7.3.2023, Sandra Imsand & Rebecca Eggenberger / Images: Jean-Luc Barmaverain
Entre vidéos gratuites et programmes payants, le secteur du coaching sportif, bien-être et nutritionnel a explosé. Décryptage d’un milieu où une belle mise en scène prime trop souvent sur le fond.
«C’est décidé, en 2023, je deviens la meilleure version de moi-même!» C’est en substance le slogan qui incite à vouloir faire du sport facilement en recourant à un coach trouvé sur un site web ou les réseaux sociaux. Le concept est importé des États-Unis où sa popularité est immense. Au point qu’en 2016, la respectable Association médicale américaine (AMA) recommandait officiellement d’intégrer les coachs de santé dans le suivi médical afin d’«améliorer la satisfaction et l’engagement des patients mais aussi de réduire le stress des médecins en libérant leur agenda».
Il existe de nos jours pléthore de coachs dans toutes sortes de segments: coach de vie, en business, spirituel, du sommeil, en éloquence, en réseaux sociaux, en image, en rangement, en immobilier, sportif, etc. Un univers hétéroclite, où se mêlent des centaines de métiers. Le genre est dopé par les changements de mode de vie et sociétaux ainsi que par l’engouement massif pour le développement personnel. S’il est impossible de connaître la part de personnes exerçant sous cette appellation, le nombre d’adhérents à la Fédération internationale de coaching a augmenté de 160% entre 2012 et 2022. Mais cela ne représente que la partie émergée de l’iceberg, la profession n’étant pas régulée.
966%. La hausse du nombre de requêtes «sport à la maison» au printemps 2020 par rapport à 2019. Source: Youtube
Le manque de cadre inquiète. En cause, une pratique pleine de promesses, qui vont des plus honorables aux plus farfelues. Avec parfois des coachs exerçant une emprise importante sur leurs clients, qui peut tenir du fonctionnement de «gourou». En 2018, le président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires en France sonnait l’alerte sur France Inter: «10 à 20% des 2500 signalements que nous recevons par an concernent cet objet mal identifié que sont le coaching et les coachs.» En Suisse, il n’existe pas de chiffres, mais la prudence s’impose au moment de confier ses économies à une personne dans le but d’apporter des améliorations à sa vie.
Les réseaux sociaux sont une vitrine des plus importantes pour les coachs. Ils leur permettent d’atteindre un grand nombre de clients potentiels. Et le confinement a permis aux spécialistes du sport, du fitness, de la nutrition et du bien-être de gagner une large audience de personnes désireuses de se prendre en main depuis le salon. Les requêtes «yoga» «pilates» ou «sport à la maison» sur YouTube ont augmenté respectivement de 44%, 125% et 966% entre mars et juin 2020 par rapport à l’année d’avant. Cette période compliquée a aussi permis à certains «charlatans» de s’improviser coachs. Voilà qui laisse songeur…
Ces coachs offrent sur leurs comptes Instagram et TikTok ainsi que leur chaîne YouTube entraînements et conseils gratuits, et proposent en sus programmes et suivis personnalisés contre rémunération. Si l’offre est pléthorique, certains sortent du lot. Leur point commun? Une communauté importante nourrie à coup de contenus multiples et variés, une plastique sans défaut, un ton sympathique et une mise en scène soignée. Ces entraîneurs 2.0 viennent au client et lui donnent envie de le suivre grâce à une communication et une mise en récit (ou storytelling) efficaces. On est loin du modèle traditionnel de l’instructeur en salle.
Les nouveaux coachs vendent avant tout leur image, leur vécu et leur histoire. Ils utilisent les codes des réseaux sociaux: authenticité, humour, buts précis, travail. Le public connaît de nombreux détails sur leur vie privée et leur intimité. L’aura de confiance est installée, leur ressembler fait envie. Après avoir consommé des vidéos et des conseils gratuits, l’internaute, qui se sent lié à son coach, est prêt à passer à la caisse pour acheter des produits et souscrire des abonnements.
