3.2.2021, Laurianne Altwegg, coll. Robin Eymann et Sandra Imsand
Oui, mais encore faut-il trouver un prestataire intéressé à livrer les particuliers! Enquête.
Si vous chauffez ou cuisinez au gaz, l’annonce fracassante de la libéralisation totale du marché par la Commission de la concurrence (Comco) de juin dernier vous concerne (lire article sur frc.ch). Dans une décision touchant deux fournisseurs alémaniques qui avaient refusé l’accès à leur réseau à une entreprise tierce pour approvisionner de petits clients, la Comco établit que la convention conclue par la branche en 2012 – et reconnaissant la libéralisation uniquement pour les gros clients – est contraire à la Loi sur les cartels. En clair, le marché du gaz se voit libéralisé pour tout le monde – ménages compris – tout comme l’avait été celui de l’électricité en 2003 suite à un jugement du Tribunal fédéral.
Un revers pour le Conseil fédéral qui venait de clore la consultation sur la future Loi sur l’approvisionnement en gaz (LApGaz) proposant une libéralisation pour les gros consommateurs uniquement. Selon le Surveillant des prix, «une libéralisation partielle du marché, fondée sur une loi spéciale, semble aujourd’hui plus que discutable. Elle arrive trop tard en tant qu’instrument de libéralisation du marché.» En effet, revenir en arrière en instaurant un monopole légal pour 90% des clients finaux serait fortement contestable au vu de la décision de la Comco. Dans les faits, c’est toutefois ce qui s’était produit pour l’électricité avec la Loi sur l’approvisionnement en électricité (LApEl), qui a permis une libéralisation partielle malgré la décision du Tribunal fédéral. Affaire à suivre.
Libéralisation pas sans risque
Il suffit de lorgner de l’autre côté de la frontière pour connaître les risques de la libéralisation: outre celui de voir les tarifs prendre l’ascenseur, le problème principal concerne le démarchage agressif de certaines entreprises. Rappelant des pratiques qui ont cours dans le domaine des assurances, certains commerciaux ne reculent devant rien pour conclure de nouveaux contrats, parfois à l’insu des clients concernés. Prétextes pour accéder aux coordonnées bancaires ou au compteur des particuliers, informations fallacieuses sur les prix ou la réglementation: notre consœur française de l’UFC-Que Choisir en faisait dernièrement un florilège édifiant.
En Suisse, où 20% des habitants se chauffent au gaz et même s’il ne s’agit pas d’une énergie d’avenir vu les enjeux climatiques, une législation permettant d’instaurer des règles du jeu serait donc la bienvenue. Car une ouverture du marché à la hussarde ne met pas les petits consommateurs à l’abri, bien au contraire.
Pourquoi changer de fournisseur ?
Certes, la libéralisation ne concerne que la part «énergie» de la facture. Ainsi, les frais fixes liés à la puissance de l’installation, les tarifs d’abonnement pour l’utilisation du réseau et la taxe CO2 ne changent pas. Toutefois, rien ne justifie de payer le kilowattheure 11,67 centimes à Montreux alors que le voisin genevois n’en débourse que 8,1 et que la moyenne suisse se monte à 8,7 (lire encadré). Une différence qui représente plus de 700 francs par an dans le cas d’une maison familiale (20 000 kWh)!
Par ailleurs, on pourrait être tenté d’aller voir si le gaz est plus vert ailleurs: certains services industriels proposent jusqu’à 20% de gaz renouvelable dans leur produit standard, un argument qui pourrait faire mouche parmi certains clients. Prospecter auprès de la concurrence peut donc être intéressant.
Face à un marché en construction, les ménages vont encore devoir patienter.
Faire jouer la concurrence
Mais a-t-on vraiment le choix? Pour le savoir, nos équipes se sont fait passer pour des privés souhaitant profiter de l’ouverture du marché pour changer de fournisseur. Nous avons envoyé nos demandes d’approvisionnement à quinze entreprises suisses et cinq grosses sociétés actives sur le marché européen. Tous les fournisseurs ont répondu par la négative. La plupart n’ont pas motivé leur refus. D’autres ont évoqué la distance géographique ou les investissements nécessaires pour livrer du gaz au-delà de leur périmètre actuel. Plusieurs entreprises disent réfléchir sur comment la décision de la Comco pourra s’appliquer et expliquent n’être pas encore prêtes à passer le pas, comme Regio Energie, à Soleure, qui estime que «l’application de la libéralisation n’est pas si simple à réaliser».
Ces réactions sont autant de preuves que «l’ouverture du marché du gaz est encore en construction» pour citer les Services industriels de Lausanne. Mais visiblement, la situation n’est pas comprise de la même manière partout. Ainsi, la société valaisanne Oiken explique que le marché n’est pas libéralisé pour les clients utilisant moins de 100 000 kWh par an. Alors, ouverture ou non? En théorie oui, en pratique non. Une chose est sûre, le marché gazier suisse n’est pas unifié. Les petits consommateurs n’ont pas d’autre solution que de prendre leur mal en patience pour, peut-être, faire baisser leur facture de gaz à l’avenir.