4.7.2017, Sandra Imsand / DR
Les produits approchant de leur date de péremption sont vendus au rabais. Initiative louable, mais certaines réductions sont farfelues et les pratiques commerciales floues.
Quelques heures ou quelques jours avant que leur limite de consommation ne soit échue, les articles sont écoulés à bas prix. Une aubaine aussi bien pour les consommateurs qui peuvent ainsi acquérir des produits encore d’excellente qualité à petit prix que pour les distributeurs qui évitent le gaspillage alimentaire. Le client attentif qui fréquente diverses enseignes avec assiduité aura sans doute observé que chacune y va de sa petite cuisine. La FRC a donc voulu en avoir le coeur net.
Premier élément: les distributeurs n’aiment pas évoquer le sujet, visiblement tabou, des prix baissés. En effet, proposer une réduction relève d’une mauvaise gestion du stock. C’est pourquoi il n’existe officiellement pas de politique globale à une enseigne. «La latitude des filiales est énorme, explique Tristan Cerf, porte-parole de Migros. Les gérants ont une grande liberté. Il n’y a pas de règles tant que le produit est consommable.» Et d’évoquer à titre d’exemple la météo pour justifier de brader des denrées. «S’il a fait moins beau que prévu et qu’on a commandé trop de steaks marinés, il faudra les proposer moins cher. Il s’agit de la responsabilité des filiales de ne pas faire de gaspillage alimentaire. Tant pis pour le chiffre d’affaires!» explique le communicant.
Impossible donc de savoir ce que représente le volume de ces ventes, en termes de quantités mais aussi de rentrées d’argent. «Nous ne fournissons aucun chiffre», déclare-t- on du côté de Lidl. «Pour des raisons de politique commerciale, nous ne pouvons pas vous transmettre davantage d’informations quant au chiffre d’affaires», dit de son côté Aldi. Coop, Denner et Migros argumentent de concert qu’il est impossible de répondre de manière générale. Toutes les enseignes insistent en revanche sur le fait que les «procédures opérationnelles et la structure hiérarchique optimales» (Aldi), «l’efficience et la simplicité » (Lidl) ainsi que «l’efficacité» (Denner) permettent d’éviter au maximum les produits arrivant à la date de péremption.
Les magasins Manor ont, quant à eux, carrément comme mot d’ordre de ne pas proposer de produits individuels à prix baissés. La seule latitude des gérants se résume à des «actions spéciales» quand ils disposent d’un stock trop important. Tous se retrouvent sur un argument bonne conscience imparable: les partenariats avec des associations pour les invendus toujours consommables et avec des paysans pour la transformation en biogaz. Bref, le sujet gêne…
Place au travail de terrain
Quels produits sont proposés à prix réduit? Le rabais consenti est-il important? Nos enquêteurs se sont rendus dans une vingtaine de commerces en Suisse romande. Leur mission: relever le type de produits à prix baissés, les horaires et les emplacements de mise en vente, et également discuter de manière informelle avec le personnel. Résultat: le flou règne sur cette pratique et les réponses ont parfois été contradictoires.
TYPES DE PRODUITS | Parmi les articles recensés, nous avons retrouvé le plus souvent de la viande, du poisson, des yogourts ainsi que des produits préparés tels que tartares, sandwiches, sushis, salades traiteur, etc. Les discounters proposent aussi du pain de la veille, ce qui n’est pas le cas des autres enseignes. Aldi est en outre la seule à proposer des fruits et légumes frais; Denner le fait aussi, mais sporadiquement. Un bon filon, selon l’enquêteur qui a relevé que ce genre de proposition, parfois même bio, à moitié prix, «c’est un méga-deal pour le consommateur souhaitant manger sainement».
Concernant les produits frais coupés (salades ou fruits), nos clients mystères ont eu des retours divers, en particulier pour Coop. Ainsi, un enquêteur genevois, qui vit une partie de l’année en Valais, achète régulièrement des sachets de salades à prix réduit dans sa résidence secondaire. Or, il a surpris les employés d’une filiale genevoise retirant ces mêmes produits des étals. Questionnés sur la pratique, ils ont évoqué les «ordres de la direction». Il s’est offusqué de voir ces produits à l’aspect impeccable finir directement à la poubelle… d’autant que les snacks sucrés bénéficient chez le même distributeur d’un régime de faveur bien plus conséquent! Le porte-parole de Coop justifie que les filiales proposent «en partie» des fruits et légumes frais. Difficile d’avoir plus de détails.
