17.5.2017, Propos recueillis par Sandra Imsand
Interview de Grégoire Geissbühler, docteur en droit, auteur d’une thèse sur les pratiques des sociétés de recouvrement.
Quel a été le point de départ de votre thèse?
J’ai découvert cette problématique avant même de commencer ma maîtrise en 2012. Ma tante a été confrontée à ces sociétés, et je me suis occupé de leur répondre.
J’ai été surpris à ce moment-là par l’absence de doctrine et de jurisprudence à ce sujet, qui me semblait pourtant important. En y réfléchissant, je me suis rendu compte que je n’y avais jamais été confronté durant mes études, et que ces questions étaient totalement « sous le radar » des juristes.
Quels sont les frais admis dans une facture d’une société de recouvrement?
L’engagement d’une société de recouvrement n’a aucun impact sur le statut de la créance. Les sociétés de recouvrement n’ont donc pas plus de droits qu’un créancier standard, et n’ont aucun statut qui les distingue de simples privés. On en revient donc au système de base du droit des obligations. Les seuls frais généralement admissibles sont par conséquent l’intérêt moratoire, en principe de 5% par an. Des frais de rappel peuvent être stipulés, mais ils sont alors soumis aux règles strictes en matière de clause pénale. Des frais de rappel sans base contractuelle ne sont en revanche pas dus.
Si les frais de rappel font partie des frais admis, existe-t-il une limite à ceux-ci?
À mon avis, les frais de rappel – s’ils sont clairement stipulés et valablement intégrés au contrat – peuvent être admissibles sur le principe en tant que clauses pénales. En revanche, le droit suisse se montre très restrictif quant à leur montant. En règle générale, un montant de l’ordre de 10% de la créance peut être toléré. Il doit sinon être réduit par le juge.
Sur un plan plus théorique, je pense même que l’institution des frais de rappel est un non-sens. Une entreprise devrait prendre en compte le risque de défaut de paiement déjà au niveau de la fixation du prix de sa prestation, et non tenter de récupérer des montants forfaitaires par la suite.
Quels sont les frais les plus problématiques?
L’article 106 du Code des obligations (CO), très souvent invoqué, n’est d’aucun secours aux sociétés de recouvrement. Il ne permet pas de facturer sans discernement des frais au débiteur, du simple fait de son retard. Cela suppose que le créancier ait subi un dommage, qui est extrêmement difficile à prouver.
J’ai adopté une position très tranchée sur les frais de recouvrement: tout ce qui ne rentre pas dans les limites du droit des obligations est illégal, peu importe l’habillage juridique. Le problème est pour moi les méthodes utilisées par les sociétés de recouvrement. Certaines sont admissibles: menacer d’introduire une poursuite pour le montant de la créance est le système prévu par la loi. En revanche, les menaces de dénonciation à des proches, de plainte pénale, d’inscription dans un registre de mauvais payeurs ne sont pas tolérables et doivent être sanctionnées.
Dans la mesure où des frais sont illicites, quelles solutions préconisez-vous pour les contrer?
Le système actuel fonctionne en théorie, mais se heurte à des obstacles pratiques énormes. Tout d’abord, la loi est trop peu claire et ne parle pas de ces problématiques. Ensuite, le fait de saisir le juge civil peut rapidement être coûteux, surtout quand on compare cette voie aux montants réclamés par les sociétés de recouvrement. Une dénonciation pénale pour des faits de contrainte est une voie gratuite, mais qui n’est pas garantie. Et la plupart des individus rechignent à s’engager dans une procédure pénale. Au final, il est généralement moins coûteux de payer pour avoir la paix plutôt que de réagir. Cette situation n’est pas tolérable. Je pense donc qu’il est nécessaire d’agir sur les deux tableaux, en clarifiant dans un premier temps la loi pour indiquer quelles sont les limites à respecter. Dans un second temps, je suis partisan d’une surveillance étatique de ces sociétés, ou au moins de la mise en place d’une autorité administrative à laquelle les débiteurs pourraient se plaindre de violations de la loi.
D’après vos observations, quel pourcentage de factures de sociétés de recouvrement sont illégales?
C’est difficile à dire dans la mesure où je ne peux avoir de certitude quant à la représentativité de l’échantillon à ma disposition. Mais dans la mesure où la facturation de frais basés sur l’art. 106 CO est systématique, le pourcentage de factures illégales est excessivement élevé.
Comment expliquer le rapport du Conseil fédéral sur le postulat de Raphaël Comte portant sur la nécessité d’un meilleur encadrement des maisons de recouvrement ainsi que sur la question du report des frais de gestion sur les débiteurs?
Le rapport dresse un bilan réaliste de la situation et pointe les principaux problèmes. Je ne suis pas nécessairement en accord avec toute l’analyse, mais je la rejoins sur les principaux points. Je suis en revanche déçu par le peu de propositions faites. Une modification de la LCD (Réd.: Loi contre la concurrence déloyale) est certainement un pas dans le bon sens, mais vu le soutien que rencontrait le postulat, je m’attendais à des mesures plus ambitieuses. Le droit suisse a toujours une évolution très lente, et nous avons déjà attendu près de cinq ans avant que ce rapport ne soit rendu. Je serais positivement surpris si l’Assemblée fédérale prenait le problème à bras le corps et débattait de solutions plus incisives, mais je doute que nous nous dirigions dans cette direction.
Le problème reviendra sans doute sur la table dans quelques années, et peut-être des mesures plus efficaces seront proposées à ce moment-là. Mais dans l’intervalle, je n’ai pas l’impression que la situation évoluera du seul fait du gouvernement ou du législateur. Si une évolution devait advenir prochainement, elle proviendra à mon avis soit de quelques décisions judiciaires courageuses, à condition que des personnes soient prêtes à aller se battre en justice, soit d’une initiative populaire.
Avez-vous pu vous pencher sur ce qui se passe à l’étranger? La Suisse est-elle un cas unique dans ce domaine?
J’ai peu fait de droit comparé dans la thèse elle-même, mais j’ai eu l’occasion de me pencher sur le système des États-Unis dans le cadre d’un séminaire en 2016. Leur réglementation a déjà près de 40 ans, et couvre à mon avis les principaux problèmes posés par le recouvrement. Certaines pratiques sont interdites ou limitées, notamment la question des frais de recouvrement, et ont le mérite d’être clairement listées. Le point le plus intéressant est pour moi la surveillance administrative mise en place par la loi américaine, qui permet à l’État d’enquêter, d’agir et de sanctionner les entreprises indélicates.