3.10.2017, Joëlle Herren Laufer / Terre de contrastes, la Grande Ile compte à la fois parmi les pays à la biodiversité la plus riche et à la pauvreté la plus sévère. Le revenu moyen mensuel n’atteint pas 50 euros. Photo: Photos: Grégoire Laufer
Alléchés par des prix qui flambent, producteurs et intermédiaires se sont rués sur cette denrée. Mais à quel prix?
Celle qu’on appelle la vanille «de bouche» ou la vanille «gourmet», dont les gousses noires, grasses et souples au parfum délicat et floral sont volontiers utilisées pour nos desserts maison, vient le plus souvent de Madagascar. En effet, la Grande Ile produit 80% de la vanille mondiale sous l’appellation «Vanille Bourbon», qui vaut pour tous les producteurs du sud-ouest de l’océan Indien. A la période des récoltes, entre fin juillet et début août dans le nord-est, la ville de Sambava embaume la vanille avec des milliers de gousses luisantes qui sèchent au soleil. S’agit-il d’une success story qui permettrait à ce pays parmi les plus pauvres de la planète de sortir de son classement désastreux en termes de développement humain (162e sur 192 pays)? Il est permis d’en douter, voire de craindre que cette précieuse ressource plonge les petits paysans dans le marasme.
Tout pays ne peut se targuer d’avoir un terroir à vanille. Celle-ci ne s’épanouit que sous les tropiques, entre le 10e et le 20e parallèle, à moins de 700 mètres d’altitude, avec des températures oscillant entre 21 et 31 degrés, un sol bien drainé et riche ainsi qu’un subtil mélange de soleil et d’ombre. La région très difficilement accessible de Sava, au nord-est de Madagascar, est idéale: «Ici, pas besoin d’engrais au pied des plantes. Le sol est naturellement riche en matières organiques», explique Riri, guide pour les touristes quand il n’est pas employé comme journalier pour les récoltes de riz ou de vanille.
«La vanille malgache est une culture d’exportation. A Madagascar même, elle est vendue discrètement dans la rue ou dans certains marchés aux Wasas (touristes) à un prix «wasa» sans la moindre garantie quant à la qualité et la traçabilité», relate Riri.
Marieuses d’un jour
A cela il faut ajouter un traitement délicat, qui nécessite un savoir-faire ancestral, une attention continue et une main-d’oeuvre importante. Cette unique espèce d’orchidée comestible a été découverte au Mexique au XVIe siècle. Comme son goût plaisait pour les préparations de café et de chocolat, le plant a été exporté dans différents pays, dont Madagascar. Mais il a fallu attendre qu’un jeune esclave découvre, en 1841, le processus de pollinisation – fait naturellement par un moustique au Mexique – pour que la vanille prenne son essor sur l’île de La Réunion d’abord, aux Seychelles ensuite, puis à Madagascar, en 1871.
La pollinisation artificielle est donc un passage obligé qui doit être fait manuellement: pendant deux mois, des femmes, appelées «marieuses», font la tournée quotidienne des vanilliers à l’affût des fleurs naissantes le matin qui n’ont une durée de vie que de quelques heures. Munies d’une sorte d’épine, elles transfèrent le pollen logé au coeur de la fleur vers le stigmate. Une marieuse efficace marie jusqu’à 1500 fleurs par jour! Les gousses vertes sont prêtes à être récoltées huit mois après la fécondation.
Traque à la gousse de vanille idéale
Mais le travail ne se résume pas à ça. Il faut sarcler les plantes, les récolter à la main, les échauder trois minutes puis les étuver pendant une nuit – c’est là que les gousses deviennent brunes –, les sécher pendant un petit mois – la gousse rétrécit et prend sa couleur noire et luisante –, les stocker dans des malles tapissées de papier sulfurisé pendant huit mois et trier par tailles les gousses noires non fendues, pour les ficeler en bottillons de 250 g et les conditionner sous vide ou dans des boîtes en fer-blanc. Cinq kilos de vanille verte donnent un kilo de vanille prête à consommer. «Une bonne gousse n’est pas cassée. Elle doit être noire, fripée, souple et humide et faire plus de 16 cm de longueur pour l’exportation, poursuit Riri. Rien à voir avec la vanilline, produite chimiquement et industriellement à moindre coût.»