Même constat chez Migros. A Pully (VD), une vendeuse a indiqué à l’enquêtrice que le magasin ne pratiquait pas de rabais sur les légumes tout prêts et les salades en sachet, tandis qu’une autre, à La Chaux-de-Fonds (NE), a vu des emballages à 50%. Un manque de cohérence certain.
COMPRENDRE LES MENTIONS | Deux types d’inscriptions figurent sur les emballages: «A consommer jusqu’au..» et «A consommer de préférence avant le…». Dans le premier cas, il s’agit de la date limite de consommation. La vente ou le don de marchandise (viande, poisson et produit préparé) au-delà de cette échéance sont interdits. Dans le second cas, la date de durabilité minimale, le produit (yogourt, fromage à pâte dure) se conserve plusieurs jours, voire plusieurs semaines au-delà de l’échéance et le magasin pourrait continuer à le commercialiser. Or, il ressort des observations des enquêteurs que ce n’est jamais le cas: les enseignes ne faisaient pas de différence entre les deux catégories de denrées, les rabais étant proposés de manière identique. C’est tant mieux pour le consommateur.
DATE LIMITE DE VENTE | Coop, c’est une exception notable, a renoncé à inscrire la date limite de vente sur les emballages en 2015. Raison invoquée: éviter de devoir jeter de manière prématurée de la nourriture encore consommable. Un effort louable, au demeurant… mais qui permet aussi de vendre plus longtemps des produits à prix plein, selon les constatations de nos clients mystères. Ainsi, alors que la concurrence baisse les prix à l’approche de la date limite de vente (parfois dix jours avant la date de consommation), Coop continue de vendre ses produits sans rabais jusqu’au jour de la date de péremption. Il n’y a pas de petits profits.
POLITIQUE DE RABAIS | Voilà un point sur lequel il est difficile d’obtenir une réponse. Chez Aldi, la réduction va de 10% à 50%, selon la direction. D’après nos pointages, le discounter offre le plus souvent des rabais à hauteur de 50%. Chez Lidl, ils se montent souvent à 30%. Chez Coop, c’est 25% ou 50%, en fonction de l’heure. Chez Migros, en revanche, le flou règne. Nos enquêteurs ont relevé des rabais «traditionnels » de 25% et 50%, mais aussi plus «exotiques», comme 20%, 33%, 30% ou encore 29,7% ou 29,8%. Pour ces deux derniers exemples, il s’agit sans doute d’un 30% arrondi non pas en faveur du client, mais du magasin. Le porte-parole évoque pour sa part des rabais de 25% et 50%, les autres relèveraient d’une erreur. Erreur qui se retrouve dans divers magasins de cantons différents.
MISE EN VALEUR | Là aussi, chaque distributeur et filiale a sa technique. Chez Denner, les produits frais baissés sont exposés dans des bacs réfrigérés. Chez Aldi, ils sont souvent regroupés, avec des autocollants visibles, dans un carton au frigo, tandis que Lidl les place sous une affiche indiquant que ces articles «sont des produits d’une qualité irréprochable mais dont la date limite de consommation est réduite». Chez Coop, le sticker indique en gros le pourcentage de rabais et les produits concernés sont mis à l’avant de leurs rayons respectifs. La palme du fouillis revient à Migros, non pas en matière d’emplacement, mais d’étiquetage. Nous avons relevé pas moins de cinq façons différentes d’indiquer les rabais. Aux côtés des traditionnels autocollants 25% ou 50%, on retrouve aussi des stickers orange rectangulaires: «rabais spécial», «prix spécial» ou «réduction» avec le nouveau prix, mais sans le taux de baisse. Parfois l’ancien prix ne figure pas, forçant le client à chercher le prix initial pour calculer son rabais. L’autocollant promotionnel navigue tantôt à l’avant du produit, tantôt à l’arrière, parfois sur les deux faces. Il lui arrive aussi de couvrir des informations importantes, comme les dates limites ou la composition. Un méli-mélo qui entraîne forcément des erreurs.
HORAIRES | Les enquêteurs étaient dans un premier temps chargés de se rendre en magasin une heure avant la fermeture, afin d’observer quand les produits baissés étaient mis en rayon, et de poser des questions. Pour la viande, le poisson et les plats préparés, inutile de faire ses courses trop tôt. Mais si le stock est important, les prix sont baissés plus tôt dans la journée. Le moment de l’étiquetage fait le bonheur des clients, mais ne se passe pas sans heurts. Pour certains employés, la mise en rayon est pénible. «Parfois, je me fais houspiller car les articles arrivent quinze minutes plus tard que d’habitude, ou je me fais bousculer par des indélicats pressés», explique un Vaudois. Le rabais, une vraie aubaine, mais pas sans peine.