6.9.2022, Laurianne Altwegg et Sandra Imsand / Photos: Jean-Luc Barmaverain
Est-il possible de faire réparer un objet qui a été acquis quelques semaines auparavant et qui présente des défauts? Notre enquête montre que la tâche n’est pas simple.
15 kilos
La quantité de déchets électriques produite par habitant par an.
En Suisse, la garantie légale est de deux ans pour les objets neufs. Durant ce laps de temps, le consommateur confronté à un problème peut demander au vendeur une diminution du prix, un échange, voire le remboursement en cas de défaut important. Quid de la réparation? Aucun vendeur n’est tenu de la proposer. Or, selon une enquête de l’Eurobaromètre, 77% des Européens préféreraient faire réparer leurs biens plutôt que d’en acheter de nouveaux.
Exemples inspirants
Le droit européen répond en partie à cette attente, puisqu’il offre au client, outre les options prévues par la législation suisse, la possibilité de demander que le produit soit réparé. Autre avantage, le vendeur ne peut pas exclure la garantie. Impossible donc de se défausser sur le fabricant ou le fournisseur comme c’est le cas chez nous.
De plus, ce n’est pas à l’acheteur de prouver que le défaut préexistait: le bien nommé «fardeau de la preuve» échoit au vendeur durant l’année qui suit l’achat. La réparation, elle, est gratuite dans le cadre de cette garantie de conformité.
Certes, le vendeur est en droit de refuser la réparation si elle est trop onéreuse comparée au prix du produit. Au vu du coût de la main-d’oeuvre en Europe, le problème n’est donc pas résolu. Toutefois, la réparation, clairement plus attractive chez nos voisins, contribue à limiter le gaspillage. De plus, les eurodéputés discutent d’un renforcement du texte pour la fin de l’année avec d’autres mesures ayant pour but de rendre la réparation attrayante pour le client, par exemple en mettant un appareil de remplacement à disposition dans l’intervalle.
« Le droit à la réparation n’existe pas dans la loi suisse. Mais il vaut la peine de tenter d’obtenir ce geste de la part du vendeur, même s’il figure déjà dans les conditions générales. »
Certains États membres ont même décidé d’aller plus loin que la directive européenne. En France, la réparation est favorisée par une disposition permettant au détenteur de l’objet de bénéficier d’une suspension de la garantie le temps de la réparation, ou d’une prolongation de garantie de six mois, s’il choisit cette option. En Autriche, le Ministère pour la protection du climat paie même la moitié des coûts de réparation ou de devis jusqu’à concurrence de 200 euros par appareil!
Cela posé, bien que le droit suisse n’autorise pas le client à exiger la réparation d’un appareil sous garantie, rien n’empêche les enseignes de la proposer dans le cadre de leurs contrats de vente. Qu’en est-il en pratique? C’est la mission à laquelle notre réseau d’enquêteurs s’est attelé. Ils ont testé les réponses données par les services après-vente des principales enseignes vendant des appareils électroniques et électroménagers. Sont concernées: Migros, Coop, Conforama, Fnac, Fust, Interdiscount, Jumbo, M-electronics et MediaMarkt, ainsi que les plateformes Microspot et Galaxus.
Nos clients mystères ont ainsi acheté une série d’appareils variés, du rasoir au blender, en passant par des écouteurs, un radio-réveil ou un lecteur DVD. Le prix de ces articles variait entre 20 et 150 francs. Quelques semaines après l’achat, ils retournaient au magasin pour signaler un dysfonctionnement.
33%
La part non recyclable d’un petit appareil électroménager.
Résultat décevant
Il était important, pour évaluer convenablement la réponse, d’indiquer que l’article avait parfaitement fonctionné au début et que le problème semblait mineur (un problème de contact avec le cordon d’alimentation ou la prise, p. ex.). Les enquêteurs devaient mentionner préférer une réparation à un remplacement pur et simple pour des raisons environnementales.
Le résultat est plutôt triste: la réparation n’est pas du tout une option dans l’immense majorité des cas. Seules Migros et Coop proposent de remettre l’objet en état, toutefois la réparation est plus contraignante, car elle implique de revenir au moins 15 jours plus tard (le vendeur n’a pas pu être plus précis) pour espérer récupérer l’objet. Et encore, il n’est pas exclu que l’appareil soit tout de même remplacé. Si, au contraire, le client opte pour un nouvel objet, il repart directement avec lui. «Au vu de nos vies menées à 1000 à l’heure, il y a fort à parier que le remplacement sera plébiscité », a commenté un client mystère. Un constat confirmé par l’enquête réalisée par Greenpeace en novembre 2021: la majorité des consommateurs trouve compliqué d’organiser une réparation.
E-commerce: remplacement automatique
Dans les autres magasins, l’appareil a été remplacé par un neuf. Le service après-vente n’a pas posé de questions et n’a pas cherché à le tester sur place. À partir du moment où l’article était sous garantie, nos clients mystères ont obtenu un exemplaire neuf immédiatement ou un crédit de valeur identique. Pour les magasins en ligne, c’est en ayant reçu l’objet en retour que nos enquêteurs ont réalisé qu’il avait été simplement remplacé.
