31.10.2023, Yannis Papadaniel et Sandra Imsand
Les possibilités sont nombreuses pour traiter, en automédication et sur conseil en pharmacie, un rhume, une gorge qui gratte ou une entorse. On ne ressort pas toujours d’une officine avec le traitement le meilleur marché, ni bien informé, loin de là.
L’enquête a évalué le conseil à la clientèle sur des cas bénins. Le résultat montre que la stratégie commerciale passe avant le rôle de conseil. Dans de trop nombreux cas, il a manqué les précautions d’usage face à une contre-indication. Aux clients demandant un traitement pour soulager un proche, la personne au comptoir a systématiquement proposé les médicaments les plus chers.
Le principe actif est le même, pas le prix!
En 2020, le groupe Stada, fabricant basé en Allemagne, annonçait le rachat à GlaxoSmithKline de «15 marques de soins grand public dans plusieurs domaines thérapeutiques et bien établies dans plus de 40 pays». Le PDG déclarait alors que «ces marques permettront de générer une croissance supplémentaire». Parmi ces acquisitions pour près de 300 millions d’euros, on trouve les pastilles Mébucaïne contre le mal de gorge. Comme de nombreux autres produits dans les pharmacies et drogueries, elles sont en vente libre, les officines étant seules habilitées à en assurer la vente. Ces médicaments sont identifiés avec le sigle anglais OTC (pour «over-the-counter», soit «par-dessus le comptoir»).
Les produits OTC sont souvent utilisés en automédication, a priori sur recommandation d’un pharmacien. Car, même en vente libre, ils exigent de respecter une posologie et ne conviennent pas à tout état de santé.
ENQUÊTE: SCÉNARIO UN
Disponibilité, mais où sont les conseils ?
Le premier scénario a consisté à vérifier la remise des médicaments les moins chers, lorsqu’ils sont explicitement demandés. Nous avons retenu trois principes actifs: la lidocaïne et la cétylpyridine dans les pastilles pour soulager le mal de gorge; la xylométazoline dans des sprays en cas de rhume; le diclofénac dans des gels pour traiter des entorses.
Nos clients mystères ont visité 169 pharmacies dans l’ensemble des cantons romands. Chaque enquêteur s’est vu attribuer le produit le moins cher dans une des trois gammes précitées, à savoir: Angina MCC 30 pièces, à 3 fr. 45 (pastilles), Rinosedin 10 ml, à 3 fr. 65 (spray nasal), Effigel 60 g, à 3 fr. 75 (gel). Nous avions préalablement vérifié qu’aucune rupture de stock n’avait été annoncée pour chacun de ces traitements.
Tous médicaments confondus, la disponibilité des produits demandés s’est élevée à 78,7%. En resserrant la focale, Angina MCC a été remis dans 98% des cas (50 remises sur 51 demandes). Le taux se monte à 85,7% pour Rinosedin (54 sur 63), et il n’est que de 52,7% pour Effigel (29 sur 55).
«Les pharmacies naviguent trop à leur avantage dans une zone grise où l’on ne distingue plus vraiment la qualité et le marketing, le cher et le bon marché.»
Dans ce dernier cas, lorsque le médicament n’était pas disponible, la pharmacie a proposé de le commander à 19 reprises (sur 26 visites), dans un délai de livraison court, le soir même ou le lendemain. Douze pharmacies ont proposé une alternative. Seules quatre ont suggéré le produit de marque (Voltaren Dolo) plus cher, ou le dosage plus grand de l’Effigel, 100 g, dont le prix explose à 14 fr. 70.
À composition parfaitement identique, le prix passe de 0 fr. 06/g, à 0 fr. 15/g!
Ce bilan est plutôt bon, voire très bon quant à la remise du médicament. Un aspect s’avère pourtant plus alarmant: l’absence de précautions prises par les personnes au comptoir qui n’ont vérifié que dans 17 des 133 visites (quand le médicament est en stock) si l’acheteur était concerné par une contre-indication ou des précautions. Le score est un peu plus élevé sur les conseils lorsqu’il s’est agi de la posologie, puisque des informations ont été livrées dans 65 cas. Ce n’est pas satisfaisant, le taux devrait atteindre les 100%. Enfin, à quatre reprises, la pharmacie a vendu – sans le préciser – des boîtes de 50 pièces au lieu de 30 contre le mal de gorge.
