5.9.2023, Laurianne Altwegg / Photo : Shutterstock
Nommée «part-pairing» en anglais, la méthode permet aux fabricants d’appareils électroniques de limiter la possibilité de les faire réparer par des tiers. Éclairage.
Alors que la plupart des composants de nos appareils du quotidien possèdent un numéro de série, certains contiennent aussi des micropuces – ou microcontrôleurs – qui transmettent des informations entre la pièce à laquelle ils sont associés et la carte mère de l’objet.
Prenons une batterie de téléphone. Si l’appareil détecte qu’elle n’a plus son numéro de série original suite à un remplacement, il peut bloquer des fonctionnalités ou envoyer des messages d’erreurs à l’utilisateur. Cela même si la nouvelle batterie est d’origine. Prétextant souvent la protection de ses clients, le fabricant décide quels composants ils sont en droit de changer sur leurs propres appareils.
«Rien ne justifie des pratiques qui poussent au gaspillage.»
Évidemment, les réparateurs agréés de la marque ont la possibilité de faire sauter ces «verrous logiciels». Ils sont toutefois souvent plus chers que les indépendants ou les Repair Cafés. De plus, il devient impossible de récupérer les éléments d’un autre appareil puisqu’il faut alors acquérir des pièces neuves d’origine, ce qui renchérit le procédé.
Selon la référence en matière de réparation indépendante iFixit, l’appariement des pièces n’est ni plus ni moins que «la pire des menaces qui pèse sur la réparation électronique». La pratique n’épargne pas la filière du reconditionnement: se maintiendra-t-elle sans possibilité de reprogrammer les composants sérialisés?
Le SMARTPHONE, un cas EMBLÉMATIQUE | Le phénomène est de plus en plus répandu (voir infographie). Selon la Repair Academy, spécialiste en formation à la réparation, chaque nouveau modèle de téléphone contient davantage de pièces appariées. Alors que cela ne concernait d’abord que des composants rarement en panne, cela touche désormais la batterie, l’écran, l’appareil photo et la plupart des capteurs (empreinte digitale, p. ex.).
Les conséquences en cas d’intervention d’un acteur non agréé divergent. Si elles se limitent souvent à un message d’erreur, celui-ci provoque déjà une perte de confiance, notamment à l’acquisition d’un appareil reconditionné. Surtout, les pièces de rechange peuvent supprimer certaines fonctionnalités très utilisées, comme la reconnaissance faciale. Les futures mises à jour du système d’exploitation ont aussi leur lot de mauvaises surprises. Finalement, cela permet de garder le contrôle sur les filières de réparation et de reconditionnement, tout en favorisant le remplacement précoce des appareils par des utilisateurs découragés devant ces entraves. La marque Apple est principalement visée, mais des soupçons planent sur Samsung.
GAMMES DIVERSES | Parmi les objets concernés, on trouve des consoles de jeu, des téléviseurs, voire des appareils électroménagers. Autre exemple criant, les imprimantes, les fabricants limitant la possibilité d’utiliser des cartouches de marques tierces ou reconditionnées.
ENJEU POLITIQUE | Face à la difficulté de contourner les pratiques des constructeurs, il est important de mettre en place les garde-fous nécessaires. D’où l’engagement de la FRC pour une révision de la Loi sur la protection de l’environnement intégrant des principes d’économie circulaire et de réparabilité. Laquelle sera débattue au Conseil des États ce mois et pourrait permettre d’exiger des fabricants de lever des obstacles.
L’enjeu est aussi chez nos voisins, où la Commission européenne a publié en mars dernier sa proposition de législation sur le droit à la réparation. Le Comité économique et social européen a pris position en mentionnant l’importance d’interdire les «pratiques intentionnelles, notamment la sérialisation, qui (…) ne visent qu’à faire obstruction à la concurrence sur le marché des pièces détachées». On n’en a pas fini!