18.12.2017, Soutenir l'hydraulique, oui, mais pas sur le dos des petits consommateurs uniquement. - shutterstock.com
Mise à jour le 15 mai 2023
Le verdict semblait être tombé le 13 décembre 2017: les consommateurs passeront bien à la caisse pour soutenir les producteurs suisses d’électricité. Conclusion: la Stratégie énergétique profite une fois de plus de la captivité des petits consommateurs de courant - mais le pire a été évité et la saga continue!
Après des allers-retours successifs entre les deux chambres du Parlement, une séance de conciliation aura mis un terme à plus d’un an d’atermoiements. Au centre des débats se trouvait le fait de faire payer les consommateurs captifs – ménages et PME – pour soutenir un secteur hydraulique jugé en difficulté (rappel des épisodes ci-dessous). Glissé cavalièrement dans un paquet législatif qui n’avait rien à voir (la Loi sur la transformation des réseaux électriques). La FRC a âprement lutté contre cette modification de la loi qui aurait non seulement lourdement lésé les clients captifs, mais aurait de plus bénéficié aux producteurs de courant nucléaire.
Après un combat à armes inégales contre un puissant lobby du côté des producteurs, les petits consommateurs perdent la bataille et passeront à la caisse. Toutefois, le compromis trouvé implique que seules les énergies renouvelables bénéficieront de ce nouveau soutien: exit donc les producteurs de nucléaire. Ce soutien sera de plus limité à cinq ans. Surtout, l’article que souhaitait abroger le Conseil des Etats sera conservé, bien que remanié. Le nouvel art. 6 al. 5 LApEl continuera ainsi à obliger les entreprises électriques à faire bénéficier leurs clients captifs des bénéfices tirés de leurs achats d’électricité sur le marché libre, même si cette obligation ne sera pas effective pendant les 5 prochaines années. De plus, celles qui n’auraient pas appliqué la loi ces cinq dernières années devront rembourser leurs clients au moyen de l’adaptation de leurs tarifs. Prudence toutefois, car les nouveaux articles introduits dans la LApEl (art. 6 al. 5 et art. 6 al. 5bis) restent à interpréter. Et l’application de telles mesures peut parfois receler quelques surprises!
La Saga
Acte 1: une méthode favorable aux petits consommateurs confirmée par le Tribunal fédéral
Juillet 2016. Le Tribunal fédéral confirme l’application de l’article 6, alinéa 5 de la Loi sur l’approvisionnement en électricité (LApEl) et approuve la méthode appliquée par la Commission fédérale de l’électricité (ElCom). Cet arrêt oblige les entreprises électriques à répercuter sur leurs clients captifs – donc les ménages et PME consommant moins de 100’000 kWh ou les gros consommateurs restés dans l’approvisionnement de base – les bénéfices qu’ils tirent du marché libéralisé. En d’autres termes, les entreprises qui possèdent des installations hydrauliques ou nucléaires n’ont pas le droit de répercuter leurs coûts de production – sensiblement plus hauts que les prix du marché – uniquement sur les clients qui ne peuvent pas changer de fournisseur. Une disposition destinée à protéger les petits consommateurs dans la situation de libéralisation partielle du marché de l’électricité, mais qui force certaines entreprises à vendre leur électricité en-dessous du prix de revient.
Acte 2: une modification de la Stratégie énergétique 2050 en faveur de la grande hydraulique
Grâce aux nombreux soutiens dont bénéficie la grande hydraulique à Berne, la situation est toutefois en train de changer. D’abord, la Stratégie énergétique a été modifiée en sa faveur: celle-ci permettra à l’avenir aux producteurs de courant hydraulique de vendre l’intégralité de leur électricité en priorité à leurs clients captifs. S’ils n’ont pas suffisamment de clients et qu’ils doivent vendre une partie de leur production à perte sur le marché, ils bénéficieront d’une prime leur permettant de compenser la différence. Or cet outil sera intégralement financé par les petits consommateurs, puisque les ressources supplémentaires nécessaires seront prélevées dans le fonds RPC (initialement destiné à soutenir le développement des nouvelles énergies renouvelables) auquel ne contribuent pas les grands consommateurs d’électricité. Maigre consolation pour les ménages: ce soutien est limité dans le temps.
