7.6.2023, Propos recueillis par Laurianne Altwegg
Les enveloppes en vue des votations du 18 juin 2023 sont maintenant arrivées dans les boîtes aux lettres des citoyens suisses. L’un des enjeux est la Loi climat qui fait office de contre-projet indirect à l’initiative pour les glaciers, jugée trop contraignante par le Parlement.
Afin de ne pas réitérer l’erreur de la Loi CO2 refusée par le peuple en 2021, ce projet ne propose ni taxes, ni interdiction. Au contraire, un montant de 3,2 milliards de francs serait débloqué sur dix ans pour soutenir d’une part le remplacement des chauffages fonctionnant aux énergies fossiles (dix fois 200 millions par an) et, de l’autre, le développement de technologies respectueuses de l’environnement (six fois 200 millions par an). En outre, le texte propose d’inscrire l’atteinte de la neutralité climatique d’ici à 2050.
C’est un compromis typiquement suisse, qui manque donc forcément d’ambition comparé à l’ampleur du défi posé par le changement climatique. Reste qu’il s’agit d’une avancée majeure et nécessaire pour permettre au pays d’atteindre ses engagements pris lors de l’Accord de Paris et de prendre ses responsabilités.
Les consommateurs s’en trouveront soutenus dans leur nécessaire transition vers des modes de consommation plus durables. La FRC soutient donc cette loi.
Dans ce contexte, les informations publiées dans le tout-ménage News Energie reçu en mai ont de quoi surprendre. Bien qu’elles aient déjà fait couler beaucoup d’encre – on sait par exemple que les auteurs de l’étude sur laquelle s’appuient les opposants dénoncent vivement la manière dont celle-ci a été grossièrement détournée – nous avons souhaité creuser les chiffres et arguments concernant directement les consommateurs dans un contexte caractérisé par une inflation qui pèse parfois lourdement sur le portemonnaie des ménages. Marcel Hänggi, journaliste et historien spécialiste de la thématique climatique, engagé en tant que collaborateur scientifique au sein du comité pour le Oui à la Loi climat nous répond.
Dans le tout-ménage News Energie , on a pu lire que si cette loi passe, les coûts énergétiques par habitant passeraient de 3000 à 9600 francs par an et que la Loi climat coûterait un total de 387 milliards à la population. D’où sortent ces chiffres vertigineux?
Ces deux affirmations sont un non-sens. En réalité, la transition énergétique encouragée par la loi coûte même moins cher que le statu quo. Les «9600 francs» proviennent d’un scénario purement hypothétique d’une étude de l’EPFL et de l’Empa. Les 387 milliards proviennent d’une étude de l’Association suisse des banquiers. Ils ne désignent pas les coûts, mais les investissements nécessaires d’ici 2050. Certes, pour transformer le système énergétique, il faut investir beaucoup. Mais c’est en grande partie des investissements dans notre propre économie; alors qu’actuellement, nous payons 8 milliards par an à l’étranger pour le pétrole et le gaz – voilà les coûts!
Aujourd’hui, la pollution de l’air due à la combustion d’énergies fossiles génère à elle seule des coûts qui se chiffrent en milliards de francs et plusieurs milliers de personnes meurent chaque année de la pollution de l’air. Avec le tournant énergétique, ces sommes et ces souffrances disparaîtront. Toutes les études scientifiques s’accordent sur ce point, malgré les différences dans les détails: si l’on tient compte de tous les facteurs, un système énergétique sans énergies fossiles est économiquement avantageux.
La loi dit que la Confédération doit réduire de moitié les énergies fossiles en 2031 déjà et les éliminer définitivement en 2050. Les opposants estiment que ce que cela va mener à un gaspillage et à des coûts importants pour les consommateurs, car il faudrait alors remplacer la moitié du parc de véhicules et des chauffages d’ici à huit ans déjà. Qu’en pensez-vous?
La Loi climat ne donne pas d’objectif de réduction des énergies fossiles pour 2031, mais un objectif moyen pour toutes les émissions de gaz à effet de serre pour les années 2031 à 2040. Et les énergies fossiles ne devront être réduites à zéro d’ici 2050 que dans la mesure où cela est économiquement supportable. Mais il est vrai que cette loi est un engagement à sortir des énergies fossiles dont nous sommes maintenant dépendants et que nous devons intégralement importer – majoritairement de pays à régime autoritaire comme la Russie, la Libye, le Kazakhstan, etc. La décarbonation du système énergétique nous permettra d’augmenter notre autosuffisance, et par conséquent notre sécurité énergétique. Nous devons pour cela produire davantage d’électricité renouvelable, mais cela ne coûtera pas plus cher: dans de nombreux cas, la production d’énergie renouvelable est déjà la moins chère aujourd’hui, et les prix baissent rapidement. Selon les calculs scientifiques, les seuls coûts directs du système énergétique seront soit légèrement plus élevés, soit nettement plus bas; dès que l’on prend en compte les coûts sociaux et environnementaux indirects, le système énergétique décarboné sera clairement plus avantageux.
Quel est le risque de voir cette loi alourdir le budget des ménages? Les consommateurs ne risquent-ils pas de sortir perdants?
Le principal moteur de l’inflation est le prix du pétrole et du gaz sur les marchés internationaux. Plus nous nous libérons des énergies fossiles, moins ces pressions inflationnistes sont importantes. On le voit par exemple avec les prix de l’électricité: ils sont actuellement étroitement liés au prix du gaz et ont augmenté fortement en 2022 en raison des incertitudes sur le marché du gaz depuis l’invasion russe de l’Ukraine. Il n’est donc pas surprenant que l’Agence internationale de l’énergie ait constaté que les pays ayant une part plus importante d’énergies renouvelables ont les prix de l’électricité les plus bas en période de crise énergétique.
La Suisse manque déjà d’électricité en hiver. Or, en renonçant aux énergies fossiles on renforce les besoins en électricité. Les opposants craignent que cela ne mène à des situations de pénurie et à faire exploser les coûts. Qu’en pensez-vous?
Il est vrai que la Suisse importe généralement de l’électricité vers la fin de l’hiver et qu’elle en exporte en été. Certes, avec la décarbonation, nous avons besoin d’une plus grande production d’électricité domestique – environ 25 à 40% de plus. Les deux Chambres du Parlement ont mis en route l’extension nécessaire – d’ailleurs justement contre l’opposition de l’UDC.