26.3.2020, Sandra Imsand, Yannis Papadaniel / Shutterstock
Des groupes de couture se créent à distance pour en confectionner, des tutoriels circulent sur les réseaux. Mais que valent vraiment ces protections fabriquées chez soi? Avis d'experts.
En coton, en polyester, doublés de polaire, confectionnés à partir de sous-vêtements, dotés d’une encoche pour y glisser un filtre à café ou un morceau de sac d’aspirateur, avec une couture centrale ou plissés sur les côtés: depuis le début de la crise sanitaire, les masques maison, confectionnés à la machine à coudre ou à la main, font fureur sur les réseaux sociaux. Chacun y va de son avis sur la question et des tutoriels, pour certains estampillés par des établissements médicaux français, circulent sur internet.
Frénésie contreproductive et prise de risque inutile
Si la majorité de ces artisans du masque s’accorde sur le fait que ces articles ne conviennent pas pour un usage médical, l’idée générale exprimée est «c’est déjà mieux que rien» pour les déplacements du quotidien et pour les professions exposées au public non équipées de matériel médical, comme les postiers ou le personnel de vente. Mais que valent vraiment ces objets?
«On est en dehors du cadre légal ou normatif, il est par conséquent difficile répondre de façon déterministe à cette question», explique le professeur David Vernez, chef de département au Centre universitaire de médecine générale et santé publique, Unisanté, à Lausanne. De son côté, le professeur Didier Pittet, chef du service d’infectiologie aux Hôpitaux universitaires de Genève et membre de l’Organisation mondiale de la santé est catégorique: «Il n’y a pas besoin de masque en dehors des situations particulières de soins. Que ce soit en hôpital ou à domicile. Il ne faut pas soutenir cette frénésie à créer des masques en tous genres.»
Une solution de dernier recours, à usage unique
«Il existe plusieurs sortes de masques, explique David Vernez. Les modèles FFP2 sont plaqués sur le visage, ils protègent donc efficacement contre les aérosols présents dans l’air. Ils sont utilisés par les professionnels lors de soins invasifs ou en cas de contact étroit avec les patients. Les masques chirurgicaux servent, eux, à protéger l’autre. Ainsi que soi-même contre les postillons de la personne d’en face lorsqu’elle tousse ou éternue.» Cependant, le spécialiste rappelle que ces masques ne sont pas étanches sur leur pourtour. Si bien qu’en inhalant, l’utilisateur inspire aussi l’air ambiant. «Le virus est de taille subatomique, il mesure moins de 300 nanomètres. Il flotte en suspension et suit le courant de l’air.» Par conséquent, les masques chirurgicaux offrent une protection relative et ne sont pas destinés à protéger des aérosols fins. C’est encore plus avéré avec les masques de fabrication maison, non normalisés. «Dès lors que le modèle n’épouse pas la forme du visage, les particules peuvent traverser. Si on ne peut pas affirmer que ces options n’offrent aucune protection, il ne s’agit que d’une solution de dernier recours, comme de mettre un tissu devant sa bouche. Et cela doit rester une solution à usage unique.»
Le chef de département d’Unisanté voit en effet des risques d’hygiène avec l’utilisation d’un masque maison. «Si c’est pour le porter une fois à l’endroit, une fois à l’envers, le remettre cinq fois dans sa poche ou le retirer pour parler, il n’a aucune utilité. Au contraire, s’il est contaminé, il peut être dangereux.» Il faudrait donc s’en débarrasser après chaque utilisation. Autre effet pervers, ces masques procurent un sentiment de sécurité totalement erroné, puisque leurs utilisateurs pourraient être amenés à s’exposer ou à sortir plus que de raison.
Pas de désinfection maison
Concernant les méthodes de désinfection maison (four, fer à repasser, vapeur, cuisson à haute température), David Vernez ne les recommande pas davantage. «Il n’y a aucune procédure validée pour la maison. Une lessive effectuée à 95°C viendrait à bout du virus, mais endommagerait la fibre textile.» Les experts cherchent des solutions pour recycler les masques. «Nous sommes en train de recourir à des processus de stérilisation, suivis de processus de tests pour bien vérifier qu’ils sont efficaces et remplissent les critères que nous demandons pour ce type de masques», explique l’épidémiologiste Didier Pittet. Il s’agit d’un véritable enjeu scientifique. David Vernez détaille: «L’oxyde d’éthylène est traditionnellement utilisé dans la stérilisation. Mais le cycle est très long.» La substance biocide s’évapore lentement, durée pendant laquelle les masques ne peuvent pas être utilisés. D’autres processus sont testés, comme une exposition à une haute température et des rayons UV, ou à un gaz comme l’ozone. Le spécialiste déconseille fortement de se lancer dans une désinfection maison, au risque de s’exposer à des produits chimiques dommageables.
Certains profitent de la pénurie de masques et de la peur liée à la situation pour vendre des masques maison à prix fort en en vantant les mérites. Une pratique que les deux experts, de même que la FRC, condamnent fortement.