3.12.2013, Nicolas Berlie / Faux avis, fausse identité: c’est le nœud du problème dans un secteur où l’anonymat reste la règle. Photo: nevenm/Andrey_Popov/shutterstock.com
Les commentaires qui trompent l’internaute sur un hôtel ou un resto, par exemple, sont un «cancer» du web 2.0. Comment faire le tri ?
Qu’est-ce que l’astroturfing? A l’origine, il s’agit d’une marque de gazon artificiel, AstroTurf, qui mime les propriétés du vrai. Mais sur le web, et chez les professionnels du marketing, cela désigne une technique de propagande singeant la spontanéité d’un mouvement d’opinion, alors qu’une entreprise tire les ficelles par-derrière.
La pratique est très répandue: elle se nourrit de l’utopie du web participatif, le web 2.0, où chacun est habilité à donner son avis. Des sociétés – des hôtels, des restaurants par exemple – publient ainsi de faux commentaires pour améliorer leur note sur des sites comme TripAdvisor ou Yelp. Certains mandatent même des sociétés d’e-réputation pour faire le sale boulot. En septembre, à New York, 19 sociétés – allant de l’entreprise de bus au service de blanchiment des dents – ont ainsi été amendées pour avoir recouru à de faux avis.
Parfois, il ne s’agit pas de manipuler ses propres résultats, mais de discréditer la concurrence: fin octobre, Samsung a ainsi été condamnée à Taïwan pour avoir organisé une campagne de dénigrement contre HTC en payant des étudiants pour publier des commentaires négatifs.
Problème de confiance
En Suisse, aucune décision de justice n’a pour l’heure été rendue, à notre connaissance. Cela ne signifie pas que le cadre législatif est inadapté, note Nicolas Capt, spécialisé en criminalité et sécurité des nouvelles technologies: il relève que la Loi contre la concurrence déloyale, notamment, pourrait s’appliquer.
Pour l’avocat, les faux commentaires sont un véritable «cancer du web participatif»: «Il y a non seulement le risque de déstabiliser la concurrence, mais aussi de décrédibiliser un outil basé sur la confiance.»
Les sites connaissent le phénomène et tentent de l’endiguer. TripAdvisor, un des barons du secteur, affirme par exemple contrôler chaque avis, soumis à l’œil de ses modérateurs et à des algorithmes sophistiqués. «Toute activité suspecte est signalée à notre équipe d’agents dédiés à l’investigation», souligne la porte-parole du site comparatif Natacha Bernardin.
Commentateurs fantômes
Mais les truqueurs sont difficiles à débusquer. «Ce ne sont pas que des faux commentaires, mais aussi de faux comptes, auxquels on donne une existence factice pendant des mois avant de publier un avis», souligne le Genevois Nicolas Capt.
Faux avis, fausse identité: voilà le nœud du problème dans un domaine où l’anonymat reste la règle. Comment, dès lors, se fier à un avis? «L’identité réelle du commentateur devrait être connue, sans être forcément affichée», estime Stéphane Koch, expert en sécurité des données et membre de l’Association suisse des community managers (SCMA). En Suisse romande, resto-rang.ch oblige d’ailleurs les utilisateurs à s’identifier avec un numéro de portable. Un petit garde-fou.
De l’autre côté de la frontière, l’Agence de normalisation française va plus loin: elle a publié en juillet dernier sa norme Afnor, un catalogue des bonnes pratiques pour les sites comparatifs. Par exemple, vérifier que le commentateur a effectivement séjourné dans l’hôtel qu’il évalue. Seul hic, la participation se fait sur une base volontaire.
Dans le flou actuel, quel conseil donner au consommateur? «Ne pas prendre tout ce que vous lisez pour argent comptant, assène Nicolas Capt. Et ne pas vous limiter à un seul site de comparaison: diversifiez vos sources d’information.»