément en avant des prix imbattables, mais leur sérieux et la praticité de leurs services. La FRC y a donc envoyé ses enquêteurs pour un détartrage. lesquels ont confié leurs dents à 19 centres romands et ont évalué leur visite. De leur côté, des experts ont décrypté les factures afin de rendre compte si elles étaient claires et conformes aux recommandations, notamment celles de la Société suisse des médecins-dentistes (SSO).
«Ils offrent toutes sortes de boissons gratuitement, demandent si on veut écouter de la musique ou regarder Netflix pendant le traitement.»
De manière générale, les clients mystères ont été plutôt convaincus. Ils ont apprécié la facilité de la prise de rendez-vous par internet (en ligne, le prochain créneau disponible est visible immédiatement), e-mail, téléphone ou sur place. Idem pour l’aménagement des cabinets et les équipements de pointe: «Lieu moderne, lumineux, propre, design et soigné», a ainsi commenté un enquêteur genevois. «Ils offrent toutes sortes de boissons gratuitement, demandent si on veut écouter de la musique ou regarder Netflix pendant le traitement», explique cet autre Genevois. Le fait de recevoir une petite attention, souvent des kits contenant brossettes et brosse à dents, bain de bouche et dentifrice, a plu. Mais le soin du détail va parfois trop loin: une clinique a proposé à l’enquêtrice de la prendre en photo afin que son hygiéniste la reconnaisse dans la salle d’attente la fois suivante. Une saisie de données inutile!
Prix peu comparables
Il y a les cliniques qui affichent clairement leurs tarifs en ligne. Et celles qui laissent le patient dans l’incapacité d’évaluer ses frais et de comparer. Relevons chez Ardentis, un forfait «nouveau client» qui inclut un détartrage ainsi que deux radiographies pour 120 francs, un prix d’appel intéressant. Clinique d’Hygiène Dentaire (CHD) affiche la même prestation à 140 fr. (prix fixe). Tout en proposant des rabais surprenants, à l’instar d’une réduction de 20% pour les adhérents Fnac et les assurés d’Assura ainsi que du Groupe Mutuel.
Chez Ardentis, encore, une offre étudiant à 120 fr. a visiblement été arrêtée en cours d’année, sans explication. Cela a eu le don d’agacer un enquêteur vaudois, client de longue date. «On m’a dit qu’il y aura des rabais de 10% à durée limitée. Mais ils ne savent pas encore comment ils vont le communiquer. Qui sait s’ils les proposeront réellement?»
L’offre la moins chère repérée émane du Centre dentaire Fribourg (cinq autres succursales sur Vaud et Valais), avec un forfait à 69 fr. la demi-heure, inchangé depuis 2005. Et c’est dans le Jura que les facture les plus élevées ont été relevées, à plus de 180 et 200 francs!
Facturation yo-yo
L’enquête s’est corsée au moment de se pencher sur la tarification. Un tarif, Dentotar, s’applique depuis 2018. Il fixe le nombre de points – ou plutôt une fourchette – pour une prestation, du fait qu’elle est pratiquée par un médecin-dentiste, un hygiéniste ou un assistant en prophylaxie. L’incidence est non négligeable puisque les praticiens sont libres de déterminer la valeur de leur point.
Dans notre enquête, ce dernier oscille entre 92 ct. et 1 fr. 10. La localisation du centre justifie souvent les écarts. Mais rien de choquant pour la profession, certains cabinets de standing facturant le point 3 fr. 50! La valeur du point figurait la plupart du temps sur la facture. En revanche, nous avons rarement su le nombre de points attribués à chaque prestation. Il a donc fallu sortir la calculette. Un traitement par tranches de 5 minutes par un hygiéniste vaut en moyenne 15,7 points, selon Dentotar. En dehors des forfaits, c’est ce nombre de points qui est appliqué pour les cliniques. Adent en Valais fait exception, avec 12,9 points mais facture la désinfection de la place de travail 13 fr. 90, là où d’autres la font payer 7 fr. ou l’englobent dans le forfait. Les cabinets CHD mélangent allégrement les systèmes de tarification, utilisant les anciens codes pour les forfaits à 140 fr. et le système Dentotar pour la facturation par tranches de 5 minutes. Pas simple de s’y retrouver!
Autre difficulté: si la prestation est effectuée par un assistant en prophylaxie, le nombre de points baisse, avec une moyenne à 12,2. Dans le cas de Helvident à Fribourg, notre enquêteur s’est vu facturer un forfait de 90 fr. pour 45 minutes, ce qui correspondrait à 10 points (la valeur du point est à 1 fr. ici), soit bien en dessous des valeurs de la branche. Mais dans la mesure où la pose de gelée fluorée a été comptée en sus, alors que le praticien facture son temps plutôt que chaque geste, le calcul est légèrement moins intéressant.
«La facture va du simple au quadruple. L’écart est impossible à comprendre pour un patient.»
Quant au Centre dentaire de Fribourg, qui a de loin la facture la moins élevée avec 59 fr. pour le détartrage, il propose aussi la moins détaillée. On ne peut visiblement pas tout avoir! Étonnamment, les factures les plus élevées, soit 186 fr. 40 à Delémont et 204 fr. 60 à Tramelan, ne sont pas plus précises…
Les enquêteurs ont aussi noté que les radiographies étaient souvent proposées, parfois avec insistance. Les tarifs allaient de 40 à plus de 150 fr. Or, si la radio est utile pour détecter une carie, elle ne se justifie pas systématiquement. L’enquêteur qui a confié sa bouche au Centre Médico-Dentaire à Colombier (NE) raconte: «L’hygiéniste m’en a proposé une, mais le dentiste s’en est mêlé et, après contrôle, a dit qu’il n’y en avait pas besoin.»
Même si l’enquête dresse un tableau global assez encourageant, le patient ne peut pas faire l’économie de poser des questions et d’établir une relation de confiance.
Pour en savoir plus : Honoraires: les médecins cassent les codes