Les raisons invoquées pour justifier le changement automatique sont plus ou moins toujours pareilles: «Ça coûte plus cher de faire réparer que de remplacer.» Chez MediaMarkt, où l’enquêtrice a ramené un gril de table d’une valeur de 149 francs, une note de crédit lui a été offerte immédiatement. «Comme je m’étonnais que l’article ne soit pas d’abord envoyé en réparation, le collaborateur m’a dit sur le ton de la confidence que l’entreprise ne réparait pas ceux dont la valeur était en dessous de 200 francs», explique la Neuchâteloise. Elle n’a pas réussi à savoir s’il s’agissait d’une politique globale du magasin ou liée à la marque Tefal. Chez Microspot, le seuil s’établit à 100 francs selon notre client mystère.
98%
Les Suisses ayant jeté un objet en bon état, faute de réparation.
Les enseignes répliquent
Dans un deuxième temps, la FRC a soumis les conclusions aux distributeurs. Leurs réponses tendent à indiquer que la valeur de l’article est un critère important: «Si le prix moyen pondéré du produit est inférieur à 45 francs, l’article est remplacé car la gestion du dossier coûte plus cher», explique le porte-parole de Fnac. Une enquêtrice témoigne avoir fait envoyer à l’atelier pour révision une machine à café et un ordinateur, tous deux provenant d’Interdiscount. Leur valeur respective était de 400 et 700 francs. Il est donc fort probable que chaque magasin a un seuil en dessous duquel investir des moyens dans la réparation est jugé non rentable.
Les dates de l’achat et du retour jouent également un rôle, selon les réponses officielles obtenues. Ainsi, chez Migros (et M-electronics), le principe du «satisfait ou remboursé» s’applique les 30 jours suivant l’acquisition. «Le client peut faire remplacer l’objet ou se faire rembourser sans autre justification », précise le porte-parole. Fnac évoque la limite de 14 jours: «On parle alors de PAD, pour «panne au déballage», et le produit est remplacé ou remboursé », explicite le responsable Communication Jérémy Nieckowski. Même son de cloche chez Digitec Galaxus: «Nos clients n’ont pas à attendre si le produit est en réparation.» Chez Interdiscount, pour un ordinateur sous garantie, «la personne qui l’a pris en charge au magasin m’a dit que si je l’avais rapporté avant 30 jours, j’aurais eu droit à un nouvel appareil au lieu de l’envoyer à l’atelier», relate une enquêtrice.
« L’optimisation de la durée de vie des objets est un enjeu crucial. Il est temps d’instaurer des mesures qui préservent les ressources et favorisent la seconde main. »
Post mortem
Qu’advient-il des appareils neufs remplacés? Nos enquêteurs ont posé la question. «Chez Media- Markt, explique une cliente mystère, on m’a répondu que l’appareil sera jeté. Pour me tranquilliser, le vendeur a reformulé son propos, insistant sur le mot «recyclé». Je lui ai demandé où et comment, il n’a pas su répondre.» Dans les faits, la plupart des appareils sont détruits, même si le service clients préférera indiquer qu’ils sont «valorisés».
Pas étonnant puisque l’Ordonnance sur la restitution, la reprise et l’élimination des appareils électriques et électroniques impose que les produits de ce type soient éliminés de manière respectueuse de l’environnement. Toutefois, même s’ils entrent effectivement dans la filière du recyclage, une grande partie des matériaux finissent simplement broyés et brûlés et les ressources sont tout bonnement gaspillées. Lueurs d’espoir relevées du côté de Migros et Digitec Galaxus. La première indique qu’un objet rendu peu de temps après son achat est évalué: «S’il est en état de marche ou qu’il a un défaut, il est révisé, au besoin réparé, puis remis en vente comme modèle d’exposition», explique Tristan Cerf, porte-parole. La seconde dit réparer les appareils neufs pour les mettre en vente estampillés «Utilisé + Testé» dans sa rubrique de seconde main.
Notre enquête démontre parfaitement le potentiel d’économie des ressources réalisable si la réparation était encouragée par des mesures ciblées. Tout d’abord, en modifiant le droit de la garantie pour que le client soit en mesure de demander que le produit soit réparé en cas de défaut, comme c’est le cas dans l’Union européenne. Mais aussi en reprenant les pratiques de nos voisins. Comme les bons destinés à financer la réparation, en Autriche. Cela permettrait de contourner en partie le problème lié au coût élevé de la main-d’œuvre en Suisse.
Surtout, à l’heure où la destruction des invendus est régulièrement épinglée, il serait temps de se pencher sur celle, pas moins scandaleuse, des appareils sous garantie, jetés sans même identifier s’il est possible de remédier facilement à la panne. Imposer qu’ils soient examinés permettrait non seulement de limiter ce gaspillage, mais aussi de favoriser la mise en place de filières de seconde main favorables aux consommateurs comme à l’environnement.