25.11.2021, Laurianne Altwegg
Entre les annonces de faillites de fournisseurs de courant au Royaume-Uni, les craintes de pénurie de gaz et d’électricité, les hausses spectaculaires de prix toutes énergies confondues, confusion et inquiétude sont palpables. Un question-réponse pour y voir clair.
Qu’est-ce qui est concerné par le renchérissement des énergies?
Gaz, mazout, carburants, électricité, charbon: l’envolée des prix est mondiale. Aux États-Unis, le premier est deux fois plus cher depuis le début de l’année. L’Europe est aussi touchée de plein fouet: les conséquences sont particulièrement palpables dans les pays dépendant du gaz pour produire leur courant, à l’instar du Royaume-Uni, de l’Espagne et de l’Italie. Chaque pays vit donc différemment cette crise en fonction de la configuration de son marché et de ses infrastructures.
Le phénomène est-il majeur?
De l’avis des experts, la hausse est historique. Sur les marchés de gros, le gaz et l’électricité n’ont jamais atteint de tels sommets. Dans le domaine électrique, le mégawattheure (MWh) pour le premier trimestre 2022 a par exemple explosé de plus de 300% entre avril et octobre de cette année. Quels que soient les points de comparaison, la flambée est notoire pour l’année prochaine. Pour 2023 et 2024 en revanche, les augmentations ne sont pour l’instant pas massives.
Côté gaz, les prix pour 2022 ont été triplés entre janvier et octobre 2021. Pour le charbon – dont est toujours issue une partie du courant européen – le facteur est de 1,5 entre janvier 2021 et 2022. Le cours mondial du baril de pétrole s’est pour sa part envolé, avec une augmentation de plus de 50% depuis le début de l’année. A cela s’ajoute la hausse de 90% de la valeur des certificats CO2 qui ont atteint pour la première fois les 65 euros pour une tonne.
Quelles en sont les causes?
Elles sont complexes et nombreuses, mais le point de départ est la reprise économique et le fait que toutes les énergies sont liées.
Côté conjoncture, le brusque rebond économique se caractérise par une croissance de la demande et donc des prix. Mais de nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte. Parmi ceux-ci, citons les politiques de décarbonation qui tirent le cours des certificats de CO2 et des énergies fossiles vers le haut, les stocks de pétrole et de gaz insuffisants en Europe, la forte demande asiatique pour le gaz naturel liquéfié (GNL), ou encore des causes météorologiques et infrastructurelles.
Pour l’électricité, le montant du kilowattheure (kWh) négocié sur le marché européen – où les fournisseurs suisses sont également actifs – est principalement influencé par celui du gaz. Ils ont donc pris l’ascenseur ensemble alors que ce dernier est aussi influencé par la valeur du pétrole. Les carburants augmentent pour leur part en raison du cours de l’or noir, stimulé à cause de la reprise, mais aussi des tensions dans le domaine du gaz.
Quelles retombées sur les ménages suisses?
Jusqu’ici, la Suisse a plutôt été épargnée, mais les conséquences sur la facture sont difficiles à prévoir. Surtout que certains renchérissements sont déjà effectifs (p.ex. le litre de mazout ou d’essence) et d’autres ne se feront sentir que plus tard. De plus, la durée du phénomène est incertaine au vu du nombre de facteurs qui peuvent l’influencer.
Concernant l’électricité, rien à craindre pour 2022. En effet, les entreprises doivent communiquer leurs tarifs avant la fin du mois d’août et ne peuvent légalement plus y apporter de modification au-delà de ce délai. En Suisse, la législation dite «cost-plus» implique que ces tarifs sont calculés sur la base des coûts des entreprises auxquels s’ajoute un «bénéfice approprié», régulé lui aussi. C’est pourquoi les contrats d’achat sont plutôt conclu sur le long terme et, surtout, étaient déjà signés au moment de l’annonce des tarifs. Cela dépend bien sûr de la politique de chaque entreprise (la Suisse en compte plus de 630), mais peu prennent le risque d’annoncer des tarifs sans avoir couvert leur approvisionnement, au risque de devoir effectuer des rattrapages les années suivantes.
Ainsi, ce sont les clients finaux qui s’approvisionnent sur le marché libre qui sont le plus fortement touchés. En Suisse, cela concerne ceux qui consomment plus de 100MWh par année, donc pas les ménages, captifs. La situation n’est donc pas aussi critique que chez certains de nos voisins européens, où le marché est libéralisé pour tous.
Il y a par ailleurs aussi certaines entreprises suisses qui bénéficient au contraire de la flambée des prix: pour peu qu’elles possèdent des installations de production de courant, elles peuvent en effet le revendre cher sur le marché de gros.
Cela n’empêchera toutefois pas l’électricité de renchérir dans une certaine mesure à partir de 2023 et, dans le domaine du gaz, des hausses parfois fortes ont déjà été annoncées. Petite consolation: l’énergie en tant que telle ne constitue qu’une composante de la facture. Une grande partie du montant dépend des taxes et du réseau, les effets de l’explosion des prix de l’énergie restent ainsi relativement contenus.
Des pénuries et des faillites sont-elles à prévoir?
La concomitance de certaines annonces et des conséquences de cette crise chez quelques-uns de nos voisins a été à l’origine de beaucoup de confusion et d’incompréhension. S’il y a effectivement une nécessité de construire des infrastructures de production d’électricité en Suisse pour satisfaire la demande hivernale et réduire les risques de pénurie, cela n’a pas de lien avec la situation actuelle sur les marchés des énergies.
Les faillites de fournisseurs ne sont pas non plus à craindre, la situation n’étant en rien comparable à celle du Royaume-Uni dont la production électrique repose sur le gaz et où les prix sont plafonnés.
Pour mieux comprendre les enjeux, un épisode du podcast « La Suisse, l’Europe et moi », avec Laurianne Altwegg