Enquête : Mode en ligne

Dark patterns: quand les interfaces web nous manipulent

Responsabilité des plateformes en ligne

13.9.2022, Jean Busché, resp. Économie FRC, et David Hachfeld, Resp. Cleen Clothes Campaign Public Eye / DR

Une enquête conjointe de la FRC et de Public Eye révèle l’exposition des consommateurs et consommatrices suisses aux dark patterns lors de leurs achats de vêtements sur internet. Ces adaptations de l’interface, qui visent à inciter les internautes à acheter plus et à divulguer des données personnelles, ont été identifiées dans 15 enseignes majeures de fast fashion. Mais les différences entre plateformes sont considérables. Le géant de la mode éphémère Shein figure en tête du classement, avec 18 types de dark patterns sur les 20 répertoriés.



Salaires de misère, surexploitation des ressources naturelles et montagnes de déchets: les problèmes liés à la surconsommation d’articles de mode sont aujourd’hui largement connus. Alors pourquoi la mode éphémère (ou fast fashion) reste-t-elle ancrée dans nos habitudes?

L’une des causes est l’omniprésence de la publicité qui pousse à l’achat impulsif. Or avec la numérisation, les départements marketing se concentrent toujours plus sur le commerce en ligne car, aujourd’hui, environ un vêtement sur trois est acheté par ce biais.

L’impact des dark patterns

De nombreuses plateformes en ligne conçoivent leurs interfaces en jouant sur divers paramètres tels que l’architecture du site, les couleurs ou le phrasé, dans le but d’influencer les internautes et de les pousser à effectuer ou non une action. Ces types d’interfaces trompeuses sont appelés dark patterns. La finalité est commerciale: inciter les consommateurs à acheter plus, plus rapidement, et à divulguer davantage de données personnelles.

Dark patterns: sombres jeux d’influence sur le web

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Les dark patterns regroupent une pluralité de pratiques et d’éléments mis en place par les plateformes de commerce en ligne. Dans la boîte à malice des détaillants, on trouve des fenêtres pop-ups avec des codes de réduction à très court terme, des avantages supplémentaires accordés à partir d’un certain montant d’achat, l’ajout non sollicité d’articles ou de services dans le panier, des comptes qu’il est difficile voire impossible de supprimer en ligne, ou encore le dépôt non consenti de cookies par le biais desquels les publicités des boutiques en ligne suivent les internautes sur d’autres pages internet. Si les dark patterns s’apparentent à une forme de manipulation, leur utilisation est souvent légale et exploite l’absence de normes juridiques et les lacunes liées à la protection des consommateurs dans le commerce en ligne.

Les dark patterns influencent nos comportements pour nous faire acheter beaucoup plus que ce dont nous avons besoin.

L’enquête

La FRC et Public Eye ont voulu savoir dans quelle mesure les consommateurs suisses qui achètent leurs vêtements en ligne sont exposé·e·s aux dark patterns. Avec une équipe de 17 enquêteurs bénévoles, les deux organisations ont examiné de manière systématique 15 grands sites de commerce en ligne spécialisés dans la mode à la recherche des 20 techniques les plus courantes. Toutes les boutiques analysées y ont recours, à des degrés variés.

Les principaux résultats

La plateforme Shein figure en tête du classement. Au total, 18 catégories de dark patterns ont été identifiées sur le site du géant chinois de la mode ultra-éphémère. Leur omniprésence est telle que les internautes qui recherchent quelque chose de précis auront du mal à passer outre les différents pièges à clics.

Aliexpress, Amazon et La Redoute suivent Shein à une certaine distance, mais constituent néanmoins le peloton de tête, avec un nombre de dark patterns qui reste supérieur à la moyenne.

Les pendants en ligne des chaînes de magasins physiques telles que Zara, Globus ou Manor semblent avoir moins recours à ces différentes pratiques manipulatoires – même si H&M se distingue dans ce groupe avec la présence de six catégories de dark patterns différentes.

  • Les techniques qui visent à inciter les internautes à acheter plus d’articles sont particulièrement fréquentes. Ainsi, l’affichage d’articles correspondants à celui ajouté au panier a été observé sur 13 sites de vente en ligne. L’ajout de frais de port en cas d’achat considéré comme «insuffisant» a été observé sur 10 plateformes.
  • Afin de fidéliser les internautes, 12 boutiques obligent ou poussent leur clientèle à créer un compte afin de finaliser une commande et 9 contiennent des incitations à s’abonner à des newsletters publicitaires.
  • La FRC et Public Eye ont également été choquées par la difficulté à supprimer les comptes et les données personnelles stockées par les enseignes. Alors que l’inscription se fait généralement facilement, en deux ou trois étapes, supprimer un compte s’est avéré difficile voire impossible sur la version mobile du site internet de 10 magasins.
  • Autre pratique classique: 9 sites web rendent difficile le refus ou l’adaptation des cookies publicitaires. Cinq d’entre eux exploitent même les lacunes de la Loi fédérale sur la protection des données et déposent ce type de fichiers sans consentement préalable sur les smartphones ou les ordinateurs qui accèdent à leurs pages internet.

