26.5.2009, Carsten Terp Adaptation française: Anne Onidi
Les 200 000 employés de Nike au Vietnam ne peuvent pas élire leurs représentants syndicaux. Stoïques, ils ne se plaignent pas.
« Si la direction de Nike appliquait vraiment ses principes, elle dirait au régime vietnamien: « Nous voulons laisser nos employés choisir eux-mêmes leurs représentants. Nous ne voulons pas de préposés du Parti communiste imposés comme représentants de prétendus syndicats. » Pour Trung Doan, secrétaire général de l’Organisation de protection des travailleurs vietnamiens, Nike feint purement et simplement de respecter certains aspects du RSE. Car, dans le code de conduite de Nike, le premier point ne serait-il pas justement « le droit de former des associations libres et des conventions collectives »?
Le Vietnam n’est pas la Chine
Comme d’autres, Nike a préféré le Vietnam à la Chine pour ses salaires plus bas et ses réglementations moins strictes en matière d’environnement. Peu importe si, dans ce pays, le Parti communiste au pouvoir impose l’un des régimes les plus autoritaires du globe. Depuis 2006, le gouvernement a intensifié la répression contre les défenseurs des droits du travail, faisant régresser la condition des travailleurs en plein âge des ténèbres.
Licenciements abusifs
En Chine, où les syndicats libres sont aussi prohibés, Nike a fait une déclaration publique pour soutenir la liberté d’association. Comme rien de tel n’a été fait au Vietnam, les ouvriers souffrent d’un cruel manque de soutien au sein de leurs usines respectives.
Ce qui s’est passé au Vietnam il y a un an dans l’usine de Ching Luh illustre bien le problème. En mars 2008, l’inflation était telle que les ouvriers avaient perdu 15% de leur pouvoir d’achat. Vingt mille travailleurs se sont donc mis en grève pour réclamer 14 francs de plus par mois. La direction n’a concédé qu’une augmentation de 7 francs. Au lieu de défendre les employés, les représentants du syndicat ont appuyé la direction en menaçant les grévistes de licenciement. M. T., 27 ans, l’un des leaders du mouvement protestataire: « J’ai défendu cette cause car je savais qu’elle était juste. Mais, comme au moins cent autres personnes, j’ai été contraint de quitter l’entreprise du jour au lendemain. » Du reste, plus de 4000 ouvriers insatisfaits des conditions proposées ont démissionné. Dans un courrier adressé au Comité de protection des travailleurs, Nike nie tout licenciement abusif et justifie la présence croissante de policiers durant la grève par un souci de sa part « de protéger le bien-être des grévistes, de la direction et des propriétaires de l’usine ».
Des maux parlants
Se plaindre de mauvais traitements paraît élémentaire, particulièrement dans un secteur où les exigences de production sont très élevées. Madame B., 32 ans, travaille dans le département de collage de l’usine Dona Victor à Hô Chi Minh- Ville. « Chaque jour, je dois coller les semelles de 1450 paires de chaussures. J’ai l’habitude de me faire crier dessus par mes supérieurs. Vous savez, après douze ans de métier, leurs remarques ne m’atteignent plus. » Sa soeur cadette est, elle, plus sensible aux remontrances. « Le problème, c’est que si vous vous plaignez au syndicat, vous vous entendez répondre que c’est de votre faute, que vous n’aviez qu’à atteindre les objectifs. »
Santé des employés atteinte
Hélas pour les employés, l’atmosphère du département de collage est doublement mauvaise. Les colles qu’ils utilisent contiennent en effet des substances extrêmement nocives. Bien qu’elle porte un masque, Mme B. souffre de maux de tête, de gorge et d’estomac. En compensation, Nike lui verse une « prime mensuelle de danger » de 6 francs. Selon un médecin interrogé, des maux typiques sévissent dans l’industrie de la chaussure: baisse de la fertilité, augmentation des fausses couches et pertes de mémoire. Pour lui, ces problèmes sont étroitement liés à l’utilisation de substances nocives.
Minimum légal, mais pas vital
Mme L., 40 ans, travaille depuis quatre ans dans le département de semelles de Nike à Hô Chi Minh- Ville. Cette femme divorcée et issue d’un milieu rural désire offrir un avenir meilleur à ses deux enfants, restés chez leurs grands-parents, dans l’ouest du pays. Au Vietnam, qui dit avenir, dit études. Mais celles-ci coûtent très cher. Le sacrifice de Mme L. suffira-t-il à garantir de bonnes conditions de vie à ses enfants? Rien n’est moins sûr, car Nike – et les autres – continuent de pratiquer le salaire minimal légal.
Mme L. gagne donc 112 francs par mois, et si elle n’atteint pas les objectifs de production, 17 francs lui sont déduits de son salaire. Le loyer de son 15 m2 lui coûte 42 francs, et elle dépense 21 francs par mois en nourriture. Chaque mois, 35 francs vont à ses enfants. L’écolage semestriel du lycée coûte entre 55 et 85 francs, et celui de l’université environ 375 francs. Pour pouvoir mettre le maximum de côté, elle économise sur les visites à sa famille (14 francs le ticket aller et retour). Ainsi ne voit-elle ses enfants que tous les deux ou trois mois. Pour l’heure, Adidas est la seule entreprise qui déclare envisager la question d’un salaire tenant compte du coût de la vie.
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