L’expérience ne fait pas l’expertise
Tous proposent à leur communauté, autant de clients potentiels, de suivre les méthodes qui ont fonctionné pour eux. Tout en renforçant les stéréotypes de genre. «L’homme doit être costaud et sa plastique physique en triangle inversé. La femme doit être mince avec une grosse poitrine», a commenté Christine Castelain-Meunier dans le quotidien économique Les Échos. La sociologue au CNRS estime que les réseaux sociaux ont fait entrer la population «dans une ère de la performance: comment être plus compétitif, augmenter son profit, utiliser ses capacités personnelles au mieux pour surmonter ses défauts, avec la nécessité d’être heureux». Mais avoir perdu du poids ou gagné de la masse musculaire ne fait pas de soi un spécialiste dans le domaine. L’expérience ne fait pas l’expertise et ne rend pas apte à guider.
Si nombre de coachs indiquent être diplômés, peu sont transparents sur la nature de leur formation, sa durée, l’organisme qui l’a dispensée ou la reconnaissance du diplôme. Difficile donc pour la clientèle d’évaluer la qualité objective du conseil, surtout si le capital sympathie du coach est son argument principal. Et quand certains vantent les vertus de la monodiète (manger un ingrédient sur plusieurs jours) ou la qualité nutritionnelle de produits issus de la vente pyramidale, c’est très mauvais signe.
Trop de coachs en ligne finissent par vous vendre quelque chose qui n’était pas prévu au départ.
Sandra Imsand, resp. Enquêtes.
La philosophe Julia de Funès fustige cette tendance dans son ouvrage Développement (im)personnel: «[Les coachs] utilisent des rouages théoriques qu’ils appliquent à des buts existentiels compliqués. Une vie réussie peut-elle faire l’objet d’une recette? Par quel miracle? On vous livre des kits comportementaux qui ne permettent pas de devenir un sujet autonome. Vous êtes ensuite culpabilisé si vous ne réussissez pas votre vie. Ce qui était à votre portée puisqu’on vous a, soi-disant, donné tous les outils disponibles.»
Chez les poids lourds du domaine, on retrouve le couple Tibo InShape et Juju Fitcats, les influenceurs les plus suivis en France dans le milieu du sport et de la nutrition sportive (respectivement 9 et 3 millions d’abonnés sur YouTube). En plus de vidéos sur différentes plateformes, ils ont créé une application de sport et nutrition ainsi qu’une gamme de produits protéinés. Juju Fitcats réalise aussi une série de vidéos, «Balance ton frigo», où elle inspecte et commente le contenu des frigos de personnalités. Quand elle filme le sien, il s’agit au final d’une publicité à peine déguisée pour une marque de box de repas prêts à cuisiner livrés à domicile. La machine marketing est bien huilée et génère des revenus très confortables (lire encadré). L’authenticité promise n’est qu’une façade.
Lucile Woodward est une coach sportive qui a gagné énormément d’adhérents durant le Covid; elle touche près de 700 000 personnes sur YouTube. En plus de contenus sur les réseaux, elle a développé divers programmes sportifs ou nutritionnels, dont un dédié au rééquilibrage alimentaire, surnommé «La bible du bien manger». Prix: 60 euros. Sur ses canaux, la sportive décrypte par ailleurs certains produits vendus comme «fit» alors que leur composition laisse franchement à désirer. Un exemple: une barre protéinée contenant 24 g d’édulcorant pour 100 g de produit.
Lucile écrit: «Attention! Allégations qui se multiplient = daube bien cachée!» La FRC abonde.
Jessica Mellet et Alexandre Mallier, autoproclamés «Coachs experts en Transformation physique», ont créé la société Move Your Fit. On y trouve notamment des conseils en tous genres, avec des titres bien accrocheurs comme «10 aliments coupe-faim» ou «Les vertus santé du curcuma». Leur programme s’appelle T12S pour transformation en 12 semaines. Il promet des résultats physiques (photos avant/après ainsi que témoignages à l’appui) et est proposé à près de 200 francs. À ces revenus s’ajoutent ceux issus de la vente d’une gamme de compléments alimentaires et de tisanes à leur nom. Ainsi, l’internaute démarre par des séries d’abdos dans son salon devant une vidéo gratuite sur YouTube puis souscrit un programme plus coûteux qu’un abonnement à une salle de fitness sur le long terme.
Au vu de tous ces mécanismes, autant prendre le temps de s’assurer de la légitimité de l’expert qu’on choisit. Et c’est là que réside toute la difficulté pour l’internaute, influencé par un discours bien rodé et une déferlante de conseils d’apparence «très pro».