20 exemples concrets

Freiner et protéger

Si vous achetez des articles de mode en ligne, vous ne pouvez pas éviter les dark patterns. Toutes les plateformes que nous avons analysées utilisent plusieurs des tromperies numériques issues de la boîte à outils du marketing en ligne. Beaucoup exploitent toute la panoplie des outils à leur disposition: si la technique fonctionne, qu’elle est licite ou du moins tolérée, elle sera exploitée.

Sensibiliser les consommateurs aux dark patterns et à leur impact peut nous aider à apprendre à éviter certains pièges, à faire plus attention à nos données et à consommer de manière plus avertie. Mais il serait erroné de considérer les dark patterns et la surconsommation qu’ils favorisent comme un problème purement individuel. Le fait que la consommation actuelle dépasse largement les limites planétaires est un problème systémique auquel nous devrions nous attaquer avec des solutions elles aussi systémiques – par le bais d’une réglementation politique.

Favoriser des modes de consommation durables est l’une des orientations fixées par le Conseil fédéral dans sa Stratégie pour le développement durable 2030. Celle-ci a toutefois suscité de nombreuses critiques car le Conseil fédéral mise unilatéralement sur des changements de comportement individuel et refuse de prendre des mesures réglementaires. Ce faisant, il ignore à quel point l’absence de réglementation mine les approches individuelles. Les dark patterns sapent tous les efforts visant à promouvoir des modes de consommation plus durables. Ils exploitent les biais cognitifs pour favoriser des comportements à l’opposé de cet objectif.

Les autorités politiques devraient résolument s’opposer à ce sabotage: pour protéger les consommateurs, pour promouvoir des modes de consommation plus durables et pour éviter que les détaillants qui ont recours à ces pratiques manipulatoires ne bénéficient d’avantages concurrentiels.

Aux autorités d'agir

Les dark patterns sont aujourd’hui omniprésents. Les implications sont inquiétantes en termes de respect des choix individuels, de protection de la sphère privée et d’incitation à la surconsommation. Il est donc temps que les autorités politiques et le Parlement s’emparent de ces problématiques afin d’imposer de nouvelles normes à un secteur dans lequel le manque de réglementation est flagrant.

Les plateformes de vente en ligne devraient respecter les choix individuels des consommateurs en abandonnant toute forme de manipulation dissimulée au sein de leurs interfaces.

Nous demandons également aux autorités de faire respecter la législation en vigueur. En effet, l’ajout furtif d’un article inutile ou non désiré dans le panier d’achat et les mécanismes qui rendent excessivement compliqué ou empêchent la résiliation d’un contrat soulèvent des questions d’entrave à la liberté contractuelle des consommateurs. Aussi, les mécanismes visant à influencer le comportement de l’internaute (couleur, taille de police, messages dissuasifs répétés) soulèvent des questions sous l’angle de la concurrence déloyale lorsqu’ils sont d’une intensité importante.

La FRC et Public Eye demandent donc une interdiction pure et simple des dark patterns qui incitent l’internaute à partager plus de données ou l’empêchent de supprimer des informations personnelles: de telles pratiques vont à l’encontre de l’approche de la protection de la vie privée dès la conception (ce qu’on nomme privacy by design en anglais) et contribue significativement à vulnérabiliser les utilisateurs.

Si la nécessité d’agir est certaine, le Conseil fédéral est encore réticent à s’emparer de cette problématique. Au sein de l’Union européenne, une première étape consistant à répertorier et analyser les pratiques problématiques est déjà bien amorcée. Une analyse similaire devrait également être réalisée à l’aune du droit suisse, afin d’identifier les mesures à prendre pour protéger les intérêts des internautes et contraindre les plateformes en ligne à respecter leurs choix.

Berne a toutefois récemment donné un signe encourageant: le Conseil national a adopté, contre l’avis du Conseil fédéral, un postulat chargeant l’Administration de présenter un rapport sur la problématique des dark patterns.

Méthodologie

Nos 17 enquêteurs bénévoles ont analysé 15 sites de vente en ligne à la recherche de 20 pratiques pouvant être identifiées comme des dark patterns. Les bénévoles ont suivi une formation avant de se rendre sur les plateformes qui leur ont été attribuées et de remplir un formulaire en ligne en suivant un script d’enquête prédéfini. Chaque site a été analysé entre 4 et 6 fois par différentes personnes.

L’enquête a été réalisée entre mai et juillet 2022. Elle a porté sur les sites suivants: AboutYou, Aliexpress, Allylikes, Amazon, Asos, Bonprix, Galaxus, Globus, H&M, La Redoute, Manor, Shein, Wish, Zalando et Zara.

Les sites ont été consultés depuis la Suisse sur leur version mobile.

Contexte

L’origine des dark patterns

La problématique des dark patterns a été décrite pour la première fois en 2010 par Harry Brignull qui se définit comme «expert en pratiques numériques trompeuses». Depuis, l’ampleur du phénomène est devenue préoccupante. En effet, de nombreuses plateformes ont aujourd’hui recours à ces techniques contribuant derechef à vulnérabiliser les consommateurs et consommatrices dans leur expérience en ligne. En 2019, la première étude d’envergure a démontré que 11% des 11 000 sites commerciaux analysés contenaient des dark patterns. En 2020, une enquête similaire est arrivée à la conclusion que 95% des applications gratuites du Play Store de Google avait recours à des modes de tromperie numérique.

