Reportage

Ce soir, déchets au menu pour les "freegans"

Des «freegans» ou "déchetariens" écument les bennes des supermarchés de Suisse romande. Plongée en apnée dans les bas-fonds de la société de surconsommation.

Alimentation Nourriture et boissons Enjeux collectifs Impact environnemental Maison et loisirs Déchets et recyclage

Archive · 09 mai 2012

«A pareille température, les aliments se conservent mieux et surtout ça sent moins fort», lance Nico*, les mains gantées. La ruelle est déserte, balayée en ce soir d’avril par une bise glaciale. Sur le bitume détrempé, des containers attendent le groupe, deux cubes de plastique qui peuvent contenir chacun jusqu’à 300 kilos de nourriture. Les premiers bras plongent dans la benne jusqu’aux coudes. Chacun extirpe un sac noir: des gestes précis, une mécanique huilée. Les plus anciens, comme Nico, se nourrissent depuis près de trois ans en récupérant les aliments consommables dans les poubelles des supermarchés.

 

On les appelle les «freegans», concept né outre-Atlantique au tournant du millénaire. Une contraction de «free» (libre, gratuit) et de «vegan» (végétalien). Dans nos contrées, plutôt que de «freeganisme» ou de «déchétarisme», on parle de «récup». Et la récup est plutôt bonne ce soir. Oranges, yaourts, bananes et baguettes de pain congelées s’entassent dans les cagettes. Un butin qui tranche avec les débuts. «La première fois, on a trouvé un parapluie et de vieilles paires de bottes. Mais rien à se mettre sous la dent», se rappelle Nico en rigolant.

Brouiller les règles établies

Pendant un mois, le groupe – 25 ans de moyenne d’âge – a passé au peigne fin les poubelles des magasins du coin, avant de trouver les bons lieux et les bons soirs pour la cueillette. Depuis, ils fréquentent deux ou trois spots. La discrétion est de mise. Les supermarchés n’aiment pas qu’on fouille dans leurs détritus, même s’ils se trouvent sur l’espace public. A plusieurs reprises, des magasins ont verrouillé l’accès à leurs poubelles avec des cadenas et des chaînes, voire des grilles. «Il arrive qu’elles soient si pleines qu’ils ne peuvent pas les cadenasser, alors on en profite!»

Disséminés au pied d’immeubles, les containers offrent des rencontres insolites avec le voisinage. «On tombe parfois sur des curieux. Ça se passe bien, ils ont surtout peur qu’on s’intoxique. On leur propose un peu de notre cueillette, mais ils refusent à chaque fois», dit Nico en souriant, à peine émergé du fond crasseux de la benne. En Suisse, la date de péremption reste sacrée pour le consommateur. Le régime «freegan» fait peur en brouillant les règles d’hygiène alimentaire établies. «Quand mon frère vient manger à la maison, il regarde scrupuleusement les dates limites des aliments avant que je cuisine. En revanche, il n’a aucun souci à se nourrir de produits bourrés de conservateurs chimiques…»

Pour l’équipe, la sélection relève simplement du bon sens. La viande et le poisson sont écartés d’emblée, trop fragiles. «Pour les produits laitiers, on est fixé dès qu’on les ouvre. Pour les fruits et légumes, ça se voit à l’œil nu s’ils sont pourris ou flétris.» Les plongées dans les bennes s’intensifient. Les lampes de poche scannent frénétiquement chaque produit. «Valable jusqu’en 2013, il n’est même pas périmé!» s’insurge Nico, un pot de moutarde à la main.

Les bennes sont farcies de produits «propres» à la consommation: «En pleine période des Fêtes, on est tombé sur 12 kilos de saumon fumé qui n’était pas périmés. Un tel gaspillage est insensé. On essaie de limiter les travers de cette consommation à outrance et d’apporter aussi notre grain de sable dans un système capitaliste devenu fou.» En Suisse, ce gâchis se monterait à 250 000 tonnes par année... Les «freegans» ne risquent donc pas de rester sur leur faim.

* Nom connu de la rédaction

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