25.2.2014, Laurence Julliard / Jaune ou chioggia, ces variétés de betteraves datent des XVIIIe et XIXe siècles. Photo:Shebeko/shutterstock.com
Goûts, formes ou couleurs insolites: des produits maraîchers anciens reviennent égayer nos assiettes. Le vintage en cuisine comme en déco, un effet de mode ?
Ras la patate de ces tomates farineuses et insipides, de ces carottes toujours calibrées et orange! Nos papilles réclament du goût, de la variété dans l’assiette et de la couleur, nos ventres de la qualité nutritionnelle et nos convictions davantage de produits locaux, de saison et sans pesticides. C’est grâce à ce credo que certains légumes, qualifiés aujourd’hui d’oubliés ou d’anciens, reviennent en grâce.
Une ancienneté qui ne se mesure pas forcément en nombre d’années, mais les productions extensives nous ont fait oublier jusqu’à leur existence. Fort heureusement, ils figurent à la carte des tables étoilées, s’exhibent au marché ou dans les paniers des contrats agricoles de proximité. La demande aidant, ils reprennent progressivement une place sur les étals de la grande distribution. Coop, qui a lancé le mouvement en 1999 en s’associant avec ProSpecieRara, a vendu par exemple l’an dernier 26 variétés de fruits et légumes sous le label de cette fondation. Par ailleurs, Migros et Manor ont leur propre assortiment, sans label.
Qui ces fruits et légumes séduisent-ils? Des citadins bobos, victimes d’une nouvelle mode, en mal d’aventures gustatives? «Pas du tout! s’exclame Barbara Pfenniger, spécialiste Alimentation à la FRC. Nous avons tout intérêt à cultiver et à consommer des produits adaptés à notre terroir, à notre climat. Privilégier des légumes oubliés, c’est favoriser la biodiversité des plantes cultivées et défendre la liberté de choix du consommateur.»
Prenons la betterave: au rayon frais, vous trouvez une variété, rouge et généralement cuite, mais cette racine potagère peut avoir une chair blanche, jaune ou zébrée, comme la chioggia, qui est goûteuse et fait tout son effet lorsqu’elle est dressée sur un plat. Sans compter qu’on peut aussi apprêter les feuilles comme les épinards.
Le hic, justement, c’est qu’aujourd’hui le particulier ne sait plus ni reconnaître ni cuisiner ces produits. Pour raviver cet héritage culturel, il faut donc faire preuve de curiosité. «Il ne s’agit pas de préserver, pour le principe, des produits qui viennent de temps reculés, loin de là. Mais de dépasser des idées préconçues en termes de formes, de couleurs, de goût… et de recettes», plaide encore Barbara Pfenniger.
Plus coûteux à l’achat
«L’enjeu est double, renchérit Denise Gautier, responsable de ProSpecieRara pour la Suisse romande: les variétés anciennes ou rares maintiennent la diversité des saveurs et contribuent à la sécurité alimentaire. Le maraîcher, en favorisant ces cultures, préserve le patrimoine génétique de certaines denrées et a accès librement aux semences. On oublie trop souvent que le contenu de nos assiettes est largement issu de graines. Or la moitié d’entre elles est aux mains de multinationales qui commercialisent des semences hybrides stériles. Il faut en racheter chaque année. Cela coûte cher et nous rend captifs», assène-t-elle.
Mais ces espèces sont plus onéreuses. A titre d’exemple, un emballage de carottes anciennes coûte 5 fr. 90 le kilo à la Migros. Alors que le légume standard vaut 3 fr. 70/kg chez le même distributeur. Les paniers de proximité sont plus difficiles à chiffrer par rapport à un caddie standard, tout dépendant de l’assortiment et des modalités de l’abonnement choisi. «La notion de prix est relative, modère Denise Gautier. Les variétés anciennes sont moins productives, donc un peu plus chères. Mais prenez aussi en compte d’autres facteurs qualitatifs, fraîcheur de la cueillette, rythme des saisons et culture en plein air, variété des plaisirs, diminution des impacts écologiques: vous mangerez peut-être en moindre quantité, mais mieux!»
Reste un écueil, et de taille: comment distinguer le vrai légume ancien du faux, car l’industrie, flairant le bon coup marketing du rustique, offre des produits qui ont tout du potager de grand-mère, sauf le goût, comme pour certaines tomates cœur de bœuf. «La loi n’impose l’indication de la variété que pour les pommes, les poires et les pommes de terre, explique Barbara Pfenniger. La FRC souhaiterait une généralisation de cette indication, car le consommateur a droit à ces informations.» En attendant, le mieux, c’est de se rendre au marché et de discuter avec les maraîchers et les petits producteurs… ou de repérer les petites étiquettes collées directement sur le produit qui attestent d’une marque brevetée, à fuir.