Acte 3: des pressions pour supprimer l’article de loi défavorable aux producteurs
Surtout, depuis la validation par le Tribunal fédéral de la «méthode du prix moyen» forçant les entreprises électriques à répercuter proportionnellement les avantages tirés du marché sur tous les consommateurs finaux, certaines font pression pour que l’article de la LApEl qui leur pose problème soit tout bonnement supprimé. Revendication bien reçue par les représentants des cantons qui ont profité de la «Stratégie Réseaux électriques» actuellement traitée par les Chambres – et concernant la LApEl – pour y inclure les modifications demandées. Sachant que l’objectif de cette stratégie est d’accélérer les procédures pour la construction des lignes et infrastructures électriques et qu’elle n’a donc rien à voir avec le marché de l’électricité, il s’agit d’une méthode bien cavalière pour faire passer un changement d’importance pour les consommateurs.
Acte 4: une disposition supplémentaire permettant de ne pas rembourser le trop perçu
En outre, le projet de modification de la LApEl du Conseil des Etats intègre une disposition transitoire (art. 33b LApEl) allant non seulement à l’encontre de l’application de la décision du Tribunal fédéral de juillet dernier, mais lésant encore davantage les petits consommateurs. Cet article permettrait en effet aux quelques entreprises qui n’auraient pas correctement appliqué la loi par le passé d’être libérées de l’obligation de rembourser le trop payé par les petits consommateurs au cours des dernières années. Selon une estimation de Swisselectricity, représentant des grands consommateurs d’énergie, les montants non restitués seraient de l’ordre de 120 à 170 millions de francs rien que pour les cinq entreprises fournissant 650’000 clients finaux en Suisse romande pour la période allant de 2013 à 2016.
Acte 5: le Conseil national du côté des petits consommateurs
Acceptées par le Conseil des Etats, ces modifications de la loi n’ont pas passé le cap du National. Après plusieurs aller-retour entre les Chambres, le National a confirmé ce refus le 6 décembre 2017 par 102 voix contre 86. La chambre du peuple et l’Alliance des organisations de consommateurs partagent le point de vue que le soutien aux producteurs d’électricité n’a pas à être traité dans le cadre de la Stratégie réseaux électriques dont ce n’est pas l’objet. Le dossier part donc en conférence de conciliation où le risque demeure de voir les petits consommateurs perdre la bataille afin de sauver la loi sur la transformation des réseaux électriques. Le résultat va s’avérer un compromis évitant le pire…
Mars 2023 – Crise de l’énergie et (ndlr: on le pense à l’époque) triste épilogue
Le marché de l’énergie a connu l’explosion des prix que l’on connait. La disposition temporaire à 5 ans a, par chance, partiellement protégé les clients captifs des hausses massives observées. La branche en a profité pour convaincre les élus du National d’entériner définitivement, en mars 2023, la disposition temporaire lésant les petits consommateurs en toute légalité.
Sauf que le marché ne sera pas toujours en crise. Une fois les prix retombés, les ménages et les PME seront à nouveau les seuls à payer pour soutenir l’hydraulique et les investissements dans les renouvelables. Fini les maigres bénéfices du marché dont ils pouvaient bénéficier grâce à la méthode du prix moyen.
Et il ne faut pas trop compter sur le Conseil des Etats pour revenir en arrière lorsqu’ils débattront de la loi, sachant que les sénateurs représentent les cantons qui sont eux-mêmes actionnaires des entreprises électriques…
Mai 2023 – Surprise à la lecture du communiqué de la CEATE-E
Les sénateurs n’ont pas été convaincus par la proposition du National. La partie n’est donc pas terminée puisqu’ils souhaitent le retour au droit en vigueur.
Un soulagement pour la FRC qui estime que ce dernier a beau être imparfait, il n’ouvre pas la porte aux abus comme le fait la proposition du National. En effet, celle-ci permettrait aux entreprises électriques de proposer des tarifs plus avantageux aux clients libres (gros consommateurs de courant) qu’aux ménages et PME (clients captifs), tout en continuant à ne faire payer que ces derniers pour le courant issu de leur production propre.
Reste à savoir ce qui sera décidé lors de la session d’été du parlement: si le Conseil des Etats suit sa commission, l’assemblée dans son ensemble devra voter sur cette divergence.
La saga n’est donc pas encore terminée…