Ruée sur la vanille
Avec son quasi-monopole – environ 2000 tonnes exportées en 2016 – Madagascar fait la pluie et le beau temps sur le marché international de la vanille. Ce sont d’abord des cyclones qui ont créé la rareté de la vanille à cause des graves dégâts aux plantations, faisant grimper les prix de manière exceptionnelle (530 euros le kilo en 2000) pour retomber au plus bas quelques années plus tard (40 euros en 2004). De quoi démotiver les producteurs. C’est l’intérêt d’entreprises suisses comme Givaudan ou Firmenich pour cette denrée utilisée tant dans l’alimentation que dans le parfum ou les produits de soins et de nettoyage qui a fait redécoller les prix.
Les intermédiaires se sont rués sur cette manne fabuleuse en accumulant les stocks de vanille pour faire monter les cours. Certains sont devenus millionnaires en quelques années. La hausse fulgurante des prix (65 euros le kilo en 2014, 205 euros en 2015, 400 euros en 2017) comparée au niveau de vie malgache très bas – l’immense majorité de la population vit en dessous du seuil de pauvreté – a rendu sa production très attrayante, mais a aussi attisé convoitises, tricheries, spéculations et criminalité. Pour éviter les vols sur leurs plantations, les producteurs ont commencé à récolter leur vanille de manière prématurée, trop verte, avec une baisse de qualité, notamment au niveau de l’arôme. Les plus aisés se sont barricadés derrière des barbelés. Par appât du gain, certains ont ajouté des clous dans leurs cargaisons, d’autres ont imbibé leurs gousses d’eau pour les alourdir, d’autres encore ont utilisé la vanille pour blanchir de l’argent issu du commerce illégal du bois de rose. Le bureau anti-corruption semble peiner à stopper ce mouvement mais a introduit l’interdiction de récolte avant une certaine date, avec des amendes et arrêts à la clé pour les collecteurs illégaux et leurs mandataires.
Pour assurer leur subsistance, les Malgaches doivent impérativement maintenir la diversité des cultures, dont celle du riz, leur denrée de base.
Les magnats de la vanille sont conscients que leur commerce n’est juteux qu’à court terme: il faut se dépêcher de s’enrichir avant que des pays comme l’Indonésie, l’Ouganda ou l’Inde n’améliorent leur production pour entrer en concurrence avec Madagascar. La fleur du giroflier, au goût prononcé de vanille, ou des alternatives synthétiques pourraient aussi détrôner la gousse magique. Sans oublier les effets dévastateurs des cyclones, de plus en plus fréquents avec le changement climatique: en mars 2017, «Enawo» a détruit un tiers des cultures de vanille malgaches.
Et les producteurs de vanille? S’ils ont bien raison d’être attirés par cette culture lucrative, il est à espérer qu’ils poursuivront en parallèle leurs plantations de riz, de légumes et leurs élevages, car si le prix de la vanille chute à nouveau drastiquement, ils n’auront que leurs yeux pour pleurer. Leur nourriture de base est le riz, parce qu’il est nourrissant. S’il est accompagné de poisson, de viande ou de légumes, tant mieux. Mais jamais ils ne mangent ni vanille, ni poivre, ni girofle, autant de cultures d’exportation qui les dépassent et dont les profits ne vont guère dans leur poche. Reste qu’ils pourront peut-être les goûter et vérifier si les vertus qu’on prête à la vanille contre la dépression et les douleurs en tout genre les aident à avaler la pilule.
Cet article est paru dans le magazine FRC Mieux choisir sous le titre «Madagascar: un si bon terroir, mais…»