Horticulture

Dans le berceau des roses d’Abyssinie

Elles ont parcouru plus de 5000 kilomètres, les roses de luxe aux couleurs et formes extraordinaires qui ornent les étalages des fleuristes européens. Un Français nous ouvre les portes de sa ferme. Reportage.
Alimentation Emballages et étiquetage

Archive · 02 février 2016

Emmitouflés dans des vestes chaudes à capuche dans une pièce où la température n’atteint que 2 degrés, quatre hommes empaquettent des roses pour les expédier aux quatre coins de la planète. On a beau être en Ethiopie, quand il est question de conservation, le secret c’est le froid! Les grosses commandes de Noël sont passées, il est temps d’attaquer celles de la Saint-Valentin. Dans la ferme aux roses Gallica, à 20 kilomètres à l’ouest d’Addis Abeba – «nouvelle fleur», en amharique–, l’activité est intense. Trois cents employés, aux trois quarts des femmes, s’affairent à arroser, cueillir, mesurer, tailler, emballer cette denrée périssable qui a tant de succès auprès des Occidentaux.

Gallica voit la vie en rose

La Samouraï rouge, la Sweet Elegance et la Mistinguette figurent parmi la centaine de variétés produites dans le domaine de Menagesha. «Les roses rouges sont celles qui ont le plus la cote pour la Saint- Valentin, elles constituent 30% de notre production, explique Stéphane Mottier, le patron, qui fait visiter son domaine comportant 8 hectares de serres. Mais, avec notre agronome éthiopien qui supervise toute la production, nous sommes constamment à la recherche de nouvelles fleurs. Certaines variétés hybrides apparaissent par hasard.» Les roses à l’ancienne, à la forme de pivoine, sont particulièrement recherchées. «Tiens, voici la Tango, une rose créée dans les années 1950.

Son parfum est délicieux. Malheureusement, elle ne se conserve pas.» En effet, il faut compter huit à dix jours – parfois quinze – entre le moment où la fleur est coupée et celui où elle arrive chez le client. L’important, c’est que les roses puissent durer une semaine dans le vase du consommateur final.

Une fois plantées, les roses ont un cycle de croissance de 80 jours. Puis le rosier fleurit tous les 45 jours. © Grégoire Laufer
Dans les serres de Gallica, 6 millions de roses sont cultivées chaque année. Elles iront orner les vases du  monde entier.

Stéphane Mottier, la cinquantaine, est autodidacte mais il n’est pas novice dans le domaine horticole. Issu d’une famille de grossistes en fleurs depuis quatre générations en France, il s’est fait la main dans la production de roses pendant douze ans en Equateur. Avec sa compagne, ils ont débarqué, en 2007, en Ethiopie. La parcelle qu’ils exploitent abritait autrefois une forêt d’eucalyptus et des babouins. Forts de leur savoir-faire latino-américain, «une technologie unique en Afrique de l’Est», ils produisent des roses de luxe destinées exclusivement aux fleuristes. Ils exportent en Europe: Paris, Bruxelles, Milan ou Francfort, mais aussi dans les pays arabes, l’Afrique du Sud, l’Asie et la Russie. En tout, 17 000 à 18 000 roses par jour, soit 6 millions par an!

Terre parmi les plus fertiles du monde

Pourquoi l’Ethiopie? Dernier venu sur le marché des roses, et en quatrième position après le Kenya, l’Equateur et la Colombie en termes de surfaces plantées, ce pays de la Corne de l’Afrique offre des conditions idéales pour la production de fleurs coupées. En dehors des zones de sécheresse chronique où les périodes de famine sont récurrentes, les terres éthiopiennes jouissent de températures idéales oscillant entre 20° C et 30° C en journée et fraîches la nuit. Le domaine Gallica se situe à 2600 mètres d’altitude. «Avec deux mètres de pluie par an, il y a des réserves d’eau en quantité, explique Stéphane Mottier, qui exploite deux puits creusés à 250 mètres. Paradoxalement, l’eau, encore trop mal exploitée, est la vraie richesse de l’Ethiopie!» Et ce n’est pas par hasard que des dizaines et des dizaines de kilomètres de serres de roses se sont implantées dans la vallée du Rift, aux abords des grands lacs au sud de la capitale.

