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La fraise: symbole du double langage des distributeurs

Un an après le lancement de Ramène ta fraise, l’heure est au bilan. La FRC a mis le doigt sur le discours contradictoire des détaillants et leurs stratégies pour stimuler la demande.

Enjeux collectifs Impact environnemental Responsabilité sociale Transparence Pub et arnaques Publicité mensongère

Archive · 03 mai 2022

En mars dernier, la FRC avait frappé un grand coup en publiant son enquête sur les fraises espagnoles. Quinze mois passés à sillonner les rayons des principaux distributeurs du pays avaient permis de démontrer une stratégie marketing extrêmement bien rodée, favorisant la vente de montagnes de fraises espagnoles et un chiffre d’affaires confortable.

Contrairement à ce qu’affirment les détaillants, notre travail de fond montre que la demande est largement stimulée par l’omniprésence des baies ibériques et leur promotion systématique. Toutes deux sont combinées à un discours sur la durabilité, ce qui brouille les pistes et vise à déculpabiliser la clientèle. Nous ne pouvons que le regretter, surtout lorsque des engagements valables en matière de durabilité sont instrumentalisés à des fins de marketing et desservent l’objectif final.

Ces douze derniers mois, la FRC a renforcé sa présence sur le terrain, tout comme elle a multiplié les démarches pour mettre les distributeurs devant leurs contradictions et obtenir des engagements (lire ci-après). Nos équipes ont décortiqué leurs publications et sont également retournées dans les magasins pour mesurer l’évolution. Vingt enquêteurs dévoués ont effectué plus de 300 nouveaux relevés (730 en tout) dans les succursales romandes de Aldi, Coop, Lidl et Migros. Voici les points saillants de ces mois d’observation.

ALDI Suisse tient sa promesse

L’an dernier, le discounter allemand avait annoncé qu’il allait renoncer à la promotion des fraises hors de la saison suisse. L’engagement est loin d’être négligeable lorsque l’on sait – de l’aveu des détaillants eux-mêmes – que les actions marketing permettent de multiplier les ventes par deux ou trois. Selon nos observations, la promesse est tenue. En rayon, les fraises sont disposées aux mêmes endroits que les autres fruits et aucun panneau ne les met en évidence. Dans les publications, pas de trace de fraises jusqu’au dernier relevé effectué mi-avril. Aldi est ainsi le seul détaillant à ne pas avoir fait de promotion à la Saint-Valentin. Pour autant, même si l’effort est à souligner, le raisin d’Inde et les prunes d’Afrique du Sud à prix cassé à la même période viennent rappeler que le reste de l’assortiment n’est pas irréprochable.

Migros rétropédale

Alors que le géant orange mise sur la transparence dans sa campagne sur la durabilité, c’est précisément sur ce point qu’il a le plus déçu. Lors de la publication des résultats de l’enquête 2020-2021, il avait déclaré avoir déjà renoncé à promouvoir les fraises avant mars. Or, à l’automne, des hésitations étaient apparues sur ce point, mais Migros avait maintenu son engagement. Pourtant, le détaillant n’a pas tenu parole puisque le 7 février déjà, il déroulait le tapis rouge à la fraise à trois reprises rien que dans son hebdomadaire Migros Magazine: spécial Saint-Valentin, en gâteau et sur une double page mettant en scène le ministre de la Santé Alain Berset. Vraiment «100% honnête» comme prétendu dans sa communication?

Fraises très visibles

Ces dernières semaines encore, les fraises étaient disposées aux endroits stratégiques des supermarchés avec des mises en scène de toutes sortes: barquettes en forme de coeur pour les amoureux, avec crème chantilly à portée de main, etc. Enquêteurs comme consommateurs ont été nombreux à se déclarer choqués par cette «baies attitude», pour reprendre les termes de Migros, que certains ont même qualifiée d’«obscène».

Recettes, un retour aux saisons

Du côté des magazines et catalogues de distributeurs, on constate toutefois un net mieux: lors des échanges, nous avions exposé à nos interlocuteurs que les aberrations de saison, c’est aussi de proposer une recette de tartelettes aux fraises en plein mois de mars. Un argument pris en compte, puisque les publications jouent cette année bien plus le jeu des véritables saisons, avec une exception dans Coopération début avril.

Communication durabilité

Hasard ou conséquence imprévue de la fronde contre les baies ibériques: les distributeurs ont multiplié les effets d’annonce sur leur programme de durabilité cette année, Migros et Coop en tête. A défaut de prendre de réels engagements (voir tableau p. 24), ils profitent de leurs publications pour se justifier et décomplexer l’achat de fruits et légumes hors saison, tout en proposant la fraise en promotion dans les mêmes pages. Comme toujours pour cette baie, la durabilité est réduite à son impact CO2, qui n’est pas foncièrement mauvais, éludant ainsi les problèmes environnementaux et sociaux posés par leur culture en Espagne. Un discours des plus contradictoires sachant que les détaillants s’engagent depuis des années dans des programmes visant à améliorer cette situation insatisfaisante, sans succès jusqu’ici. Une fois encore, le marketing vend une production durable qui n’existe pas encore en Espagne… et n’existera peut-être jamais!

Dialogue avec les distributeurs

On vous dit tout

La FRC avait pour but de rencontrer les distributeurs pour les confronter aux résultats de son enquête. Aldi, par l’entremise de son CEO, a rapidement ouvert grand la porte et pris des engagements qui se sont confirmés.

Échange moins fructueux chez Migros à Zurich. Nous n’avons jamais obtenu le détail de leurs 74 mesures du programme «fraises durables». En outre, malgré la quantité de relevés et les contradictions nettes entre allégations marketing et promesses de durabilité, impossible de leur faire prendre un quelconque engagement. «On nage dans un bassin de requins. Si nous renonçons au marketing, d’autres le feront quand même», nous a-t-on dit pour justifier l’inaction.

Idem chez Coop qui, toutefois, a fourni des informations détaillées sur les normes sociales ou la gestion durable de l’eau. En revanche, s’entendre dire que «la région de Doñana ne souffre pas de sécheresse» reste en travers de la gorge, surtout six mois après que la Cour européenne de justice a condamné l’Espagne pour la destruction de ce parc en raison de «prélèvements disproportionnés d’eau souterraine».

Du côté de Lidl, le Röstigraben a été difficile à franchir: rencontre en visioconférence, traduction de l’enquête en allemand pour en faire comprendre les enjeux. Là aussi, aucun engagement concret, malgré une discussion ouverte. Le discounter a finalement annoncé en mars «réfléchir» à supprimer l’an prochain la crème fouettée disposée à côté des fraises, ainsi que la mention «Superfresh» induisant en erreur sur la saisonnalité. Pas question en revanche de renoncer aux promotions: Lidl prétexte lutter ainsi contre le gaspillage «car les fruits ne pourraient être écoulés». C’est prendre le problème par le mauvais bout…

Ces discussions ont surtout montré à quel point Lidl, Migros et Coop ne sont pas prêts à renoncer à la poule aux oeufs d’or et ont confirmé leur rôle indiscutable pour stimuler une demande! Le constat s’applique aussi au reste de l’assortiment, à commencer par les asperges vertes du Mexique importées par avion. Le chemin reste encore très long…

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