Certains employés ont semblé découvrir l’existence du produit bon marché. Une enquêtrice note: «L’assistante m’a tout de suite dit: «On n’a pas ça en Suisse», mais a quand même cherché sur son ordinateur. Il y en avait deux en stock.» Une autre s’étonne: «L’assistante m’a annoncé tout d’abord qu’elle devait aller le chercher derrière car «ce n’est pas courant qu’on le vende». Une fois en caisse, elle a été surprise du prix et je cite: «Vous battez des records! C’est moins cher que le générique de Sandoz. Le Voltaren est vendu trois fois plus cher pour la même molécule.»
SCÉNARIO DEUX
Quel produit est conseillé pour la pathologie ?
Le second scénario a porté sur les mêmes gammes de produit, mais l’entrée en matière était différente. Chaque enquêteur a demandé pour un proche un spray pour soulager un nez bouché, des pastilles contre le mal de gorge, ou un gel pour une entorse, sans préciser de marque particulière. Dans ce volet, 47 pharmacies (qui font partie des 169 officines de la première partie de l’enquête) ont été visitées. Le résultat est sans appel: le médicament le moins cher a été proposé spontanément dans quatre cas seulement. À 42 reprises, toutes situations confondues, la personne au comptoir a conseillé en premier lieu les médicaments de marque les plus chers. Pour la visite restante, l’enquêteur s’est vu conseiller uniquement des solutions alternatives. Notre scénario, plus ouvert, a conduit les personnes au comptoir à opter parfois pour des thérapeutiques différentes. Pour les entorses, les clients mystères se sont ainsi régulièrement vu proposer du gel Perskindol ou contre le mal de gorge, des pastilles de marque et de composition différentes mais dont le prix se situe également sur la fourchette supérieure (plus de 10 fr.).
Même dans les cas où le conseil tente d’orienter les clients vers des produits aux effets secondaires moins prononcés, des produits onéreux sont proposés. En substitut, par exemple, aux sprays nasaux à base de xylométazoline, que la revue critique de pharmacologie Prescrire déclare comme «médicament à écarter des soins», toutes les officines qui ont proposé de l’eau de mer ont dirigé les enquêteurs vers des produits bien plus chers que «des flacons de NaCl 0,9% stériles bon marché parfaitement appropriés pour le rinçage nasal», selon l’option indiquée par Thierry Buclin, pharmacologue et professeur honoraire à la Faculté de biologie et de médecine de Lausanne.
Dix pharmacies (25% de l’échantillon) ont proposé outre un médicament de marque, des produits complémentaires. Certaines le font précisément pour diminuer un recours à des molécules type xylométazoline et en réserver l’usage strict à des moments où le patient a besoin d’être soulagé (avant d’aller dormir). Le conseil est certes avisé, mais il a un prix car il peut faire grimper la facture à 30 francs et plus.
Ainsi, à Bulle, un enquêteur s’est vu recommander la prise de Triofan (médicament de marque) avec du Triomer, pour une facture totale de 34 fr. 15. À La Chaux-de-Fonds, dans une pharmacie Amavita, une cliente a reçu comme première proposition pour traiter une entorse l’application de patchs à conserver au congélateur, associés à une chevillière. Le tout pour un montant de 65 fr. 80 (17 fr. 90 + 47 fr. 90). Lorsque cette personne a demandé s’il n’y avait pas un traitement moins cher, l’assistante lui a alors proposé un produit Amavita à base de diclofénac pour 9 fr. 90. C’est peu par rapport aux premiers conseils, mais onéreux si l’on sait qu’à dosage, composition et indication identiques, l’Effigel 60 g est disponible dans cette même officine, à 3 fr. 75. Bref, en matière de médicaments OTC, les pharmacies naviguent trop à leur avantage dans une zone grise où l’on ne distingue plus vraiment le nécessaire et le superflu, la qualité et le marketing, le cher et le bon marché.