 Le pouvoir des interfaces trompeuses

Le problème? C’est que ça fonctionne. Les consommateurs et consommatrices auraient 2 à 4 fois plus tendance à réaliser une action dans un environnement contenant des dark patterns.

Pour influencer nos choix, les plateformes modifient l’espace de décision ou manipulent l’information visible. Elles peuvent ainsi entraîner l’internaute là où elles le souhaitent, par exemple en présélectionnant certaines options comme le «choix» d’accepter ou non une kyrielle de cookies ou en forçant l’internaute à créer un compte pour accéder à un contenu.

Une tendance particulièrement populaire sur les sites de commerce en ligne consiste à y intégrer des éléments qui attirent la clientèle dans une certaine direction, grâce à des remises ou d’autres offres spéciales.

Une autre tactique consiste à jouer sur la peur de manquer quelque chose (en anglais: «Fomo» pour fear of missing out), à l’instar de qoqa.ch, qui propose un pourcentage décroissant d’articles restants, ou de booking.com, qui envoie à sa clientèle des messages alarmistes sur le peu d’offres encore disponibles à un prix donné.

Les dark patterns peuvent également prendre la forme de fausses signalisations par le biais de codes couleurs ou de doubles négations. Mais leur forme la plus courante consiste à influencer par l’obstruction, comme lorsque l’inscription à une plateforme ou à un service est possible en un clic mais que la désinscription en nécessite… beaucoup plus. Le Conseil norvégien de la consommation a ainsi porté plainte contre Amazon, l’accusant de rendre le processus de désabonnement particulièrement compliqué.

Il est important de rappeler que ces techniques font partie intégrante de la stratégie marketing des plateformes et sont élaborées et mises en œuvre sur la base d’études et de tests. En ligne, chacune de nos actions laisse des traces. Une fois rassemblées, ces données valent de l’or pour les analystes marketing: elles permettent d’évaluer immédiatement l’effet du moindre ajustement dans la conception ou la structure d’un site web. Toute modification des interfaces qui permet d’augmenter les ventes, de garder l’internaute plus longtemps sur une page ou d’obtenir plus de données personnalisées exploitables est ainsi savamment identifiée et déployée par les équipes marketing.

Cette enquête est le fruit d’une collaboration entre la Fédération romande des consommateurs (FRC) et Public Eye. Elle a été publiée sur le site de chaque organisation et existe en version française, allemande et anglaise.

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Interpellation des grands distributeurs

 
Nous demandons aux distributeurs

  • cesser le marketing agressif sur les fraises, mais également sur d’autres denrées hors saison, que ce soit en rayon ou dans les différentes publications destinées à vos clients (catalogues, magazines, journaux, newsletter, etc.) ;
  • renoncer à disposer les fraises espagnoles aux endroits stratégiques de vos points de vente, à savoir en face de l’entrée, sur des ilots dédiés, ou en tête de gondoles ;
  • ne pas recourir à des mises en scène pour vendre la fraise hors saison (à savoir jusqu’en avril), en l’associant par exemple à de la crème et des tartelettes. Une demande valable aussi pour d’autres denrées, comme les asperges du Pérou associées à de la mayonnaise, viande séchée ou autre ;
  • indiquer clairement, de manière bien visible et transparente le pays de provenance ainsi que les noms des producteurs de fraises importées, que ce soit sur les affichettes qui accompagnent ces fruits en rayon, dans les publicités ou sur le dessus des barquettes ;
  • ne plus utiliser de formulations qui peuvent induire en erreur le consommateur sur la saison de la fraise en Suisse. Une demande valable pour la mise en rayon, ainsi que toute publication ;
  • être en mesure de prouver toute allégation de durabilité concernant l’assortiment.

Les dates de la tournée romande #Ramènetafraise

29.05.21Marché de Boudry (NE)
01.06.21Marché de Neuchâtel (NE)
02.06.21Marché de La Chaux-de-Fonds (NE)
04.06.21Marché de Fleurier (NE)
05.06.21Gare de Lausanne (VD)
12.06.21Gare de Genève (GE)
08.06.21Place fédérale (BE)
12.06.21Marché de Delémont (JU)
15.06.21Gare de Delémont (JU)
19.06.21Marché de Fribourg (FR)
27.09.21Festi’Terroir Genève (GE)
28.08.21Festi’Terroir Genève (GE)
28.08.21Objectif Terre Lausanne (VD)
29.08.21Festi’Terroir Genève (GE)
29.08.21Objectif Terre Lausanne (VD)
09.09.21Semaine du goût Sion (VS)
25.09.21Concours suisse des produits du terroir Courtemelon (JU)
26.09.21Concours suisse des produits du terroir Courtemelon (JU)
05.10.21Les Jardins du Flon, à Lausanne (VD)
16.10.21Epicerie fine Côté Potager, à Vevey (VD)