20.11.2019, Yannis Papadaniel / Photo: Jean-Luc Barmaverain
Les traitements sont plus chers en Suisse que partout ailleurs dans le monde, excepté aux Etats-Unis. Tour d’horizon d’un système excessivement compliqué.
En début d’année, Madame C. s’est vu diagnostiquer un cancer du système digestif. Son oncologue lui prescrit alors un traitement comportant un principe actif, l’imatinib, particulièrement efficace pour son type de tumeur. Les propriétés de cette molécule et, surtout, la gestion de son brevet vont la confronter à une situation kafkaïenne.
Patiente prise en otage
L’imatinib a été commercialisé en 2001 sous le nom de Glivec® pour le traitement d’une forme spécifique de leucémie. Il s’est avéré particulièrement efficace, mais aussi très lucratif pour Novartis qui en détient le brevet, générant, en 2013, un chiffre d’affaires mondial de près de 4,7 milliards de dollars. Le brevet a échu en 2016, permettant l’apparition d’un générique. Après son lancement, on lui a découvert une très bonne efficacité thérapeutique contre certains types de cancer digestif. Mais entretemps, pour l’indication spécifique de ce cancer, le fabricant a obtenu une prolongation de son brevet, toujours en vigueur.
Revenons à Madame C. Elle se rend chez son pharmacien et apprend l’existence du générique du Glivec®, forcément moins cher. On parle d’un montant de 17 000 fr. contre 35 800 fr. par an à posologie standard. Sensible à la problématique des coûts de la santé, Madame C. opte pour le générique. Sa caisse lui rembourse sans sourciller la première tranche de traitement. A la deuxième série de factures, en revanche, elle l’avertit que le générique ne peut être remboursé par l’assurance de base puisqu’il n’est pas homologué pour le cancer dont elle souffre… La caisse ne respecterait pas les clauses légales si elle s’exécutait. Elle lui présente alors une ardoise de près de 4000 fr. et lui indique qu’elle doit opter pour l’original même s’il est plus cher.
Une caisse qui demande à payer un traitement plus cher et une patiente qui doit payer davantage que si elle avait recouru au traitement le plus coûteux? Cette situation absurde affaiblit la promotion des génériques, mesure phare pour abaisser les coûts de la santé. Elle résulte surtout du jeu des brevets et du fait que, hormis son détenteur, personne n’est susceptible d’en modifier le périmètre ou les règles.
Opacité et manque d’information
En 2010, les dépenses pour les médicaments s’élevaient à 693 fr. par habitant. En 2017, ce chiffre atteint 814 fr. En l’espace de sept ans, le résidant suisse moyen a donc augmenté ses dépenses de 17,5%. A une autre échelle, les médicaments représentent environ 20% des remboursements effectués par l’assurance obligatoire. La baisse des prix des médicaments constitue donc un des leviers importants pour stopper la hausse des primes.
La mesure paraît simple dans un pays où les génériques coûtent en moyenne le double des prix pratiqués à l’étranger, et où les médicaments sous brevet continuent à être plus chers qu’ailleurs (voir infographie ci-dessous). De leur côté, Novartis et Roche ont beau être des fleurons suisses, ces pharmas ne semblent pas vouloir accorder de préférence au marché helvétique. Le Lucentis® (Novartis), utilisé pour le traitement des troubles de la vue, est moins cher respectivement de 29% en Belgique, de 38% en France et de 22% aux Pays-Bas. Ces derniers paient même 84% moins cher le Gilenya® (Novartis), utile dans le traitement de la sclérose en plaques (source: Curafutura-SASIS).
Pour Cécile Rivière, responsable romande d’Interpharma, «le prix des médicaments est défini par la loi et il n’existe pas de mécanisme de préférence nationale pas plus pour les médicaments que pour d’autres biens et services qu’on associerait à la Suisse, comme l’horlogerie, le chocolat ou le fromage. L’industrie pharmaceutique contribue fortement à la prospérité du pays grâce aux emplois créés, aux investissements dans le domaine de la recherche en Suisse.» Pourtant, au niveau mondial, le marché helvétique ne représente guère plus de 1% du volume des ventes. Malheureusement, fondé sur la plus-value vitale des médicaments que l’on ne trouve ni dans le fromage ni sur le cadran d’une montre, le système de fixation des prix complique considérablement les choses. Il est non seulement complexe, il est surtout opaque.
Importante marge d’économie
Après avoir été autorisé à la vente par Swissmedic, le succès commercial d’un médicament dépend de la décision de son remboursement par l’assurance obligatoire. A cette fin, les fabricants doivent fournir à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) une suite d’informations au sujet du médicament (sur son adéquation ou son économicité) et proposer un prix de remboursement. Le dossier est ensuite transmis à la Commission fédérale des médicaments (CFM, qui réunit des représentants des pharmas, des assureurs, des assurés, des pharmaciens et des médecins). Cette dernière évalue la conformité des données suivant deux critères: le bénéfice thérapeutique qu’elle compare avec les médicaments déjà sur le marché et les prix de référence pratiqués dans neuf pays européens.
Les évaluations de la CFM n’ont qu’un statut consultatif. L’Office fédéral de la santé publique est libre de mener ses propres négociations avec les fabricants. Les chiffres sur les investissements consentis pour le développement du produit sont non vérifiables. Enfin, les prix de référence sont souvent des prix vitrines. Ils ne tiennent pas compte des rabais octroyés par l’industrie qu’elle exige de ne pas divulguer sous peine d’y renoncer. De ce long processus rien ne filtre, si ce n’est le prix final… L’OFSP publie en ligne (et exclusivement en allemand) un compte rendu de ses évaluations. Leur contenu s’avère souvent trop synthétique. Par ailleurs, l’OFSP examine annuellement le prix d’une partie des médicaments remboursés par l’assurance obligatoire à des fins d’ajustement. Selon les chiffres annoncés par le Conseil fédéral, cette mesure a permis d’économiser depuis 2017 près de 450 millions. Malgré l’ampleur de la somme, la marge de progression demeure importante en Suisse.