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«Il est urgent de légiférer sur les perturbateurs endocriniens»

Le cerveau risque de subir des dommages massifs et irréversibles. Les explications de Barbara Demeneix, scientifique internationalement reconnue pour ses travaux sur la question.

Maison et loisirs Santé Substances indésirables

Archive · 06 juin 2017

Photo: DR

La professeure Barbara Demeneix est biologiste. Elle est une spécialiste des hormones thyroïdiennes et des substances qui perturbent leur action. Elle codirige le laboratoire Évolution des régulations endocriniennes du Muséum national d’histoire naturelle, à Paris. Auteure d’un récent ouvrage consacré aux polluants qui brouillent les communications hormonales, elle nous explique comment les perturbateurs endocriniens peuvent augmenter les risques d’effets néfastes d’une carence en iode sur le développement cérébral.

Sur quoi portent vos recherches?

Aujourd’hui, il est prouvé qu’une femme enceinte en manque d’iode ou d’hormones thyroïdiennes a un risque plus élevé d’avoir un enfant au quotient intellectuel (QI) abaissé ou qui développe un trouble du spectre autistique (TSA). On sait aussi que celle qui est exposée à un fort taux de perturbateurs endocriniens a un risque augmenté d’avoir un enfant avec un QI baissé de 5-6 points ou autiste. Nous partons donc de l’hypothèse qu’une double exposition est un facteur aggravant. S’y ajoute encore le fait qu’une femme sur huit a des problèmes de thyroïde, une proportion en augmentation. Tous ces risques se cumulent, on ne sait pas encore de quelle manière. Mais il ne s’agit pas d’une simple addition.

Sur quoi se basent vos hypothèses?

On constate des baisse de QI dans plusieurs pays. Aux Etats-Unis, on a documenté un plus grand risque d’autisme à proximité d’épandages de pesticides. Notre équipe a développé une méthode in vivo pour démontrer comment la présence de polluants perturbateurs endocriniens dans l’eau affecte des grenouilles. Plongées dans cet élément, les têtards deviennent fluorescents, et ce sont les hormones thyroïdiennes qui sont responsables de leur métamorphose. Ainsi, le modèle animal permet donc de révéler des effets subtils, très difficiles à prouver chez les humains.

Quelles substances sont incriminées?

La liste est longue et ne cesse de s’allonger. Au siècle passé, quelques produits comme les PCB (des composés chimiques aromatiques qui se rapprochent des dioxines, ndlr) étaient déjà connus pour interférer avec le développement cérébral. Les ont rejoint les retardateurs de flamme (des molécules qu’on retrouve dans certains meubles ou textiles, les ordinateurs), les surfactants (les sprays imperméabilisants, les poêles antiadhésives), plusieurs groupes de pesticides, les plastifiants (bisphénols, phtalates)… De nombreux objets du quotidien sont concernés.

Y a-t-il des groupes d’âge plus exposés que d’autres par l’effet de ces perturbateurs?

A notre avis, toute la population est concernée, car nous avons besoin des hormones thyroïdiennes à tout âge pour réguler le métabolisme. Toutefois, c’est plus problématique pour une femme enceinte, un enfant dont le cerveau est en train de se développer ou un adolescent en pleine croissance.

Comment peut-on réduire les risques?

Le plus simple, c’est d’assurer un apport suffisant en iode aux femmes, dès les premiers jours de la grossesse. En parallèle, chacun peut veiller à diminuer l’exposition aux polluants en mangeant bio, en aérant suffisamment les pièces, en renonçant aux cosmétiques qui contiennent des parabènes, en limitant l’utilisation de certains filtres UV…

Vous avez aussi adressé des recommandations pour les autorités?

Une faible dose de perturbateurs endocriniens suffit déjà à déclencher une réponse importante. Leur action est donc très différente d’une toxicité aigüe classique pour laquelle on peut calculer des doses sans risque. Il faut donc un cadre légal spécifique pour ces molécules, à l’instar de ce qui est mis en place pour les substances cancérogènes. A notre avis, il est urgent de légiférer avant d’atteindre des dommages massifs et irréversibles dans la population. Des discussions ont cours depuis plusieurs années sans aboutir. En cause le lobbying de l’industrie chimique. Seul un cadre légal permettrait d’interdire une substance avant qu’elle ne cause des dommages à large échelle.

Comment doit s’orienter la science à votre avis?

Il faut davantage de tests pour identifier les perturbateurs endocriniens parmi la multitude de molécules mises sur le marché. Il est également important de mieux comprendre comment tester l’effet des mélanges de substances, ces cocktails auxquels nous sommes exposés tous les jours.

 

Lire aussi Le cerveau endommagé. Comment la pollution altère notre intelligence et notre santé mentale. De Barbara Demeneix. Ed. Odile Jacob, 2016.

La thyroïde et ses fonctionnements

La thyroïde produit deux hormones principales, le T3 (triiodothyronine) et le T4 (thyroxine), avec respectivement trois et quatre atomes d’iode. ces hormones sont essentielles pour le maintien du métabolisme de base de tous les organes, y compris le cerveau. La thyroïde libère ces hormones par rétroaction avec l’hypothalamus et l’hypophyse, deux glandes situées dans le cerveau. Ce système complexe permet au corps de réagir rapidement à des facteurs externes comme le stress ou la température.

Plusieurs substances viennent interférer:

  • Les groitrogènes alimentaires (choux, manioc, soja, millet, lentilles, etc.) inhibent l’iodisation.
  • Des contaminants comme les retardateurs de flamme bromés, les PCB (des composés chimiques aromatiques) et la dioxine sont des antagonistes de l’iode.
  • Les nitrates peuvent empêcher l’absorption d’iode par l’intestin, bien que la quantité présente dans nos aliments ne soit considérée comme pas assez importante pour avoir un effet visible.

Soulignons que les avis des scientifiques divergent concernant l’importance de toutes ces substances.

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