Économie
Le Labubu, un signe que la crise s’installe?
Une peluche à la mode que les gens s’arrachent peut-elle être le signal que l’on est en récession? s’interroge un économiste zurichois dans The European Correspondent, média digital né en 2022. Sa chronique.
05 septembre 2025

Des boutiques dédiées aux Labubu, il en existe partout, sous forme de pop-up stores ou simplement en ligne. Et les grands centres commerciaux ont, pour certains, leur rayon aussi.
Shutterstock
Il y a peu, je ne savais pas ce qu’était un Labubu. Un ami a essayé de m’expliquer: une histoire de petit jouet en boîte surprise, de dents pointues, d’éditions collector. Il a insisté sur le fait que la tendance était énorme. Vraiment énorme. Je ne l’ai pas cru. Une semaine plus tard, l’algorithme a décidé de lui donner raison. J’ai d’abord vu une vidéo de quelqu’un en train de déballer un de ces trucs. Puis une autre. Puis des analyses en vidéo. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à le croire. Les Labubu sont vraiment partout: près de 2,7 millions de publications sur TikTok et ça continue.
Alors j’ai creusé un peu le sujet. Ces jouets se vendent instantanément. Les magasins affichent les heures de livraison et les gens font la queue avant l’ouverture. Des chaînes Telegram (boutiques en ligne via l’application du même nom, ndlr) proposent des pièces rares et des revendeurs vantent leurs marges. En gros, il s’agit de dopamine sous forme de peluche à collectionner pour 30 francs (certaines montent à 60 francs!). Je me suis mis à réfléchir comme un économiste et me suis demandé si le Labubu peut vraiment être un indicateur de récession.
L’effet rouge à lèvres
L’idée n’est pas nouvelle. Quand les choses vont mal, les gens troquent les grands luxes pour les petits plaisirs. C’est ce qu’on appelle «l’effet rouge à lèvres». Un petit réconfort quand le reste devient hors de portée. Le Labubu illustre parfaitement ce concept: c’est bon marché, émotionnel et ça se vend vite. On a déjà vu auparavant ce concept d’indicateurs de récession inattendus.
Les files d’attente pour un Labubu pourraient nous révéler quelque chose que les statistiques officielles n’ont pas encore détecté.
Stanislaw Zytynski
Économiste
Avant la crise financière de 2008 – que même les prévisionnistes les plus avisés n’avaient pas vue venir –, les clubs de strip-tease new-yorkais se sont tus, les traders nocturnes, bénéficiaires de primes réduites comme peau de chagrin, se tenant à l’écart. Peu de temps après, le marché immobilier s’est effondré, et le ralentissement s’est propagé bien au-delà de la vie nocturne étincelante de New York.
C’est là que ça devient intéressant: ces analyses vidéo liant le Labubu à la récession totalisent déjà des centaines de milliers de vues. Et si le qualifier d’indicateur de récession contribuait réellement à accélérer une récession? Oui, je sais. Un peu de patience et lisez l’explication. L’économie entière repose sur d’innombrables petites décisions que nous prenons chaque jour. Vais-je acheter ce café? Vais-je manger au restaurant? Vais-je partir en vacances? En soi, ces actions semblent insignifiantes. Mais si suffisamment de gens réduisent leurs dépenses d’un coup, le ralentissement redouté commence à se concrétiser.
Le tableau de bord économique du moment
C’est comme une boucle de rétroaction: lorsque les gens dépensent moins, d’autres le remarquent et pourraient faire de même. Parfois, ces répercussions sont intentionnelles, les décideurs nous laissant entrevoir ce qui va arriver. Ils nous incitent à dépenser ou à épargner avant même que la situation ne change réellement. Les banques centrales ont recours à cette pratique pour définir les attentes en matière d’évolution des taux d’intérêt – elles parlent de forward guidance. Ici, personne n’est maître du signal, mais l’effet est le même: les attentes évoluent et les comportements suivent.
Que montre donc notre tableau de bord économique en ce moment? Le voyant de récession n’est pas allumé: l’Union européenne vient d’annoncer un nouveau trimestre de croissance, même si elle est à peine supérieure à zéro. Mais la situation peut facilement changer: les gens ralentissent leurs dépenses, les entreprises restent prudentes quant à leur expansion (ou, comme diraient les économistes, la croissance du PIB ralentit). Les droits de douane américains sont entrés en vigueur le 7 août, et ces files d’attente pour un Labubu pourraient nous révéler quelque chose que les statistiques officielles n’ont pas encore détecté.
Ce qui nous ramène à la vraie question: peut-être ne considérons-nous pas le Labubu comme un indicateur de récession parce qu’il en est un? Peut-être voyons-nous des indicateurs partout parce que nous pressentons quelque chose – et dans une économie fondée sur la psychologie collective, cette sensation pourrait être le signal le plus important de tous. Le jouet devient un signal. Les commentaires sur lui deviennent à leur tour leur propre
signal. Et le qualifier d’indicateur de récession pourrait bien contribuer à faire bouger les choses.
L'indice Big Mac, un indicateur conjoncturel
Les biens du quotidien transformés en indicateurs révélateurs de l’état de la conjoncture ne datent pas du Labubu. Le célèbre indice Big Mac, inventé par le magazine The Economist en 1986, est parti d’une blague. Il compare le pouvoir d’achat dans différents pays en s’appuyant sur le prix d’un burger MacDonald, devenant un outil économique, repris tant par la presse spécialisée que par les économistes.
L’indice Big Mac indique si une monnaie est sur ou sous-évaluée par rapport à une autre. En juillet 2025, un Big Mac en Suisse valait 7 fr. 20, soit 29,9% de plus que dans la zone Euro. Or, rapporté au PIB par habitant, il ne devrait coûter «que» 14,3% de plus. L’indice suggère donc que le franc est surévalué de 13,7% par rapport à l’euro. L’îlot de cherté a la dent dure… JM
La Lolette, un indicateur de mal-être?
Les jouets ne sont pas les seuls objets de réconfort à allumer des voyants rouges sur les réseaux sociaux. Certains adultes ont pris l’habitude de mâchouiller des tétines pour réduire stress et angoisse. TikTok regorge de témoignages vantant les bienfaits de la lolette: pour quelques francs à peine, voilà qu’un accessoire réduit l’anxiété, génère une sensation d’apaisement, facilite le sommeil.
Les médecins tirent la sonnette d’alarme: cette mode en apparence anodine n’est pas sans dangers buccodentaires et psychologiques. Entre déplacement des dents, douleurs à la mâchoire et dépendance émotionnelle, la liste dressée par le médecin Tayeb Hamdi dans les colonnes de 24 heures attire aussi l’attention sur la santé mentale des adultes. Si l’époque est certainement à la récession économique, elle l’est tout autant au déclin de l’équilibre psychologique. En Suisse, une personne sur cinq présente des symptômes. JM
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