L’argument des salaires
Pour beaucoup, la Suisse est chère car les salaires sont élevés. Mais c’est faux. Dans ce domaine, il faut différencier deux cas de figure: lorsqu’il s’agit de produits importés ou lorsque la production est en Suisse.
Dans le premier cas, selon les études mandatées par le lobby du commerce de détail (BAK Basel 2010, 2017), les salaires du personnel de vente ne jouent aucun rôle dans les prix, voire permettrait de baisser les prix grâce à un coût unitaire du travail plus bas (plus forte productivité, durée du travail plus longue, charges salariales plus basses, etc). Les coûts unitaires du travail sont même 5% inférieurs en Suisse que chez nos pays voisins (page 38, illustration 4-25). Cette conclusion a été corroborée par Monsieur Prix et la Confédération.
Dans le deuxième cas, selon l’étude mandatée par le Seco en 2003, les salaires ne seraient responsables en moyenne que de 11% de l’îlot de cherté, c’est-à-dire une part assez faible. Cette part peut varier en fonction des produits évidemment, mais de manière globale, l’excuse des salaires n’est pas justifiés même lorsque la production est en Suisse.
D’ailleurs, certains produits comme l’électronique (importé), mais aussi des sirops produits en Suisse sont au même prix voire moins cher que chez nos voisins, ce qui prouve que les salaires ne peuvent pas expliquer l’îlot de cherté. Une étude réalisée en 2005, concluait également que les salaires suisses n’étaient pas responsables des différences de prix avec l’étranger.
Le Conseil fédéral le résume ainsi: «En général on constate que les prix plus élevés ne résultent pas nécessairement du niveau des salaires plus élevé en comparaison internationale. Le temps de travail hebdomadaire et la productivité du travail plus élevés en comparaison européenne permettent un niveau des salaires plus élevé en Suisse. Les prix plus élevés sont donc moins l’expression d’un niveau des salaires élevé que le résultat d’un fort pouvoir d’achat des consommateurs suisses que les producteurs et distributeurs savent exploiter». En d’autres termes, c’est parce que les Suisses ont des salaires élevés que les entreprises cherchent à exploiter ce pouvoir d’achat avec des prix plus forts, et non l’inverse.
Les vraies raisons
Puisqu’il ne s’agit pas des salaires, d’autres facteurs permettent d’expliquer les prix élevés en Suisse. Monsieur Prix a publié un rapport qui les résume. Outre le manque de concurrence dans le commerce de détail, on peut citer le prix élevé des loyers, des produits agricoles, de la publicité ou de la logistique par exemple. Mais surtout, selon l’étude de BAK Basel, les coûts d’achat à l’importation constituent une part importante de l’îlot de cherté. C’est précisément l’objet de cette initiative: faire baisser le coût des produits d’importation.
1. La structure du marché suisse
Selon l’étude du Seco de 2003, 44% du surcoût des prix suisses est dû au manque de concurrence. Plus la concurrence est forte, moins les prix sont élevés (les prix des produits avec une concurrence forte ont augmenté de 25% entre 1982 et 2002 contre 70% pour les produits à concurrence faible). Concrètement, deux cas de figure se présentent :
- Premièrement, les entreprises étrangères qui majorent les prix des produits importés grâce à des importateurs exclusifs qui cloisonnent le marché. Selon l’étude de BAK Basel de 2017, environ un tiers des surcoûts du commerce de détail suisses est dû aux coûts d’approvisionnement à l’étranger. Une étude de l’ancien Surveillant des prix chiffrait à environ 25-30 milliards le surcoût total.
- Deuxièmement, à l’intérieur de la Suisse, la concentration du marché intérieur aux mains de quelques entreprises, en particulier dans le commerce de détail au stade de la distribution et de la transformation limite la concurrence et pousse les prix à la hausse, comme le montre une étude du Seco de 2019 sur plusieurs produits alimentaires. Les prix à la production ou les droits de douane jouent un rôle très faible dans le prix final, selon cette étude.
A noter que contrairement à ce qui est souvent avancé par les distributeurs et l’industrie agro-alimentaire, il n’y a aucune preuve que le Cassis de Dijon aurait eu un impact sur les prix. Selon une étude du Seco de 2017, vu la structure du marché, il est de toute manière peu clair si les baisses de coûts seraient répercutées sur le prix final. L’optimisme n’est donc pas de mise à ce niveau et la mesure semble profiter uniquement à l’industrie, pas aux consommateurs.
2. Coûts plus élevés
Selon l’étude de 2014 du Surveillant des prix, il faut également tenir compte des coûts plus élevés dans certains domaines :
- La publicité: pour attirer le consommateur, les entreprises investissent de gros moyens dans le marketing (campagnes publicitaires, emballages, etc.). La moitié des coûts totaux de certains produits de marque sont occasionnés par des frais de marketing, dans le but d’asseoir la sympathie de la marque auprès des consommateurs. Les frais de publicité sont en outre environ trois fois plus élevés qu’en Allemagne. L’écart est encore plus important en ce qui concerne la publicité télévisée (quasi-monopole de la SSR). De plus, les frais de référencement sur les moteurs de recherches en ligne sont deux à trois fois plus élevés qu’à l’étranger. En dernier lieu, les nombreuses actions hebdomadaires impliquent des emballages spéciaux qui renchérissent forcément les coûts et donc le prix final.
- L’immobilier, le transport, la logistique, l’énergie: Selon l’étude de BAK Basel de 2017, environ un tiers du surcoût du commerce de détail est dû à ces domaines dont près de la moitié dû à l’immobilier (40%). Selon, l’étude du Surveillant des prix de 2014, les coûts de transport sont de 30 à 50% supérieurs à ceux en Allemagne.
- Divers: la topographie, l’exigüité du marché, le plurilinguisme.
3. Coûts plus faibles
Si les facteurs ci-dessus montrent des coûts plus élevés qu’à l’étranger, d’autres domaines permettent au contraire de diminuer les coûts: le coût unitaire du travail moins élevé (lire plus haut), les taux d’intérêt plus bas, ainsi que la fiscalité plus douce.
Et donc?
L’îlot de cherté suisse n’est pas une fatalité. L’argument des salaires suisses élevés est utilisé par certains groupes d’intérêt qui ne souhaitent pas voir leur marges diminuer. Le manque de concurrence est responsable pour près de moitié de l’îlot de cherté, puisque les entreprises cherchent à exploiter le pouvoir d’achat des consommateurs. Le cloisonnement du marché suisse par les sociétés étrangères fait également monter les prix de façon significative, chiffré à environ 25-30 milliards. Par ailleurs, la concentration du marché intérieur aux mains de quelques entreprises conduit les entreprises à attirer le consommateur non pas par des baisses de prix, mais par la multiplication de campagne de publicité, dont les coûts atteignent même la moitié du prix total pour certains produits de marques, et qui contribuent donc à alimenter l’îlot de cherté.