3.2.2021, Aude Haenni
Si l’on ne présente plus les Chanel N°5, Angel de Mugler, Sauvage de Dior, il existe sur le marché d’autres flacons, plus discrets. Et suisses!
Du Grand Genève au Valais, on recenserait plus de 400 sociétés actives dans le secteur des arômes et des senteurs. Givaudan et Firmenich, deux des plus grandes multinationales de la branche, font aussi partie du tissu économique genevois. Pour dénicher un flacon artisanal, la quête est assez ardue. «Ce qui est normal: des nez, il y en a moins de mille dans le monde, une quarantaine en Suisse… Et pour le savoir-faire, on se tourne plus facilement vers les artisans de France, à Grasse notamment, et d’Italie, déclare Emmanuel Levain. A l’Officina Profumo Farmaceutica di Santa Maria Novella, on vous fait sentir des parfums datant de 400 ans. Ici, la renommée porte sur le chocolat et les montres!», sourit le nez français, établi à Belmont-sur-Lausanne.
Ingrédients du monde, assemblage helvétique
Après des années à officier auprès des plus grands, Emmanuel Levain a pourtant décidé de fonder, il y a onze ans, la marque qui porte son nom. Des créations Swiss made donc, mais pas romandes pour autant, pour d’évidentes raisons. «Comme en cuisine, un bon parfumeur se doit d’utiliser les bons ingrédients. Aussi, nos fournisseurs proviennent du monde entier: Arabie saoudite pour le bois de oud, îles Fidji pour une fleur – secrète – qui ne se trouve qu’à cet endroit-là, Toscane pour l’Iris pallida…»
Les matières premières sont transformées en huiles essentielles et assemblées à Belmont. Il en ressort des parfums «sans prix» – jusqu’à 500 000 fr. –, ainsi que des produits plus accessibles, à 180 fr. les 100 ml, «travaillés tout aussi consciencieusement». Le montant dépendant principalement de la matière première, de sa rareté. A titre d’exemple, le litre d’huile essentielle de jasmin de Grasse coûte 150 000 fr. et s’arrache dans son quasi-intégralité entre Dior et Chanel…
Miser sur le naturel et le responsable
Alors que Givaudan sort 20 000 tonnes de fragrances en une année, la petite entreprise réalise, elle, 8000 flacons par an, vendus dans le monde entier grâce aux hautes parfumeries, palaces et au bouche-à-oreille. «Pour faire connaître une marque, cela prend 50 à 60 ans. En attendant, nous n’avons pas besoin d’égérie comme l’actrice Charlize Theron pour autant, rigole Emmanuel Levain. Et même si on en avait les moyens, on ne le ferait pas, car à travers un visuel, on ne sent rien finalement…» Face à un marketing incessant et lassant qui banalise un produit noble selon les dires du parfumeur, l’artisan mise entre autres sur la tendance du naturel. «Aujourd’hui, les gens se demandent ce qu’ils mettent sur leur peau, ils recherchent de la qualité, de l’honnêteté… Ils sont de plus ravis de porter un parfum réfléchi, dont le processus a pris du temps.» Le bulbe d’iris du parfum Tendre Pallida ayant patiemment mis quatre ans à sécher avant d’être intégré en huile dans le jus mérite définitivement sa place au creux du cou!