Grâce à un système de pompage, l'eau qui arrose les serres est stockée dans un bassin de rétention.
Grâce à un système de pompage dans deux puits à 250 m. de profondeur, l'eau qui arrose les serres est stockée dans un bassin de rétention.

Mais ce qui rend l’Ethiopie si attractive, ce sont ses bas salaires. «L’Ethiopie, c’est la Chine de l’Afrique», imagent certains. Dans ce pays comptant parmi les plus pauvres de la planète – 174e rang sur 184, selon l’indice du développement humain de l’ONU – et qui est essentiellement agricole, le gouvernement veut amener l’Ethiopie au stade de pays à revenu intermédiaire d’ici à 2025. Il n’hésite donc pas à brader des parcelles aux étrangers. Son espoir: obtenir des capitaux et créer des emplois, tout en acquérant de nouvelles technologies et du savoir-faire. Les investisseurs étrangers peuvent obtenir des terres à bas prix pour trente ans, avec exonération d’impôts sur cinq ans, importations hors taxes, quand ce n’est pas la gratuité de l’électricité.

Toutes les fermes ne sentent pas la rose

L’agrobusiness se répand en Ethiopie, et le marché est principalement aux mains de Hollandais, d’Ethiopiens et de quelques grands groupes, dont le suisse Syngenta. Plus de 1000 hectares de terres lui sont déjà alloués. Ce qui inquiète les défenseurs des droits humains, c’est que l’acquisition de terres a souvent été faite sur le dos de petits paysans; à peine dédommagés, ils n’ont donc plus de quoi nourrir leur famille. Un scandale étouffé par le gouvernement, qui ne tolère aucune revendication à ce sujet. La question des salaires pratiqués par les fermes horticoles est également une pierre d’achoppement. Si Gallica assure bien traiter ses employés en leur payant un salaire mensuel qui démarre à 35-40 dollars net par mois pour doubler après quatre à cinq ans de bons et loyaux services, d’autres compagnies ne paient que 50 cents par jour, soit trois à six fois moins. «Nos employés ont la chance d’avoir un travail rémunéré sans avoir besoin d’aller à la capitale. Ils travaillent 44 h par semaine, contre 48 h officielles, sur six jours. Ils touchent des heures supplémentaires s’ils travaillent le dimanche. Et nous leur offrons le repas de midi, explique Stéphane Mottier. Le tournus est bas. Nous donnons aussi des plants à nos employés pour améliorer leur quotidien, comme ces arbres à tomates, pleines de vitamine C et qu’ils ne connaissaient pas.»

Empaquetées par bottes dans du carton ondulé, les fleurs se préparent à un long voyage avant d’arriver chez le client. © Grégoire Laufer
La culture des roses emploie essentiellement des femmes. Sur les 300 employés, elles représentent 3/4 du personnel.

Stéphane Mottier explique, non sans fierté, que sa ferme est la première à avoir reçu la certification or de GlobalG.A.P, une norme garantissant une production sécurisée et durable. «On est obligé d’utiliser des fertilisants, mais, pour éviter de polluer la nappe phréatique, on a réduit de 40% la quantité recommandée et on la remplace par des micro-organismes non traités, comme des champignons. » D’autres fermes sont moins sensibles à l’aspect écologique. Le Kenya a été victime d’une pollution importante du lac Naivasha, où une quantité non négligeable de nitrate a causé des effets dévastateurs sur la population, la faune et la flore.

Et que dire du bilan écologique d’un transport aérien de fleurs coupées? «Etonnamment, une étude britannique a prouvé que les roses chauffées et éclairées artificiellement dans les serres européennes rejettent six fois plus de dioxyde de carbone que si elles étaient transportées en avion depuis l’Afrique, conclut Stéphane. Cela ne nous dispense pas de participer à la reforestation de la région pour compenser nos rejets de carbone.»

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