31.3.2022, Sandra Imsand
Cette matière est problématique pour l’environnement. Or on le trouve notamment dans les plantons et plantes en pot. Le jardinier en herbe a une mission épineuse puisqu’il est impossible de savoir si les produits du commerce en contiennent.
L’exploitation de la tourbe nuit au climat et à la biodiversité. Voici le préambule de la page que l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) consacre à cette matière. En Suisse, il est interdit d’extraire la tourbe des marais depuis 1987. Et pourtant, on en importe à tour de bras: jusqu’à 524 000 m3 par année selon l’OFEV. Un travail est mené sur une base volontaire pour l’abandonner progressivement (lire encadré plus bas), mais la lenteur du processus permet à certains secteurs de continuer à en utiliser de grandes quantités en particulier pour la production de plantons ou de plantes d’intérieur.
Les substrats utilisés par les gros pépiniéristes contiennent ainsi jusqu’à 30 à 40% de cette matière, car elle est très bon marché. « Une aberration lorsque l’on sait le rôle primordial des tourbières pour lutter contre le réchauffement climatique, réagit Laurianne Altwegg, responsable Environnement à la FRC. En 2019, Migros nous avait répondu que «le marché de production n’est pas encore prêt à offrir des produits sans tourbe. Aussi, nous ne sommes malheureusement pas en mesure d’acheter des produits qui en sont exempts en Suisse et dans les pays fournisseurs européens. Trois ans plus tard, la situation a-t-elle changé?»
Alors que s’amorce la saison du jardinage, la FRC s’est rendue dans les commerces afin de constater si les plantes aromatiques et premiers plantons pour le potager disponibles contenaient de la tourbe. Une quinzaine d’enquêteurs ont écumé les jardineries dans six cantons romands mettant dans leur panier ciboulette, menthe, basilic, salades.
Premier constat: aucun magasin n’indique la présence ou l’absence de tourbe dans le point de vente, que ce soit sur les pots ou sur les étiquettes explicatives des produits sélectionnés pour notre enquête. Jumbo, qui appose des QR codes sur les produits renvoyant à diverses explications et conseils de plantations sur son site, ne le précise pas non plus. Ã l’inverse, la production suisse (en toutes lettres ou avec un drapeau) ainsi que les divers labels: Bio, Demeter, Pro Specie Rara, etc., sont mentionnés en bonne place sur les plantes.
À prendre avec des pincettes
Sans possibilité pour nos enquêteurs de savoir si le substrat des plantons contentait ou non de la tourbe, ils se sont adressés au personnel de vente. Si leurs réponses semblent indiquer que plus de 67% de produits en sont exempts, ce chiffre laisse perplexe. Car les employés ne semblent de loin pas maîtriser la question. Ainsi, chez Landi à Bevaix (NE), la conseillère pensait que les produits contenaient de la tourbe «comme partout». À Cornaux en revanche, dans le même canton et la même enseigne, l’employée a déclaré qu’il n’y en avait jamais dans leurs plantons.
Du côté de chez Coop Brico+Loisirs, à Bassecourt (JU), le vendeur a «failli s’étrangler» en assurant qu’il était interdit d’utiliser de la tourbe en Suisse. S’il est vrai que depuis l’an passé, les plantons bio en pot ainsi que les herbes aromatiques Naturaplan du géant orange sont sans tourbe, ce n’est pas le cas de tout l’assortiment et encore moins du pays dans son entier. Dommage, on s’attendait à plus de transparence de la part d’un détaillant qui affichait un logo »sans tourbe » sur certains produits vendus plus tardivement dans la saison.
À Bussigny (VD), l’enquêtrice qui s’est rendue à Jumbo a été refroidie par l’accueil qu’elle a reçu: «Quand j’ai demandé s’il y avait de la tourbe, on m’a répondu sur un ton stressé et étonné que la tourbe était naturelle et que même s’il y en avait, ça ne poserait pas de problème.» Une réponse qui dénote clairement un manque de formation du personnel ou, au mieux, d’une grande légèreté. D’autant plus qu’au final, l’enquêtrice est repartie bredouille, un comble!
Rayon de soleil dans la brume
Migros Do-it + Garden, à Crissier (VD), se voit, lui, décerner un «pouce vert» au propre et au figuré grâce à un vendeur visiblement très calé. «Il a vérifié s’il y avait ou non de la tourbe dans un planton et m’a expliqué en détail comment le faire moi-même, explique notre cliente mystère, ravie. Le conseiller était passionné par son métier; il connaissait aussi bien l’endroit d’où provenaient les plantons et le producteur.» Résultat, la menthe en pot bio contenait de la tourbe, mais pas la ciboulette bio ni le basilic exempt de tout label.
Alors, tourbe ou non? Nos enquêteurs étant restés dans le flou, la FRC s’est adressée directement aux instances dirigeantes des commerces afin de savoir ce qu’il en était vraiment. Migros n’offre aucune garantie, même dans la gamme bio, si la plante ou le planton n’est pas étiqueté d’un logo spécifique. Le porte-parole relève cependant qu’un gros effort est en cours pour arriver à proposer un assortiment vierge.
Chez Hornbach, tous les plantons bio sont sans tourbe. C’est aussi le cas des plantes couvre-sol. Une indication «sans tourbe» bienvenue figure d’ailleurs sur certains de ses produits, bien que nos enquêteurs n’aient pas rencontré cette mention lors de leurs visites.
Pas de tourbe non plus pour les herbes aromatiques bio et plantons en pot de Coop. Le détaillant se targue d’ailleurs d’avoir déjà dépassé l’objectif de 50% de produits sans tourbe fixé pour 2025 et ajoute «travailler d’arrache-pied pour l’augmenter encore». Du côté de Jumbo, l’indication figure sur certains produits et un travail est en cours avec le fournisseur pour «développer cette information» à destination des clients.
Au final, quelle garantie pour le consommateur? Faut-il vraiment qu’il soit toujours réduit à décrypter les étiquettes ou à devoir faire confiance au personnel? Si la plante ou le planton sont garantis sans tourbe, c’est indiqué en toutes lettres. C’est bel et bien un argument de vente! Il est par ailleurs intéressant de noter que les produits sans tourbe sont souvent aussi bio.